Christian

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… sèche les cours et on fume comme des pompiers dans les rues de l’Hospitalet, à deux pâtés de maison du lycée, avec les Jumeaux Sauvage et cette longue tige d’Hercule le Cam qui en est déjà à son deuxième ou troisième joint. Un miracle si ce mec termine la journée encore debout sur ses deux jambes.

Je me suis adossé contre un poteau qui soutient la vieille halle, de façon à avoir un rayon de soleil pile dans les parties, mais pas sur le visage car j’ai tendance à saigner du nez après une exposition trop longue à la lumière du jour. Les jumeaux et Hercule se disputent au sujet d’une certaine Alexa qui aurait disparu une nuit après avoir expérimenté l’héroïne. Personne ne sait où elle est passée, mais un groupe privé Telegram – Révolution contre la Dictature – a publié hier soir la photo du cadavre d’une fille qui lui ressemble étrangement, et auquel il manque les deux yeux. Les captures d’écran sont restées, et elles ont continué de circuler activement sur les réseaux avec l’intitulé « Connaissez-vous cette fille ? ».

— Elle avait peut-être des problèmes avec ses fournisseurs, suggère Hercule en produisant un cumulonimbus grisâtre avec sa bouche.

— J’ai entendu dire que certains ne déconnaient pas, dans le coin, complète un des jumeaux Sauvage.

— Personne ne déconne quand il s’agit d’héroïne, achève sa paire.

Les deux Sauvage ont les même vêtements hideux que la veille et il me semble que leur tee-shirt a légèrement bruni.

— Oh une pétasse !

Je me retourne vers Hercule le Cam, étonné.

— Qu’est-ce que t’as dit ?

— J’ai dit « Oh une pétasse ! » répète-t-il avec agacement en essayant d’allumer un énième joint (Il doit injecter tout son microscopique salaire dans l’herbe, pathétique).

Effectivement, j’aperçois une fille approcher de nous, elle passe dans une rue adjacente et va certainement nous croiser, cette fille me dit quelque chose et soudain – ô grand Dieu, est-ce réel ? – je reconnais la petite pute avec son sac de sport que j’avais fait rager hier, après les cours. Incroyable coïncidence. Je tire une dernière taffe sur mon joint et m’avance vers elle, en empruntant le formidable air austère de Papa. Je suis imbattable à ce jeu.

Quand elle me repère, ses yeux s’écarquillent et son visage prend une teinte porcelaine. Son corps entier semble vibrer d’une seule et même pensée « Oh non, pas lui. » Voyons, je ne suis pas si terrible que ça quand même…

— Comme on se retrouve ! déclaré-je sans la moindre sympathie.

— Arrête, se contente-t-elle de rétorquer sans arrêter d’avancer.

— Allez, je suis sûr que t’es capable de mieux en terme de réplique. Pourquoi t’es pas en cours ? (Je tapote ma Longines bleue sous son nez.) Moi qui croyais que t’étais une élève sérieuse…

Elle s’arrête d’un seul coup.

— Personne ne t’a jamais fait remarquer que t’es pas drôle ? Mais genre… vraiment pas. Et t’es au courant que tes camés de potes traînent avec toi juste parce que t’es friqué, non pardon, tes parents sont friqués, et que tu peux les dépanner en weed dès qu’ils en ont besoin ? Parce que sérieux, je préfère encore crever que de supporter ta sale gueule de minable toute la journée…

Ah la méchante fille. Comment sait-elle tout ça sur moi ? Elle m’a espionné, c’est ça ? Elle a checké mon profil Insta ? Elle a tapé le nom de Papa sur Google (non pas possible, enfin, je n’ai jamais dit le nom de Papa à personne) ? Bordel, je veux connaître son secret.

— Tu nous as traités de quoi ? explose alors Hercule le Cam, avec un petit temps de retard (Les jumeaux ont dû lui répéter ce qu’elle vient de dire tellement il est shooté). Hein, t’as dit quoi ?

Il marche, ou plutôt vacille vers elle. Elle lui jette un regard méprisant.

— J’ai dit « camé ». Tu tiens pas debout, camé.

— Je vais me la faire, grogne Hercule.

— Fais deux pas de plus et tu t’étales par terre, le défie-t-elle.

Il fait deux pas de plus et je le rattrape in-extremis. Je note dans un coin de ma tête : ne plus jamais traîner avec cet individu, il va pulvériser ma réputation.

— C’est pas toi le mec qui prend du Viagra parce qu’il fume tellement qu’il n’arrive plus à bander ? lance la fille à Hercule avec un clin d’œil qui doit sûrement être insupportable.

Furieux, Hercule me repousse violemment (merci pour ta gratitude, bouffon) et attrape le bras de son adversaire avant de la forcer à le regarder dans les yeux. L’air de la pauvre fille s’assombrit quand elle découvre les quasi-deux mètres de haut de son rival.

— Je vais t’écraser ta sale tronche de frimeuse, beugle-t-il en la giflant (Elle essaie de lui donner des coups de pieds mais malgré son état déplorable, il parvient à les éviter). Qu’est ce que tu vas faire, maintenant ? T’as perdu ta langue ? T’as de la chance qu’on soit pas seuls, tous les deux, parce que là, je t’aurais montré si j’ai vraiment besoin de Viagra pour te…

— Lâche-la.

Je pose ma main sur son épaule de géant-maigre.

— Quoi ?

Il me regarde sans comprendre. Pendant ce temps, elle réussit à se dégager de lui et s’enfuit en courant.

— Tu ne sais même pas ce que tu dis, soupiré-je.

— Depuis quand tu me donnes des ordres, toi ?

Il est quand même vraiment gigantesque…

— Regarde-toi un peu ! dis-je en haussant le ton. T’étais en train de la frapper !

— Elle le méritait. T’aurais pas dû m’empêcher de…

— Christian a raison, intervient finalement un des jumeaux (Enfin, ils servent tout de même à quelque chose). La fille n’avait rien demandé, même si c’est une salope.

— Donc vous êtes tous contre moi ? comprend Hercule avec dépit.

— C’est ça.

Je jette un dernier regard dans la rue où vient de disparaître la fille et ressens une sorte de pincement au cœur combiné à une légère envie de vomir. Quand les Sauvage commencent à rouler un autre joint, je le refuse. Les jumeaux essaient de me motiver mais non merci, sans façon, je n’ai plus envie.

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