Les traces laissées par les étoiles disparues
Je viens de finir mes affaires. Chaque chose est à sa place dans mon Grand California. J'ai dit au revoir à ma mère. J'ai bien vu la frayeur dans son regard, mais je n'ai pas su comment réagir. Je fais monter Starlight dans le van qui est maintenant notre maison, notre chez-nous. Je fais un dernier signe à Maman et j'allume le contact. Nous prenons la route pour le Sarek avec "Playground" de Bea Miller en fond sonore. Au revoir la région parisienne toute polluée et la souffrance. J'en ai marre, je veux vivre.
L'ennui de prendre la route d'une telle façon est que, premièrement, je ne me suis pas du tout préparée psychologiquement et je commence à m'en rendre compte, et deuxièmement, je me retrouve face à ma solitude et, honnêtement, ça pique. En trois semaines, j'ai rarement été toute seule. Il y avait Maman quasiment toujours dans la même pièce que moi, et Thomas, mon jumeau, était rentré d'Irlande pendant deux semaines. Donc, pour être plus précise, c'est à peu près la seule fois que je me retrouve seule depuis la mort de Lucas. Et ça fait mal. Même très mal. Je vois bien que Starlight se rend compte que quelque chose ne va pas. Au début, il pleurait tout le temps et cherchait Lucas partout dans l'appartement. Puis j'ai décidé de partir pour aller chez Maman et il s'est un peu calmé. Prendre le van n'aide pas non plus. Je me souviens des heures durant lesquelles je conduisais et Lucas était à côté, à faire le copilote, certes un peu catastrophique, mais bon, je l'aimais donc ça passait, et à mettre de la musique. On rigolait bien. Je sais bien que je me retourne à peu près toutes les cinq minutes en commençant à lui parler, mais c'est le vide qui me répond. Et la chute est plus que brutale. Elle est infinie. Presque. Je tiens la route grâce à Starlight et aux messages de Thomas. Il est le seul qui continue de me parler réellement, qui n'hésite pas à me sortir des pensées. En parlant du loup, il vient de m'envoyer un message. J'ouvre ce dernier et découvre un lien. Et pour la première fois en trois semaines, je rigole. Pas un peu, mais un vrai fou rire. Ce con m'a envoyé la chanson "Plus Fort" avec le clip qu'on avait fait. Je suis sur son dos, avec une perruque rose fluo, des lunettes beaucoup trop grandes, une fausse moustache et des paillettes de partout. Lui est habillé d'un tee-shirt troué de partout, ses cheveux teintés en bleu, on avait fait une coloration vers trois heures du matin, et du maquillage de partout. En montant le son, j'entends la voix de Lucas. Je me prends une claque. J'arrête de rigoler tout de suite. C'est la première fois que j'entends sa voix depuis son décès. Qu'est-ce qu'il m'avait manqué. J'ai envie de l'insulter, de le frapper, de le maudire pour m'avoir laissée comme ça, mais aussi de le serrer dans mes bras plus fort que jamais et de l'embrasser comme la première fois. Lucas, mon vieux, t'es pas cool. Je te le dis. Le deal était qu'on devait partir en même temps, alors pourquoi tu ne l'as pas respecté ? C'était si compliqué que ça ?
Je n'ai pas la foi de me coucher dans notre lit. Je vais dormir sur le siège passager que je vais allonger. Certes, ça va être bien moins confortable, mais je ne peux pas. Si jamais je vais dormir là-bas, je sais que je risque de ne plus jamais me lever. C'est déjà si compliqué de ne pas m'endormir dans ses bras et de me réveiller en comprenant que je suis seule. Je ne peux pas vivre ça en plus dans notre lit. Je m'arrête d'un coup dans mon mouvement quand j'entends quelqu'un frapper à ma porte. Je commence à paniquer. Jamais je ne me suis retrouvée dans une telle situation. Je ne suis jamais partie seule avec le van. C'est Lucas le vadrouilleur du couple, pas moi. Starlight commence à s'agiter aussi. J'ouvre un peu la fenêtre afin de ne pas être exposée.
"Manon, ça va ? Je connais la voix. Je le sais. Je n'arrive juste pas à trouver d'où. Manon ? Je suis désolé, je ne voulais pas te faire peur, je te promets. C'est juste que, bah, ta mère m'a prévenu que tu partais avec ton van et que tu risquais de t'arrêter dans le coin. Et elle avait peur et euh, bah, j'ai reconnu le van et euh..."
Alex, c'est bon, t'inquiète. Je te promets par contre que t'as pas intérêt à me refaire peur comme ça sinon tu risques de le regretter fortement.
Genre comment, Manon ? dit-il d'un ton rieur.
Genre si tu veux des enfants plus tard, tu ferais mieux de t'abstenir... J'ai à peine prononcé cette phrase que je le regrette immédiatement. Il y a à peine trois mois, avec Lucas, nous nous étions mis d'accord pour commencer à essayer d'avoir des enfants...
Eh Manon, tu m'ouvres ou non ? C'est pas que j'aime pas être dehors dans le froid et le noir, mais bon quand même. S'il te plaît !
Attends. Déjà, comment t'es venu ici ? Et tu comptes faire quoi exactement là ? demandai-je en ouvrant la porte et le laissant rentrer dans le petit habitacle.
