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Après une attente interminable, un vieil homme t’accueille, empathique de prime abord, mesuré par la suite, réfractaire enfin. Ton histoire, à mesure que tu la racontes, le fait déchanter. Mais de quoi ont-ils peur, bon sang ?
Sale Blanc ?
Français de merde ?
Êtes-vous vraiment certain d’avoir entendu ces mots ?
Sûr et certain ! réponds-tu, étonné de cette coïncidence.
Ta réponse plonge l’interlocuteur dans un silence préoccupant, d’une longueur absurde.
Ses yeux ne quittent plus la déposition avortée tandis que ses doigts tapotent nerveusement contre son bureau. Une mélodie agaçante, régulière. Comme un supplice chinois.
On peut rien faire contre ce genre de racisme. On considère souvent qu’il n’existe pas. Bref, votre plainte, j’ai bien peur qu’elle n’aboutisse pas. Et quand bien même elle aboutirait, ils s’en sortent toujours. Au mieux, prison avec sursis. Pour être honnête, ce ne sera pas la première, ni la dernière. Le racisme n’a qu’un sens, j’en ai peur. Je compatis.
Mais tu n’en démords pas. Insistes. Persistes.
Ce sera long, vraiment long, Monsieur. Cela va se chiffrer en année. Pour quoi ? Pour rien du tout. Croyez-moi, cela fait dix ans que je bosse ici, pas vu une seule inculpation pour racisme envers un blanc. Même pour coups et blessures. Je ne devrais pas dire ça, mais ce genre de plainte n’est pas vraiment recevable, surtout vu le contexte actuel. C’est politique, vous comprenez ? En revanche, vous pouvez faire une main courante. Ce sera inclus dans nos statistiques.
Tu as beau persister, tu ne signes pas : au diable la main courante ! Tu désires une plainte conforme à la réalité, la justice de ton côté pour aller jusqu’au bout, quitte à foncer droit dans le mur. Courtois malgré ton agacement, tu demandes à rencontrer un autre agent, et te heurtes à un refus sans doute déguisé : ils sont tous occupés. Dépassés.
Personne ne te conseille de revenir un autre jour.
Ce que tu feras.
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