Chapitre 17 - Le cerveau de la forêt
Un chatouillement désagréable vint perturber le sommeil du balafré. Fronçant les sourcils, il se gratta le coin de la lèvre et y découvrit l'origine de cet horrible fourmillement.
— Putain d'Ackrahns ! jura-t-il en explosant l'insecte dans une gifle brutale.
Il vint essuyer avec dégout son visage tâché d'un petit liquide visqueux et bleuté. Sylas se débarrassa de la carcasse de la bestiole noir en frottant sa main contre l'herbe encore humide dû à la rosée du matin. Cette forêt gardait bien l'eau malgré le fait qu'il se soit réveillé en début d'après-midi. Le cerveau de la forêt avait sans doute besoin de beaucoup de nutriments.
Quelque chose le marqua bien plus encore: ses plaies ne le démangeaient plus. Certes, il avait été formé pour supporter la douleur, mais sa spécialité n'avait jamais été l'auto régénération ni l'absorbation de poisons si conséquents. Il tourna la tête vers Anika.
— Bordel de... se coupa-t-il dans son cri.
Il accourra vers la demoiselle qui dormait à point fermé. Elle n'avait même pas encore ouvert les yeux, que d'immondes cernes bleutaient son visage blanc coloré de rouge. Mais le plus affolant était qu'un Ackrahn venait de se glisser dans la bouche béante de son Altesse. Sans attendre, il empoigna la mâchoire de cette dernière et y enfonça ses doigts pour y récupérer l'insecte. De grand yeux verts, affolés, le regardèrent alors qu'il sortit rapidement l'horreur de sa gorge avec soulagement, et heureusement, car Anika referma subitement ses dents dans un claquement avant de tousser avec douleur. Elle fut ensuite prise de fort relents. Elle plaqua alors ses mains contre ses lèvres par peur de sortir un quelconque liquide.
— Mais vous-êtes fou ! s'indigna-t-elle d'une voix cassée sous le coup de la mauvaise surprise. J'aurai pu le recracher moi même, au lieu d'y enfoncer vos doigts, probablement induis de venin !
— J'ai préféré agir en bon chevalier et vous éviter une mort lente et douloureuse. Mourir à cause d'une saloperie de parasite n'est pas très digne de votre rang, Princesse, se moqua-t-il en déposant l'insecte au sol avant de venir l'écraser de son pieds lorsqu'il se releva.
— Parce que mourir empoisonnée par une Ranialyss est plus élégant, peut-être ?
— Ca ne change pas de vos méthodes lorsqu'une guerre de territoire est à ce point perdu que le château en est assailli... Mourir d'une jolie fleur reste tout de même très poétique, vous ne trouvez pas ?
— Je vous l'accorde, admit-elle sans honte, dans un soupire. J'ai réagi sous le coup de l'émotion. Il faut dire que vous auriez pu trouver mieux comme réveil, haussa-t-elle un sourcil suivi d'un petit sourire tout en se massant la gorge. Merci.
— Non. C'est plutôt à moi de vous remercier, pour cette nuit. Vous n'avez pas du beaucoup dormir... Moi je suis payé pour ça.
En effet, l'homme se sentait bien mieux que lorsqu'il avait fermé les yeux. Il ne savait pas par quel miracle il était aussi en forme, mais au moins, il se doutait bien grâce à qui.
Sylas lui tendit une main sincère. Il en profita pour la regarder plus amplement. Alors qu'elle était d'une beauté sans borne, presque ensorcelante, elle semblait pourtant tout faire pour éviter son regard afin qu'il ne puisse pas plus la dévisager. Les moments où il pouvait alors la regarder à sa guise étaient bien plus rares qu'il n'y paraissait. Cette fois elle ne portait pas d'artifice sur son visage, ou en tout cas très peu. Ses cils étaient aussi blancs que ses cheveux et il comprenait alors pourquoi le rouge de son visage et le vert de ses yeux ressortaient si bien. Ils étaient la seule once de couleur vive sur cette base si pâle. Ces lèvres étaient naturellement rosées et avec l'humidité de l'endroit, ses joues mais aussi son nez et son menton avaient rougi plus que d'ordinaire.
