Murphy
Dans des ténèbres seulement troublées par les braises rougeoyantes sur l’embout des clopes que fument les gens amassés autour de nous, nous sommes allongés à même le sol sur le tapis en laine et je confie à Rémi des choses irracontables du style : « Une fois, je me suis réveillée à l’autre bout de la ville sans savoir comment j’étais arrivée là. Tout ce qui s’était passé avant… c’était comme envolé, avalé, un trou noir, le néant. (Rémi a prononcé un mot que je n’ai pas compris, quelque chose comme « Nil » ou « Nihil ») Je veux dire, je n’avais aucun souvenir. Et ça m’est encore arrivé il y a… » ou bien « Je ressens parfois une présence dans ma tête, comme quelqu’un qui cherche à me parler. » ou encore « Je ne crois pas en la télépathie, mais… ». Quelqu’un m’attrape alors la jambe et entreprend de me retirer ma basket. Je sursaute en frissonnant et donne des coups de pieds dans le noir. Quelqu’un se prend un coup et proteste, sans vigueur. Plus loin, les échos de ronflements irréguliers, un ballon qui se gonfle, et la musique, du rap.
J’entends des pas dans les escaliers et je présume que Christian sort enfin des toilettes (j’ai l’impression qu’il y a passé une éternité, mais j’ai certainement trop bu). Il se fraie un chemin dans l’obscurité et finit par me trouver. Je lui touche le visage d’une main lasse et il me dit qu’il est désolé d’avoir mis autant de temps. À côté de moi, Rémi (pourtant loin d’être le plus défoncé) prend des photos de sa tête et les envoie à des gens au hasard sur son répertoire.
Des éclats de rires incontrôlés montent et, quelques secondes plus tard, quelqu’un nous tend un ballon de baudruche rempli de gaz et nous invite à « Tenter ça ». J’inhale un peu d’air, ça pique la gorge et des étoiles montent dans ma tête. Prise d’une subite crise d’euphorie, je serre Christian dans mes bras tandis qu’il prend une minuscule bouffée d’air dans le ballon, sans sembler la respirer vraiment.
— Tu triches ! protesté-je en riant.
Il sourit d’un air désolé (enfin je crois qu’il sourit, la luminosité est bien trop faible).
— Je veux conserver ce qu’il me reste de dignité, explique-t-il, plaisantant à moitié.
Néanmoins, il porte à nouveau le ballon à sa bouche et inhale profondément. Soulagée, je me laisse tomber dans ses bras et il m’embrasse dans le cou, en appliquant des pressions à divers endroits avec ses lèvres. Le gaz aidant, je sens l’excitation monter en moi et je gémis doucement, en espérant que personne ne m’écoute autour. Mais Christian, lui, l’entend et cela semble l’encourager car il remonte jusqu’à mes lèvres, qu’il embrasse tendrement. Je me penche à son oreille et susurre : « Il y a trop de gens », alors il s’accroupit, je passe mes bras autour de ses épaules et il me soulève avec facilité avant de nous amener plus loin. Personne ne fait de commentaires. Les autres sont trop occupés à vider des ballons.
Christian pousse une petite porte sous les escaliers et nous nous retrouvons dans une sorte de placard à balais. Il allume la lumière, qui nous éblouit et je remarque alors ses mains.
— Tu as du sang sur les mains ! Tu t’es battu ?
— Non, c’est juste… j’ai saigné du nez, ajoute-t-il d’un air embarrassé tout en essuyant ses mains sur son pantalon. Rien de grave.
Soulagée, je me précipite à nouveau sur lui. Il éteint les lumières et je le plaque contre le mur du fond, entre divers outils de nettoyage. Ses pieds balaient des produits ménagers. Je continue de l’embrasser et faufile mes mains sous son tee-shirt pour palper son torse, ses abdominaux (qu’il maintient gonflés à bloc pour m’impressionner, j’en suis convaincue). Il commence également à me toucher, d’abord à la taille et aux épaules, timide, puis sa main effleure un de mes seins que je m’empresse de plaquer contre lui en soupirant.
— Oh, fait-il.
Je presse mon corps contre le sien et tâte le relief en dessous de son ventre, fébrile. Je ne sais pas vraiment quoi faire, alors je le laisse prendre le dessus et c’est lui qui me guide, il dépose quelques baisers entre mes seins, mais soudain, sa main passe sous mon pantalon et frôle mon entrejambe et je me fige, un flot d’horribles souvenirs remontant à moi, m’envahissant et me bloquant totalement. Mon souffle se coupe et je m’écarte de lui avec brusquerie, comme s’il était dangereux. Il me regarde sans comprendre, d’un air inquiet, et une partie de moi meurt d’envie de me plonger à nouveau dans notre étreinte, de tout oublier. Je m’étrangle et me penche comme pour vomir, et quand je relève la tête, ce n’est plus Christian qui se tient devant moi, c’est mon oncle, le visage déformé par une affreuse grimace, qui me dévore d’un œil fou. Mon cerveau me crie de fuir mais je ne veux pas, je ne sais pas quoi faire. Christian dit quelque chose, peut-être mon prénom, mais sa voix est déformée, mêlée à celle de mon oncle. Il s’approche de moi comme pour me rassurer ; ou bien veut-il me faire du mal, comme il le fait à chaque fois. Je suis incapable de faire la différence, alors quand il me touche, un frisson d’effroi me transit le bras et je me mets à hurler à pleins poumons, pour que ce cauchemar prenne fin.
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