Bah, je suis venu voir comment t'allais et puis bah je pars avec toi !
Hein ? De quoi ? Attends, comment ça, Alex ? De quoi tu pars avec moi ? Et déjà, comment tu sais que je pars ?
Manon, t'es la jumelle de mon meilleur ami, on se connaît depuis qu'on a cinq ans, vas pas croire que je te connais pas, ma vieille. En plus, comme je t'ai dit, Maman Reynolds m'a appelé pour me demander d'aller te voir et j'aurais jamais les couilles de dire non... Je tiens trop à ma vie et au fait de pouvoir faire des enfants plus tard !
Ok, donc là je vais où ? Je pars combien de temps ? T'es vraiment prêt à me supporter dans ce van ?
Waw, waw, waw. Minute papillon. Enfin plutôt minute Reynolds. Tu vas dans le nord en Norvège.
En Suède, Dubois, je vais en Suède ! Tu vois, tu sais même pas où je vais ! Je te jure, je t'adore Alex, mais non. Pour notre bien-être en tant qu'amis, non.
Attends, il y avait deux autres questions. Tu pars, bah je ne sais pas, parce que t'as plus de taf et visiblement rien qui te retient puisque je viens avec toi, ma vieille, et que je peux bosser depuis partout tant que j'ai mon ordi et de la connexion internet ! Et oui, je suis vraiment prêt à te supporter dans ce truc qui roule là. Donc on fait quoi maintenant ? On mange ? Parce que j'ai la dalle, moi. Je ne me suis pas fait quinze bornes à pied pour rien !
Alex, t'habites à même pas cinq kilomètres d'ici... T'en as pas fait quinze !
Ok, peut-être que j'en ai un peu rajouté, mais ça rendait mieux ! Bon, let's go manger. C'est quoi au menu, Reynolds ?
Euh... Je sais pas, je suis partie avec rien.
Et comment tu comptais dîner ? J'imagine que t'allais pas prendre les croquettes de Starlight. D'ailleurs, comment tu vas, mon vieux ?
Bah, euh, j'avais pas faim. Et j'étais fatiguée donc bon.
Ok, Reynolds, on fait une réunion d'urgence. Assieds-toi, je fais un truc.
Je te jure que si tu appelles Thomas, je te tue, Dubois.
Eh oh ! Je te rappelle qu'il est mon meilleur ami et que donc je peux l'appeler quand je veux !
Mais ! Mec, dans ce cas, va le voir en Irlande ! Pourquoi tu t'enquiquines avec moi ? Pourquoi aller avec la sœur de ton meilleur pote ? Vas le voir directement !
Ouais, mec. Je t'ai déjà dit que ta sœur était genre hyper têtue et relou ?
Pas la peine, t'inquiète, je sais. Attends, mais t'es où là ? Pourquoi y a Starlight ? Salut mon coco ! Bah oui, je sais, ton tonton trop cool te manque !
Eh ! Les gars ! Je suis là ! Et Thomas, Starlight est un chien !
Ah ma cocotte, ça va ? Non, question bête, oublie. Bon, tu pars où cette fois ?
On va en Norvège dans le nord ! affirme Alex avant même que j'aie le temps d'ouvrir la bouche.
Oh trop bien ça ! Je veux plein de photos et au minimum un appel en visio par journée !
Mais non ! On va pas en Norvège !!
Ah mince, on va où déjà alors ?
En Suède ! On va dans le Sarek !
Ah oui ! T'abuses, Norvège, Suède, c'est pareil.
Oui, je suis d'accord avec Dubois, c'est la même. Franchement Manon, t'abuses ! dit-il en rigolant et me faisant un clin d'œil. Je rigole avec lui pour la deuxième fois de la journée.
Eh mais d'ailleurs, Reynolds, pourquoi on va là-bas ?
T'es sérieux mec ? commence mon jumeau.
Eh, Tom, t'inquiète, ça va, je gère. réponds-je calmement. Je veux aller mettre les cendres de Lucas au-dessus du cercle polaire. Et marcher dans le Sarek. On en a toujours rêvé.
Stylé !
Mec, t'es sérieux vieux ?! Ma sœur te dit tout ça et toi tu réponds stylé ?
Bah quoi ? C'est quoi le problème ? Oui c'est triste, mais genre je vais pas non plus insister là-dessus parce que putain ça va être long sinon...
Il a pas tort Tom... Faut que j'arrive à avancer. J'en peux plus là... Et avoue que c'est stylé de vouloir aller marcher dans le Sarek ! Quand même ! C'est pas ton mont Croagh Patrick là !
Oh les gars, faut que je vous avoue un truc ! J'ai toujours pensé que c'était le Mont Croque Patrick. Je me disais que la montagne avait dû bouffer le saint Patrick...
Mais t'es sérieux mec ? Mais comment on fait pour être meilleurs amis depuis vingt ans ?
Je laisse les garçons rigoler par téléphone et sors m'asseoir et regarder les étoiles. Au bout d'un moment qui me semble assez long, Alex sort. Il me voit trembler et me tend un vêtement. C'est au bout d'un moment que je me rends compte de quel pull il s'agit. Le rouge. Celui avec lequel tout a commencé. "Vous m'aviez volé mon pull rouge..." Oh mon Lucas, tu me manques, tu sais ça ?
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