Elle baissa la tête sans un mot, se relevant d'elle-même dans un petit sourire fier. Elle dépoussiéra ses vêtements et tous deux défirent le campement. Lorsqu'ils montèrent sur les chevaux et se mirent à galoper à nouveau, le professionnel eu horriblement froid. Ses habits étaient en lambeaux et il n'avait plus assez de cheveux pour recouvrir l'entièreté de sa nuque; il se sentit nu contre la bise.
*
Sur le chemin, ils croisèrent une meute de chiens affamés. Ils tentèrent, dans leur course, de mordre fermement les cuisses de leurs chevaux et de se tenir fermement à leurs crocs. Les équidés, s'agitant, tapèrent des sabots et hennirent avec peur. Ne sachant quoi faire, ils se murent de droite à gauche. Peu à peu, ils se firent encercler.
— Vous n'auriez pas un petit tour de magie en réserve par hasard, votre Altesse ? questionna le cavalier, légèrement amer, de son éternel petit sourire en coin.
— Et vous une petite flamme violette ? répondit-elle de ce même sourire. C'est vous qui êtes payé pour vous épuiser à la tâche.
— Hm, souffla-t-il du nez. À vos ordres.
De sa lame, il coupa en deux l'un des chiens qui avait sauté au cou de sa monture. Il n'eut même pas le temps de nasillonner que son sang se répandait sur le sol, venant toucher les pattes d'un de ses semblables qui se jeta sur la cheville de l'autre étalon. Mordu, il lui asséna un violent coup de sabot et fendit le crâne de la bête qu'il piétina ensuite de l'autre.
— Je vois que vous avez bien plus l'habitude de couvrir vos arrières, constata-t-elle.
— Et comment vous est venue l'idée de n'utiliser vos grands pouvoirs qu'en extrême nécessité ?
Il descendit de sa monture et pourfendit le corps d'un jeunot.
— Pas encore l'histoire d'une monstrueuse puissance qu'il faut éviter d'utiliser pour le bien des autres, j'espère.
Trois vieux canidés lui sautèrent dessus. Il en esquiva deux dans une jolie retournée et en abattit un tandis que le restant serra ses crocs sur son épaule. Il agrippa son crâne et d'une formule magique le fit brûler lui et sa fourrure faisant japper le dernier. En entendant les chevaux, il fit volte face et brandit son arme contre un autre qui attenta aux pieds de Anika.
— Pas vraiment non. Je tenais à voir vos compétences de moi-même, esquissa t-elle un sourire. Entendre vos éloges est une chose je vous l'accorde, mais les voir de mes yeux en est une autre.
La meute, s'étant considérablement réduite, l'un des chiens hurla, appelant les autres qui firent de même. Aussi vite qu'ils étaient apparus, ils déguerpirent à la recherche d'un autre gibier plus facile à abattre. Le Purificateur se remit alors en selle.
— Et alors, déçue ? questionna-t-il, fièrement.
— Ce n'est pas le mot. Disons plutôt que vous êtes à la hauteur de votre diplôme. Comme tout Purificateur, en fin de compte. Ca n'en reste pas moins très hypnotisant de vous regarder, un peu comme une jolie danse. Hya ! hurla-t-elle à son cheval lorsque son regard fut trop perçant.
Charmé, le noiraud sourit et la suivit dans son élan.
*
Sur la route, il croisèrent quelques autres créatures sauvages comme des cerfs ou bien des biches et leurs petits mais aussi des écureuils, renards et autres oiseaux. La faune et la flore étaient pleines de ressources et même parfois d'exotisme. Même pour lui qui était habitué à ces bêtes, il n'en avait jamais vu autant en un si petit périmètre.
Plusieurs fois, il eut peur de tomber à nouveau sur une meute de loups ou de chiens errants. Alors plusieurs fois ils accélèrent le pas pour un petit temps afin de les semer. Ils tombèrent également nez-à-nez avec une grotte de Kolirs qui devaient dormir paisiblement à l'intérieur. Le professionnel avait pu la reconnaitre car étaient visibles, au fond de leur tanière, de vives petites lumières. Sans doutes étaient-elles les trésors volés par ces crapules de monstres qui brillaient dans la pénombre. Les cavaliers passèrent devant avec précaution.
