DOUTE

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Je parlais avec cet homme depuis quelques semaines. La première fois via un site de rencontre, sur lequel il m'avait envoyé un premier message. Son profil ne m'avait pas déplu. Pas de partie intime exhibée, de la simplicité.
Le courant passait bien. On a fini par s'échanger nos Instagram pour faciliter les échanges. Il était marié, je le savais, mais je ne cherchais pas une relation sérieuse. Enfin, si ? Je ne savais jamais trop. Marre d'avoir mal quand je me berçais d'illusions. Marre d'être déçue par de belles promesses en l'air. Marre de ceux qui ne vous prennent que pour un site de déchargement. Le sexe n'est qu'une pulsion, on peut s'en passer, la vie n'est pas que ça.
Mais d'un autre côté, parfois un manque se fait sentir, et je me laisse aller à une aventure, un plan d'un soir, qui des fois devient régulier, et je m'attache, vainement.
Lors de nos échanges de messages, P. a toujours été respectueux, délicat, compréhensif. Tellement compréhensif qu'il en était devenu amical, à ne plus chercher quelque histoire à base de sexe, mais juste être à l'écoute de mes doutes, mes interrogations. Il ne me jugeait pas, ne me fermait pas la porte parce que je ne répondais pas à ses désirs comme souvent ce genre d'homme, ou en tout cas ceux avec qui j'avais eu des premiers contacts...
P. n'était pas de ma ville. Ça évitait trop de frustration, on savait qu'il était quasi impossible de se croiser un jour, même autour d'un verre pour se rencontrer comme ça, comme il l'avait proposé. Dommage, ça m'aurait permis de découvrir son visage. Il ne le mettait pas sur internet, alors qu'il avait vu le mien. Il y avait quelque chose d'étrange dans cette situation. Il devenait proche tout en restant un mystérieux inconnu. C'est assez perturbant avouez-le.
Je fus surprise, ce matin, de recevoir un simple message de lui, un message froid, sans forme, mais qui en même temps éveillait ma curiosité.
"Holiday Inn, chambre 317, code 2812, 16h".
Je lui demandais ce que ça voulait dire, il ne me répondait qu'un simple "sois à l'heure".
Je demeurais hésitante. Finalement je ne le connaissais pas. Peut être était-il un détraqué? Et d'un autre côté, cette idée d'expérience pleine d'inconnu titillait mon imagination. Je décidais de tenter le coup, prévenant juste une collègue et amie de mon rendez-vous. Qu'elle m'appelle vers 18 ou 19h, savoir si je vais bien.
Je rentrais chez moi vers 14h après ma matinée de travail. Un mélange d' euphorie et d'inquiétude envahissait mon esprit tandis que je me détendais dans mon bain. Est ce que j'y allais ou pas ? Mon ticket de métro était coupé frais de la veille, c'était au moins ça à ne pas se préoccuper.
Raaaah ! Je bouillonais d'incertitude. Je plongeais mon visage sous l'eau comme pour fuir tout ça. Le calme le silence, la respiration coupée, mon cerveau semblait se calmer un peu.
Finalement, le goût du risque et de l'inattendu l'emporta. Sortie du bain, essuyée, cheveux séchés, j'oscultais mon corps, pas parfait de base, mais si je pouvais éviter d'autres imperfections. Ma pilosité était présentable. Je décidais d'enfiler un bel ensemble soutien gorge et culotte noirs, en dentelle et tulle, assez transparent, chic et sexy (et puis le noir ça passe partout) et laissant deviner mon épilation et mes fesses à travers le fin tissu. Une paire de Dim-up, je n'ai pas plus luxueux que ça en bas, excusez-moi, mais ça fera l'affaire - et puis au rythme où ça se file, je ne vais pas mettre des centaines d'euros là dedans.
J'enfile une robe fourreau par dessus, histoire d'être élégante. Mon miroir me laisse penser que ce n'est pas trop mal comme résultat, surtout pour ma destination. L'idée commence à travailler ma tête, mais aussi mon corps. Ce dernier se demandant ce qui l'attend vraiment.
Une pointe de rouge à lèvre, un peu de maquillage léger, juste ce qu'il faut pour être séduisante, je m'enveloppe de mon trench, et je m'en vais.
