Murphy

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— Regardez un peu la toupie ! scande Rémi Rodrigo au milieu de la piste de glace.

— Tu vas tomber idiot, rétorque Mathis en hochant les épaules.

Rémi prend son élan, évite un autre patineur et lève les bras pour préparer son mouvement. Son patin gratte la glace trop fort, son pied prend un angle dangereux et il s’étale sur le sol givré.

— Rigolez pas, c’est l’autre gamin qui m’a coupé la route !

Avant de venir à la patinoire, Rémi a rempli sa gourde en métal de vodka. À chaque tour, il s’est lancé le défi de boire cinq gorgées et à présent, nous devons en être au huitième ou au neuvième tour et je suis surprise qu’il tienne encore debout.

— Au dixième tour, je termine la gourde ! déclare Rémi en essayant de se remettre debout.

La morceau passe à Billie Jean. Rémi accélère en balbutiant quelques paroles confuses, quelque chose comme « toudoudoudoudoudoudoum toudoudoudoudoudoudoum. Na ! Na ! » et il manque de croquer la glace une bonne dizaine de fois, toujours sauvé par Mathis qui ne le lâche plus d’une semelle.

— Tu devrais goûter, me lance Rémi. Cette vodka est dé-mente.

— C’est de la Polia, grogne Mathis en lui prenant la gourde des mains.

Rémi se pose sur le côté et me jette un regard empli d’incompréhension.

— Murphy, je respecte ton choix de ne pas boire, c’est stupide mais je le respecte, mais qu’est ce qui t’empêche de tenter une petite gorgée ? Ça ne va pas te tuer…

— Fous-lui la paix, râle Mathis.

— Non merci, dis-je, un peu agacée.

— Pourquoi ? insiste-t-il.

Je détourne le regard.

— J’ai vu les effets. L’alcool nous transforme en bêtes.

Bullshit ! éructe-t-il.

— Réalité, répliqué-je sans masquer mon agacement.

— L’alcool transcende.

— Tu ne m’as pas l’air particulièrement transcendé…

— L’alcool rend audacieux.

— Suicidaire, oui.

Il me jette un regard mauvais :

— Fais la maligne ; un jour tu céderas et tu ne pourras plus t’en passer.

— On verra.

Lassé, Rémi accélère et force Mathis à le suivre au milieu de la piste. Je m’apprête à les rejoindre quand Rojas apparaît dans mon champ de vision, de l’autre côté du muret qui borde la patinoire. Je fais mine de ne pas l’avoir remarqué mais il fonce directement dans ma direction.

— Murphy ! crie-t-il. Attends !

Je fais pivoter mes patins afin de bloquer ma course. Rojas n’est visiblement pas là par hasard.

— Tu veux quoi ? demandé-je en adoptant un air énervé.

Il s’arrête contre le rebord et se penche vers moi. Je remarque alors les nombreuses cicatrices qui couvrent son front et ses arcades, ses joues griffées et le pansement sur son nez.

— Juste parler. Deux minutes.

Je jette un coup d’œil vers Rémi et Mathis, allongés sur la glace dans une posture visiblement inconfortable. Ils ne nous ont pas remarqués.

— Comment tu m’as trouvée ? T’es pire que le FBI.

Il me montre l’écran de son téléphone.

— La localisation Snap.

— Tu m’as espionnée ? soufflé-je, offusquée.

Je décide de désactiver ma localisation à partir de ce soir.

— Non ! Il fallait que je te voie.

— Je suis avec mes amis, là.

Je m’éloigne du muret, mais ça ne semble pas le déstabiliser parce qu’il l’enjambe pour rejoindre la piste. Comme il ne porte pas de patins, il a du mal à avancer et finit par chuter. Je l’observe pendant qu’il se relève, les mains pleines d’engelures, partagée entre la pitié et l’agacement.

— C’est à propos de Serena, me lance-t-il.

Je m’arrête aussitôt.

— Qu’est ce que tu lui veux ?

— Je dois lui parler. C’est une question de vie ou de mort.

Son visage exprime une détresse sincère.

— C’est quoi le problème ?

— Dis à Serena que Hurle et Strige veulent le sac, et que si elle ne le leur rend pas, ils me tueront.

— Comment ça ils te tueront ? C’est une blague ?

— Tu lui diras ? C’est vraiment important.

Je me rapproche de lui.

— Rojas, réponds à ma question. Explique-moi !

— Je te raconterai une autre fois, c’est une longue histoire et… compliquée surtout. Oh, s’il te plaît, promets-moi de lui dire.

— D’accord. Mais je ne la verrai peut-être pas avant plusieurs jours…

Il se mord les lèvres.

— Le plus tôt sera le mieux.

Je hoche la tête et demande avec appréhension :

— Serena a fait une connerie ?

Il secoue la tête.

— Non. Écoute, ça te dirai qu’on se capte… je sais pas mercredi après les cours ? Jeudi ? N’importe quand, en fait. Je t’expliquerai tout et… on pourrait passer un bon moment, non ?

Je détourne le regard, gênée. Que s’imagine-t-il ?

— Je suis vraiment occupée en ce moment, désolée. Je ne pourrai pas tout de suite. Mais si jamais j’ai un moment de libre… je t’enverrai un message, d’accord ?

Il semble triste. Il acquiesce doucement.

— Merci, pour Serena. Sans toi… je ne sais pas ce que j’aurais pu faire.

Un employé avec une casquette s’approche de nous en regimbant et engueule Rojas parce qu’il salit la piste avec ses pieds sales. Mais Rojas ne semble pas l’entendre, ou alors est-il trop perdu dans ses pensées pour réagir. Je lui attrape le bras avec calme et il me sourit tristement avant de s’excuser auprès de l’homme à casquette et s’éloigner, bien plus lentement qu’il n’était apparu.

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