Christian
Elle me regarde comme si j’étais un monstre et moi-même, j’ai l’impression d’en être le reflet. J’applique une légère pression sur son bras pour lui signifier que je ne lui veux pas de mal, que je suis inoffensif. Mais cela n’a aucun effet. Ses yeux sont déformés par la peur et ses cheveux mêlés et plaqués sur son front par une transpiration glaciale. Tout son corps est secoué de tremblements convulsifs, ses mains s’ouvrent et se referment de façon mécanique et incontrôlée. Et elle hurle.
Je n’ose pas coller une main sur sa bouche pour la faire taire, même si cela pourrait peut-être la calmer un peu. Dès que je la touche, ou que je fais mine de m’approcher, elle se replie sur elle-même comme si je représentais une terrible menace. Elle se met en boule dans un coin et je répète plusieurs fois « Murphy, Murphy ! », je lui dis « Écoute moi, je t’en prie ! », je lui dis « Je t’aime ! », je lui demande « Qu’y a-t-il ? Quel est le problème ? », mais tout est comme dans un rêve, lointain, un fleuve infranchissable nous sépare et toutes mes tentatives pour le traverser sont vaines.
À nouveau, elle lève les yeux vers moi, et comme je n’esquisse aucun mouvement, elle semble se calmer un peu, sa respiration ralentit et elle cligne des yeux comme si elle retournait à la réalité.
— Murphy… Dis-moi ce qu’il se passe !
Mais elle rechute, la crise repart. À nouveaux les convulsions, le visage pâle et terrifié, les cris aigus… Je me maudis d’être aussi inutile, incapable. Mauvais. Ses hurlements me nouent l’estomac.
Des pas approchent du placard, sûrement les autres jeunes alertés par les cris.
Je décide de tenter le tout pour le tout et attrape Murphy avec force avant de la serrer contre moi, contre mon torse, je lui souffle à l’oreille qu’il ne lui arrivera rien, que ça va passer. Mais soit elle n’entend pas, soit son corps n’obéit pas. Elle pousse un cri à déchirer les tympans et me frappe violemment le ventre, la poitrine. Elle ne veut pas de moi.
La porte s’ouvre derrière moi et des mains m’attrapent les épaules sans ménagement avant de me tirer loin de Murphy. Une boule de rage en fusion gonfle dans tout mon être et soudain, j’ai la certitude que les gens autour de moi sont coupables du malheur de Murphy, que le monde entier est responsable et doit être puni, alors je cogne à droite, à gauche, mon poing heurte une tempe, une mâchoire, assomme une personne, peut-être une deuxième, du sang gicle d’un sourcil explosé, des postillons amères surgissent d’une bouche distordue, une bouteille de bière traverse mon champ de vision, tout se passe comme le ralenti d’un film, un Noir costaud m’assène sa poigne de fer dans l’estomac, je me courbe et crache mes tripes avant de lui foncer dessus en hurlant comme un démon, je le plaque par terre et frappe sa sale gueule, je lui casse peut-être le nez parce qu’il y a un horrible craquement et rapidement, mes mains sont couvertes de sang, je ne sais pas de quel sang il s’agit mais je m’en fiche, je continue de frapper mais à ce moment là, quelqu’un envoie son talon percuter mes deux omoplates et temporairement, mon souffle se coupe et je roule sur le côté, touché, puis on me roue de coups, on m’insulte, on décharge sa haine sur moi, je sais que je la mérite mais je leur crie quand même « Je vous emmerde, je vous emmerde tous ! » et alors que je suis assiégé de toutes parts, on me gueule de la fermer et une fille féroce me gifle et me crache dessus, je la traite de salope, ce qui ne lui plaît pas, elle me tire une oreille, si fort que j’ai peur qu’elle me l’arrache ou me la décolle, j’ai encore la force de me dégager, la repousser et lui promettre mille souffrances et soudain, le colosse noir se dresse face à moi, les joues gonflées de fureur, la bave aux lèvres, du sang coulant de son nez et je comprends que c’est fini, que je ne me relèverai pas, et le Noir crie quelque chose, j’arrive presque à discerner le flot sanguin qui parcourt les veines sur son front et il lève son poing et…
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