Serena
Ai dit non à Juan Martinez. Étions en train de nous choper gentiment, quelques bisous c’est tout, dans l’arrière-boutique de ses parents. A commencé à me tripoter avec insistance. Ses parents juste derrière la porte. Ai dit non, non, pas ici, plus tard. A secoué la tête, ses beaux cheveux bruns ondulés, et a continué. A faufilé sa main sous mon tee-shirt pour toucher mes seins. Voulait « passer à l’étape suivante ». Pas moi. Pas encore. Pas tout de suite. Ai attrapé sa main pour l’écarter. M’a encore embrassée, de ses grosses lèvres brillantes. Ai senti ma volonté s’effriter. Sa main est descendue, plus bas. Furieuse, l’ai repoussé, insulté et peut-être bien giflé. Suis partie en courant. Ses parents m’ont regardé d’un œil noir. Ne suis pas une pute. Ne suis la pute de personne.
La silhouette raide de Strige se dessine au bout de la rue, juste devant la porte de mon chez-moi. Il m’observe, sans bouger. Je jette un coup d’œil inquiet aux alentours. Aucune trace de Hurle. Je continue d’avancer, l’air de rien, et je serre mon téléphone comme s’il s’agissait d’un couteau. Il est sept heures passées, le soleil est couché depuis un certain temps déjà et je ne vois pas son visage. Que veut-il ? Parvenue à dix mètres de la porte, le corps de Strige s’active et il s’amène.
— Salut, marmonne-t-il d’un ton formel.
— Salut. Y’a un problème ?
Il hausse les épaules en faisant la moue.
— Je sais pas. À toi de me dire.
Un craquement sec retentit derrière moi. Je me retourne aussitôt, effrayée. Juste un chat. Foutu chat.
— Où est Hurle ?
— Hurle fait sa vie, rétorque-t-il d’un ton énigmatique.
Nous restons face à face, silencieux, quelques instants.
— Que se passe-t-il ? insisté-je. Sérieusement.
Il me regarde droit dans les yeux.
— J’ai… reconsidéré la situation…
— Oui ?
—…et je pense que finalement, Rojas est peut-être innocent.
Je sens mon pouls s’accélérer ostensiblement.
— Non ! Enfin… je veux dire… pourquoi ?
— Écoute, même quand on le harcèle, il continue de réfuter. Il ne possède vraiment pas la drogue.
— Il ment, déclaré-je en serrant les dents. C’est évident.
Mais Strige n’est pas d’accord. Il n’est plus d’accord.
— Non. Ce n’est pas lui. On a failli le crever, et toujours rien. D’ailleurs… on est peut-être allé un peu trop loin. Le chien, c’était l’idée de Hurle. Rojas n’a pas cette foutue beuh. Rojas est un idiot de première, incapable d’envisager de voler ne serait-ce qu’un bonbon à son frère. Je pense que quelqu’un l’a manipulé.
J’essaie de me détendre, de maîtriser ma voix avant de répondre :
— Rojas avait tout calculé, j’en suis sûre. Strige… fais-moi confiance, d’accord ? Je te dis que c’est lui !
Strige plisse les yeux et son visage s’assombrit. Il tend vers moi un doigt accusateur :
— Peut-être que… peut-être que Rojas a raison. Peut-être qu’en fin de compte, c’est toi la menteuse. L’embrouilleuse. La traîtresse. T’en penses quoi ?
— Strige… ne l’écoute pas. Je n’ai aucun intérêt à faire ça !
— Aucun intérêt ? Tu es sûre ? Endettée comme tu es ? Avoue que c’est un beau coup. Confier le sac à un type qui t’aime bien. Nous venons voir le type, qui ne cache pas qu’il a la drogue – pourquoi le ferait-il, lui qui pense aider une amie ? – et qui nous promet de nous la restituer le lendemain. Et voilà que tu arrives, tu t’interposes et tu récupères le sac sans nous en informer. Ensuite, tu accuses le type d’avoir volé la drogue et nous te faisons confiance puisque après tout, tu es dans notre camp depuis plusieurs années. Pendant ce temps, tu vends le sac et à toi les mille balles.
Je grimace.
— Je ne suis pas stupide, Strige. Pas stupide au point de tenter un coup de bluff pareil. D’un, parce que je ne trahis pas mes amis, qu’il s’agisse de toi ou de Rojas. De deux, parce qu’il était inévitable que tu en viennes à m’accuser. Et ça, Rojas le savait. D’où son son déni.
Strige me fixe de son œil froid, son œil de zombi qui n’éprouve absolument aucune sensation. Puis, un sourire se profile sur ses lèvres. Peut-être un peu trop forcé pour être vrai, mais qu’importe, c’est un sourire.
— Non, tu as sûrement raison. Tu ne t’abaisserais jamais à ce genre de bas-coups. Tu n’oserais pas, n’est-ce pas ? Tu n’oserais pas car tu sais que personne ne trahit Strige. Car Strige n’est pas un gars patient. Car sa vengeance serait… terrible.
J’opine avec circonspection. Rassuré, Strige me serre dans ses bras, mais c’est une étreinte tout ce qu’il y a de professionnel, sans amour, comme si un univers entier séparait nos deux corps.
Un mensonge, peut-être.
Annotations
Versions