Chapitre 16 - Les gardiennes du Millénium
Les puissants pas de la massive créature résonnèrent faisant trembler le sol. Sylas ignora le gros tas et fonça en priorité sur la grosse fleur rouge. Contre toute attente, il fut violemment intercepté par l'effrayant arbre vivant qui venait de charger en sa direction. Le Purificateur fit volte-face. Il empoigna ses cornes qui percutèrent brusquement le torse de ce dernier. La bête se releva, droite, soulevant avec elle l'homme, encore perché sur ses bois. Elle secoua la tête avec rage et le balafré lâcha sa poigne. Quelques mètres plus loin, son dos percuta la terre. Il toussa fortement et essuya du revers de la main sa bave rougeâtre.
— Pour en revenir à ta question, continua Anika comme si de rien était, le Millénium est un arbre gigantesque qui abrite une civilisation féerique. Il y en a plusieurs, bien évidement, et leurs racines sont si grandes et profondes qu'elles sillonnent la terre que l'on foule pour se relier entre elles. Ils sont le cerveau du monde, mais à lui tout seul : il devient simplement celui de sa forêt.
— Unhun, acquiesça-t-il, essoufflé.
La Princesse dévora une seconde brochette sans se soucier du danger qui la guettait. Pendant ce temps, le professionnel se fit charger de nouveau. Il bondit de côté esquivant de peu la créature qui se coinça dans un tronc. Elle donna des à-coups de la tête, souhaitant se libérer. Sylas, le souffle court, brandit son épée contre le dos de celle-ci. Elle ne se laissa pas faire et se débattit puissamment. De son pied, elle tapa d'un coup sec le torse de son adversaire. Le noiraud prit le coup de plein fouet et fut forcé de reculer, tombant par la même occasion, désorienté.
Les deux grandes racines semblaient jouer avec leur corps. Elles avançaient lentement et prudemment, avec de grands pas distordus. La plus avancée prit la jambe du Purificateur et le souleva, la tête en arrière. Son long bras s'enroula autour de celle-ci atteignant sa cuisse. Il grogna de douleur; son membre le brûla atrocement et il vit son pantalon se dissoudre sous le poison. De ses longues dents pointues, la Ranialyss sembla sourire, rire même.
La seconde la rejoignit aussitôt englobant son bras droit et le serrant au niveau de la taille. Le sang monta dangereusement à la tête du nouveau garde et son corps le démangea. Il retint un cri entre ses dents :
— ΛЯĐεЯε ! grogna-t-il en empoignant l'un des tentacules au niveau de son bassin.
La flamme réduisit en cendres les membres des monstres plantes. Alors qu'elles s'embrasaient lentement et que l'une lâchait son bras par peur qu'il ne soit atteint par le même mal, Sylas retomba au sol. Elles gigotèrent, hurlantes de douleur. Il alla vite en remettre une couche et se jeta piteusement sur sa lame.
— ΛЯĐεЯε... répéta-t-il avec peine.
Son épée s'immola d'une couleur ardente. Il eut du mal à la tenir droite devant lui. Il se mordit la lèvre; la brandissant, il s'élança sur la plus affaiblie et d'un geste fragile: la trancha sans attendre. Elle crama entièrement, dans un long râle strident.
Son Altesse regardait le spectacle et fit cuire une autre viande.
— Tu sais ce qui est incroyable avec les Milléniums ? Ils ont la capacité de lire le passé, le présent et l'avenir, avoua-t-elle en avalant son morceau. En général, mes prédécesseurs lui rendaient visite chaque année. Mais depuis la venue de Cali et de ses chiens, on doit venir assez souvent maintenant.
— Et pourquoi ça ? réussit-il à répondre dans un souffle.
La grosse plante frappa l'arbre de toutes ses forces. Elle se débattit encore, claqua des dents et tapa du pied. La dernière des deux jumelles la rejoignit, slalomant avec légèreté. Elle tendit son dernier bras en direction de son ami. Remarquant l'aide qu'elle voulut apporter, Sylas fut plus rapide et de son arme flamboyante, il l'acheva dans le même hurlement que sa sœur. Trop absorbé par les évènements, il piétina et fit voler ses restes qui flottèrent dans l'air.
Alors qu'il se laissa le temps de respirer une seconde, une épine tomba du ciel et se planta dans son épaule. Il hurla avec franchise et vint instantanément retirer l'aiguille venimeuse. Il bondit en avant et se retourna, à l'affût. Une autre pique vint s'abattre à la place qu'il avait occupé; puis une cinquantaine d'autre. Il se mit à courir, fuyant le poison qui le suivait.
Anika prit une gorgée d'eau fraîche.
— Nous craignons que l'un de ses clébards viennent s'en prendre à notre arbre. Alors je dois établir un compte rendu au Royaume de l'Ouest de son état et de ce que j'y vois.