Plus ils avançaient, plus les fleurs étaient belles, colorées et nombreuses. Les arbres en devenaient presque féériques car eux aussi étaient parsemés de couleurs peu observables à ce jour. Le plus souvent, les feuilles étaient vert-pin et brillaient d'une couleur turquoise tandis que le bois portait sur un sépia. Autrement, il y en avait des roses, de bleus mais aussi des jaunes et orangés aux rayons dorés. Ils portaient tous des jolies fleurs blanches aux fruits de même ton.
— Laissons nos chevaux ici. Nous continuerons à pieds.
— Les chevaux aussi peuvent avoir des visions ?
— Ne sois pas si condescendant et descends, ordonna-t-elle en s'exécutant.
La princesse et son garde du corps s'enfoncèrent rapidement et laissèrent les destriers derrière. Il resta un moment sur ses gardes, prêt à dégainer son épée. Plus ils marchaient, moins il y avait d'arborescence et plus il y avait de fleurs pour les remplacer. Mais plus ils avançaient dans les fleurs, plus elles perdaient en couleur. Également, Anika semblait bien plus tendue que lui; elle s'affolait même. Son pas s'accéléra. À son centre se trouvait un monstrueux, un énorme, un gigantesque arbre : le seul de la clairière. Il était entouré de milliers de fleurettes mortes et de quelques animaux qui venaient s'y shooter à son pied, les empêchant d'évaluer le danger. Les cerfs, biches et faons, les sangliers et leurs petits et même quelques renards ainsi que les volatiles cachés dans son feuillage terne semblaient rire aux éclats. Ils étaient allongés, se roulant dans les feuilles desséchées. Comme un arbre prenant feu, les feuilles carbonisaient d'elles-même sans la moindre flamme et tombaient. Une légère odeur sucrée planait dans l'air, plus douce encore que l'odeur de chocolat qui émanait de son Altesse. Un bruit strident bourdonnait dans leurs oreilles semblable à des milliers de petits cris hurlés par la force de la terreur.
En oubliant Sylas, cheveux-blancs se mit à courir à en perdre haleine. Son cri, aussi puissant fût-il, se perdit dans ceux des fées. Mais plus elle s'avançait, plus elle ralentissait. Elle ne sentit plus ses jambes, n'arriva plus à hurler et sa vision se troubla. Sa respiration se coupa et alors qu'elle tombait en tendant une main desespéré vers l'arbre, une boule d'énergie, blanche, émana de sa paume. Juste avant qu'elle ne touche le sol, sa sphère partit droit sur le Millénium. Elle ravagea un tiers de l'arbre sans même toucher la cause de sa maladie. Les feuilles ayant été en contact avec cette magie destructrice s'embrasèrent, enflammant une à une les suivantes.
Le Purificateur accourrut vers sa protégée. Pleurante, elle ne bougeait plus.
— ...ordre Cali... Naamah, Nahama ! ... moi Azelle, souffla-t-elle plus bas qu'un chuchotement dans l'air.
Elle avait des yeux grands ouverts mais absents et ses lèvres bougeaient d'elles-mêmes. Le balafré la laissa là et se releva les poings fermés. Il fusilla du regard l'une des immondices qui riait à gorge déployé.
— Comme c'est aimable... Au lieu de détruire le problème, elle l'aide à se répandre ! riait-elle en se tenant le ventre. Maintenant grouille ! On en a d'autres à finir ! hurla-t-elle à sa complice en lui donnant une bonne tape derrière la tête.
Au sommet du Millunium se trouvaient les plus horribles des créatures de ce monde. Des démons, en chair et en os, empoisonnaient la clairière et son roi.
La grande, autoritaire, possédait des sabots à la place des pieds et de longues jambes. Sa peau était d'un blanc cadavérique, presque gris. Ses quatre bras étaient armées de grandes griffes acérées et d'un pouce plus grand que d'ordinaire. Des piques, recouverts de sa peau, traversaient son dos en longueur et descendaient sur sa queue de lézard. Son corps lui faisait penser à celui d'une pré-ado avec une poitrine peu développée. Elle était encore plus squelettique que Chloé et pour dire, ses côtes était si visibles que sa peau monochrome creusait entre elles tout comme pour ses joues. Il voyait clairement ses os se mouvoir, surtout au niveau des bras et des jambes mais aussi de son cou. Ses yeux étaient d'un noir de jais uniquement animé par ses expressions exagérées. Ses cheveux étaient de même couleur, asymétriques et coupés comme si l'on avait pris des ciseaux pour couper ceux de sa poupée. Deux mèches étaient emmêlées dans ses deux grandes cornes mal rasées, elles aussi recouvertes de peau. Néanmoins, l'une était sacrément bien coupée. La peau, qui se trouvait encore autour, avait été cautérisée avec la plaie et était donc carbonisée laissant l'os, recouvert de saletés, visible. Elle était immonde, un être horrifique.