Sur la route me menant à l'hôtel, les questions se bousculent à nouveau, mais l'inquiétude s'efface face à l'excitation. Je suis folle. Qu'est ce que je fais? Je me gare. Peu de voiture sur le parking à cette heure-ci. J'hésite. Il est encore temps de repartir. Mais en même temps ce mystère m'attire.
15h53 s'affiche sur l'écran de ma voiture. Je regarde le bâtiment devant moi. Mes doigts se crispent sur le volant. Oui ? Non ? Je me lance. J'ouvre ma portière, réajuste ma robe, mes bas tiennent en place (c'est pas toujours gagné avec ces bêtes là), je traverse l'étendue goudronnée en regardant droit devant moi ce portique vitrée.
Dans le hall le réceptionniste me lance un "bonjour madame" auquel je ne réponds pas, je l'ignore même complètement, j'appelle l'ascenseur. Je suis perdue. Qu'il est long ce machin ! Est-ce un signe pour me dire de repartir ? La porte s'ouvre au moment où je me pose cette question.
Dans la cabine montante, je me vois sans me voir dans le miroir du fond. Cette femme qui se veut fatale et qui n'est autre que moi, où va-t-elle ? Elle ne le sait pas.
La porte s'ouvre sur le couloir. L'écriteau juste en face m'indique les numéros. 317. A gauche. J'avance dans ce long couloir, cette perspective qui me fait tourner la tête d'avantage, avec sa série de portes et de lumières toutes identiques sur des dizaines de mètres.
La porte 317. Je toque. Aucune réponse. Une seconde fois. Toujours rien. Je jette un coup d'œil à droite et à gauche, me sentant ridicule dans ce couloir qui me semble infini. Et vide. Je prête l'oreille. Aucun bruit ne filtre. Ahhh, il est encore temps de partir me dit une voix à l'intérieur de ma tête.
Je fais fi de l'entendre. Je sors le téléphone, le code. La serrure émet un clic libérant la poignée.
J'ouvre doucement.
La chambre est assez grande, comme il faut. Il y fait doux. On s'y sent bien. Les rideaux sont tirés, juste écartés d'une vingtaine de centimètre, laissant passer une lumière duveteuse à travers un voilage blanc en doublage. En évoluant dans ce lieu, en m'en imprégnant, parcourant l'ensemble des yeux, je déboutonne lentement mon trench. J'y suis seule. Étrangement, je me sens plus détendue, comme devant le fait accompli, alors que tout reste encore à découvrir. Et à vivre.
Sur le lit aux draps blancs et bleu profond, un mot et une étoffe. Je pends mon manteau à un cintre du placard, et me dirige pour le lire. "Retire soutien-gorge, culotte, et noue ce bandeau autour de tes yeux, puis mets-toi sur ce lit, à genou, la tête sur l'oreiller, et attends."
Ca me perturbe. Il se la joue à la Christian Grey? Néanmoins cela fait une éternité qu'on ne m'a pas bandé les yeux. Cela signifie aussi que je ne verrais pas encore son visage. Je m'apprête à faire quoi avec un parfait inconnu ? Je prends des risques. Ça m'effraie. Et ça m'excite.
Tout en regardant le mot et le bandeau posés sur le lit, je défais ma robe fourreau. Mes mains tremblent un peu, perturbée que je suis de la situation. Une fois glisée le long de mon corps, je la laisse par terre, retire mes escarpins, mon cerveau perdu. Les yeux sur ce lit, je dégrafe mon soutien-gorge, je laisse ma culotte tomber à mes pieds. Quid des bas ? Il n'en parle pas. Je décide de les garder.
Mes mouvements me semblent interminables, comme si j'étais plus lente que d'habitude pour m'exécuter. Je pose un genou sur le lit, puis le deuxième. Je relis le mot une dernière fois. Je place le bandeau de satin noir sur les yeux, amène mes mains derrière ma tête, fais un noeud. Je réalise maintenant que j'ai perdu la vue, que je suis là, nue, seule, dans une chambre d'hôtel, vulnérable, à la demande et la merci d'un inconnu.
Une fois le bandeau bien ajusté, plongée dans les ténèbres, je me prosterne comme ordonné sur l'oreiller, la tête posée sur mes bras croisés sur l'oreiller, ne voyant rien, mes autres sens en éveil, les fesses en l'air, complètement offerte, avec cette question lancinante dans ma tête : "mais que fais-je ici, dans cette position ?"

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