— Et pourquoi est-ce si secret ? Mh ? questionna-t-il entre quelques respirations saccadées avant de s'arrêter un moment, prenant une nouvelle pause. Imagine, on arrive en plein milieu d'une embuscade : qu'est-ce qu'on fait ? On se laisse crever parce qu'on n'a pas de renforts ?
Alors que la grosse fleur avait arrêté un moment de lancer ses flèches meurtrières, elle s'écrasa sur elle-même et s'ouvrit plus grande encore. Des dizaines de petites aiguilles vinrent de nouveau s'acharner sur le professionnel. Il s'en prit dans la jambe, dans le dos, dans le bras. Il se mordit alors la langue, saignant. Profitant de l'adrénaline que cela éveillait, il fonça droit sur elle.
— Peut-être bien, oui, haussa-t-elle les épaules. Tu mourras pour que je puisse fuir, sourit-elle, narquoise.
Il ne sentait plus les membres touchés; pas de douleurs, ni de brûlures et encore moins le sentiment de les bouger. Son cerveau agissait seul sans se poser de question. Il n'était plus alerté par le danger, seulement bercé par la peur d'être tué.
La jeune femme balança le long bout de bois imbibé de jus derrière elle et le remplaça par un autre plus gros encore.
— Vois-tu, je suis le nouveau réceptacle de ses visions. Et ces dernières années, elles sont devenues plutôt violentes... avoua-t-elle en marquant une longue pause. Tu en as peut-être entendu parler sous le nom de " la plaine des vérités " ?
— Encore moins !
Voyant que la magie dont il avait recouvert son arme s'estompait, il abandonna sa raison et força sur ses pattes, la lame prête à s'abattre. Il entendait la grosse Ranialyss creuser le sol, le piétiner et déraciner lentement l'arbre dont il ne savait se défaire.
La plante jonchées de ronces délia lentement ses bras en direction de Sylas. Pris par surprise, l'homme bondit de côté, l'esquivant de peu.
La grosse fleur s'ouvrit entièrement comme pour prendre une énorme bouffée d'air puis se referma, se serrant autant que possible. Elle remua ses pétales entre elles, les faisant frémir d'un léger bruissement. Lorsqu'elle montra pour la deuxième fois ses petites dents intérieurs, une nuée de poison se dégagea peu à peu. Le Purificateur perfora au même moment le cœur de la créature.
— קЯΦŦεĠεЯε ! peina-t-il à hurler à temps.
Une énième fois, perdant son épée au passage, il se vit être projeté en arrière dans une explosion monstrueuse déversant le venin de la plante. Un brouillard violet et bleuté, épais, barra la vue de l'homme qui suffoquait.
— L'arbre partage son savoir, ses connaissances, mais il dégage également une sorte de drogue dans l'air qui permet une diffusion plus facile des informations. Déjà, c'est embêtant, car plus il y a de personnes, plus elles sont touchées par ses visions. Mais le souffle du Millénium a aussi la particularité d'empêcher le mensonge. Alors imagine une Princesse, possesseur d'informations confidentielles, qui se fait accoster par un traître ou un curieux...
Le combattant toussa à s'en décrocher les poumons. Sa gorge ainsi que sa poitrine le brûlait atrocement. Pour maintenir le sort malgré le puissant déchaînement, il laissa sa main en l'air. Derrière la demie sphère aux reflets dorés, il voyait un épais brouillard toxique s'avancer, prêt à l'englober. Il plissa les yeux. Sur ses gardes, il s'arrêta de respirer.
— Pour tout te dire, c'est déjà arrivé. Je n'aimerais pas avoir à assister à une autre exécution. Bon, ça a été le déclencheur, je te l'accorde. Mais je m'en étais déjà plainte, se confia-t-elle. J'avais comme... des interférences, avec autant de personnes. Entre les visions, je voyais également les souvenirs de certains de mes gardes, mais surtout leur avenir. Et autant te dire qu'ils finissent très peu leur vie à la retraite ces derniers temps.
— C'est bizarre, tu n'as jamais autant parlé que depuis que je suis en incapacité de le faire !
Dans un grognement qui se changea en hurlement, il repoussa sa propre défense à une allure fulgurante. Sa barrière alla couper l'air violet en deux. Soudain, elle alla rapidement se briser en centaines d'éclats contre quelque chose qui la percuta de face.
À trois mètres de lui, les pieds de la Ranialyss épineuse venaient de heurter l'obstacle. Elle avait bondi sur l'homme en se servant du venin de son amie pour un effet de surprise garantie. Le bouclier magique l'ayant interrompue dans son élan, elle s'abattit lourdement sur le Purificateur. Ce dernier plaqua ses avant-bras devant sa tête en guise de protection. Les piques vinrent se planter dans ceux-ci alors qu'il accompagnait la créature sans sa chute. Tous deux lâchèrent un cri.