Sa coéquipière, bien différente, ressemblait d'avantage à une petite fille frêle et bien éduquée par une riche famille. C'était elle la poupée dont les gens aimaient prendre soin. Elle n'était pas bien grande pour l'âge qu'elle devait avoir. Elle portait de petits souliers noirs et de grandes chaussettes qui glissaient sur ses fines jambes. Elle était habillée d'une robe blanche à froufrous roses lui rappelant celle des princesses pourries gâtées. Un grand œil brun ornait son visage ainsi que de fines lèvres rosées. Celui qui manquait était recouvert d'une jolie rose blanche dont de petites racines en sortaient, caressant le haut de sa joue et le dessous de l'arcade. Elle avait un visage efféminé, aux traits fins comme celui d'un poupon. Des cheveux blond vénitien, ondulés, recouvraient sa tête.
Les deux démones volaient dans le ciel. La plus effrayante possédaient de grandes ailes noirs, transparentes, semblables à des ombres d'un noir plus intense. La plus adorable, elle, n'en avait pas. Une faible lumière émanait d'elle et des paillettes tombaient de son corps.
La jeune blonde ne répondit rien et se contenta de descendre au niveau du feuillage qui avait considérablement baissé grâce à l'aide d'Anika. Elle s'enfonça légèrement dans ceux-ci, s'asseyant, et toucha le Millenium. Lui qui était déjà mourant, l'être maléfique prit une grande inspiration et continua à répandre son poison. Le cerveau de la forêt s'embrasa bien plus encore doublant la vitesse de propagation du virus. Peu à peu, il atteignit le tronc. Les fées hurlèrent encore plus fort et certaines tentèrent de quitter leur habitat. Des colonies de créatures aussi petites que des moucherons s'échappèrent en pleurs. Celles ayant pris trop de temps pour s'enfuir brûlèrent avec celles qui ne voulurent quitter leur maison. Seul un faible nombre de rescapés s'engouffrèrent dans la foret.
Les deux maux atteignant le pied, les flammes emprisonnèrent les animaux qui ne surent sortir de leur démence. Ne comprenant plus la douleur, ils hurlèrent en riant et s'enflammèrent avec plaisir et jouissance. Le poison alla à la même allure que l'incendie brulant les fleurs déjà mortes et faisant périr les autres en mauvaises conditions.
— Alors, tu peux pas voler ? nargua la démone. Comme c'est dommage... Ta femme meurt inutilement, votre précieux arbre aussi, et toi, même en vie, tu es aussi inutile et beau qu'une nature morte. C'est pathétique.
— Merci du compliment, grogna-t-il, furieux.
— Ca devrait suffire, informa sans émotion la seconde en continuant néanmoins.
— Suffire ? C'est pas suffisant comme résultat ! Il est mort au moins ? s'impatienta-t-elle.
— Il est irrécupérable. C'est du pareil au même, soupira la petite blonde.
Le squelette râla bruyamment. Les bras ballant, elle épia la borgne avec un air gavé. Puis, elle l'empoigna par les cheveux et la tira violemment en arrière la faisant voler plus haut encore. Même si la toxine ne puisait plus à sa source pour se répandre, il y en avait déjà suffisamment pour continuer le travail.
— Ton nom ? demanda Sylas.
— Comment ? hurla la démone, intriguée.
— Donne moi ton nom ! cracha t-il de ses poumons.
Elle rit sadiquement.
— Azelle !
D'un sourire carnassier, elle élança ses bras. Un souffle noir émanant de ses griffes vint survoler la faune en direction du Purificateur. Il courut vers Anika. La nuée noire se mélangea au feu provoquant une explosion démentielle. L'incendie monta haut dans le ciel et le sol se souleva. Les deux coéquipiers furent touchés de plein fouet par ce mélange mortel. Il hurla.
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