Le monstre en profita pour lentement desserrer ses bras qui protégeait son corps fragile. Elle dévoilait une tige verte si claire que l'on pouvait y voir le flux de son sang bleuté. Puis un petit bulbe, dont l'extrémité commençait à bourgeonner, gouttelait; cela devait-être son visage. Elle vint lacérer Sylas à l'aide de ses épines. Elle entoura son bassin d'un tentacule puis remonta jusqu'au torse. Elle alla jusqu'à doucement étrangler le cou de sa victime qui serra les dents.
— Sale petite pute, cracha-t-il.
— Tu Occidere Soror, geignit-elle d'une voix grave.
Luttant, il atteignit de sa main le membre de la plante et le serra faisant rentrer ses petites épées vertes dans celle-ci.
— ΛЯĐεЯε...
La flamme cessa immédiatement quand il la sentit brûler ses doigts et sa gorge. Le monstre n'avait rien, mais sentant le danger pointer le bout de son nez, elle délia son autre bras. Elle se joignit au premier, enroulant bien plus son torse et déroulant sa barrière. Le balafré se crispa sous les griffures. Il ne put grogner. Elle vint l'enrouler autour de son épaule, atteignant son biceps. Un lourd vacarme résonna à la surface de la terre.
Anika termina sa brochette. Elle savoura ses doigts, les suçotant avec légèreté. Une immense masse se jeta lourdement sur elle. La Princesse s'écrasa au sol, le nez juste sous les braises.
La grosse Ranialyss avait réussi à déraciner l'arbre. Elle avait secoué ses bois jusqu'à ce que le tronc n'en tombe, puis avait chargé la frêle dame en utilisant, elle aussi, la dernière aide de la grosse fleure rouge à son avantage.
La femme aux cheveux blancs fut prise au piège. Le monstre pesait tout son poids sur son petit torse, l'empêchant de respirer. Sa joue était appuyée contre le sol froid; plus elle cherchait de l'air, plus elle aspirait de la poussière. De là où elle était, elle chercha de l'aide du regard.
Le professionnel sentit une chaleur mortelle envahir son corps. Il ressentit l'un des tentacules épineux se resserrer sur sa gorge l'empêchant lui aussi de respirer, alors que l'autre toucha sa main. Il la serra durement, comme s'il voulut l'empêcher de partir. Rapidement, il abattit violemment son autre main délaissée sur la tige vitale de la créature. Ses yeux, brûlants de volonté, il ne put sortir un mot. Il lutta.
Cheveux blancs serra les dents. Elle ferma durement les yeux jusqu'à s'en donner mal au crâne. Sa peau se recouvra d'une couche luisante, blanche et lumineuse comme un reflet sur du métal. Peu à peu, sa tête devint rouge. Le géant fut jeté en arrière, dans les airs. Au fur et à mesure qu'elle reprenait sa respiration, elle se libéra dans un cri qui devint assourdissant, créant une onde de choc qui désintégra la plante en vol. Il n'y avait ni morceau, ni cendre. Il n'en restait rien.
— Meus Soror, cria la dernière.
Tournant le bulbe en direction de sa consœur, elle desserra sa victime une seconde de trop. Sylas reprit son souffle et dans un toussotement douloureux, prononça :
— ΛЯĐεЯε.
À son tour, elle partit en poussière sans un son.
Le Purificateur se tourna sur le côté. Se tenant la gorge, il toussa et cracha du sang. Il avait envie de se gratter, d'arracher sa peau et d'approfondir ses coupures. Reprenant sa respiration, il arracha sa chemise et s'empressa de retirer les aiguilles comparables à de petits couteaux enduits de feuilles d'orties. Aisément, il put toutes les retirer exceptées celles se trouvant dans son dos. Sans se poser de questions, il se leva et vint s'asseoir dos à une Anika essoufflée et assise en tailleur. Haussant un sourcil, elle le regarda et put s'autoriser à soupirer de soulagement après ce dur combat. Alors qu'il allait commencer à expliquer son geste, elle le fit taire en enlevant une première flèche profondément plantée. Il grinça des dents et se tut. Une à une, elle retira les autres avec patience, compatissante.
— Je croyais que j'étais là pour te protéger, mais je vois que tu aurais très bien pu te débrouiller sans moi en fin d'compte.
De sang froid, elle enleva brutalement la dernière. Il se crispa.
— Hmm, grogna-t-il. J'ai toujours trouvé les sorcières immensément sexy.
— Ça tombe bien, je ne suis pas une sorcière.
Il se retourna, fatigué. Il put apercevoir une princesse transpirante et tout aussi épuisée que lui. Elle souriait avec un dédain se rapprochant plus d'une bonne taquinerie amère. Lorsque ses yeux bleus croisèrent les jolis verts de la beauté dangereuse, elle évita rapidement son regard. Cette dernière se leva aussitôt, raide, et s'allongea à sa paillasse, à son tour dos à lui.
— Vous devriez dormir, vous aussi, conseilla-t-elle finalement.
— Vous avez entièrement raison votre Altesse. Si les monstres d'ici sont aussi fourbes que vous n'êtes aussi froide qu'attirante, je vais vite péter un plomb, avoua-t-il.
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