La lumière des étoiles oubliées

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Le soleil se lève doucement à l’horizon, éclairant les rues désertes de Mölle Harbor. Les premiers rayons chauds caressent les façades des maisons endormies, créant des ombres mouvantes sur le sol. Une brise légère agite les drapeaux sur le port, apportant avec elle le parfum frais de la rosée du matin lié à celui iodé de la mer. Au loin, entre le port et la côte en face de la digue, deux personnes surfent. Je me dis que j’aimerais bien surfer. Là, tout de suite, sentir ce shoot d’adrénaline semblable à celle que je retrouvais pendant une course. Alex dort encore. Il est assez tôt, à peu près six heures, le soleil est en train de se lever. Chaque recoin de la petite ville me rappelle des précédents voyages avec Lucas. Nous aimions venir ici. On prenait nos surfs et allions dans l’eau dès que la météo annonçait des vagues. En regardant les deux surfers j’ai l’impression de nous voir tous les deux. Heureux, vivants.

Je reste là, assise au bord de la jetée à observer les surfers pendant un moment. Vers sept heures Alex me rejoint. Nous ne parlons pas. Chacun a son casque audio, écoute sa musique, est dans son propre monde, ses pensées, souvenirs. Ça fait maintenant huit jours que je suis partie de la maison. Je n’ai aucune idée de quand je vais rentrer et encore moins de quoi faire. Rester dans le déni est tentant mais je ne peux pas. Je suis plus que consciente qu’à un moment il faudra que je trouve quoi faire. Entraîneuse ? Étudiante ? Pourquoi pas mais en quoi ? STAPS ? Langues ? Droit ? Médecine ? Honnêtement, je ne sais pas du tout.

“Je dois changer mon nom de famille tu penses ?

J’ai pas compris là. Répète.

Je dois changer de nom ?

Attends, pourquoi tu me demandes ça ?

Je réfléchissais. Est-ce-que je peux toujours m’appeler Manon Reynolds alors que Lucas est mort ? Je devrais pas reprendre mon nom de jeune fille ?

Bah non, enfin je ne pense pas. Remarque j’imagine que ça dépend de ce que tu veux toi. Tu préfères quoi ?

Franchement, je ne sais pas du tout… J’ai l’impression que ce serait le trahir et puis à chaque fois que j’entends Reynolds c’est comme si il était encore un peu là.

Bah ne le change pas alors.

C’est si simple que ça tu penses ?

Ouais j’imagine. Tu ne veux pas changer de nom, bah alors garde le.

Si tu le dis…”

Et chacun se replonge dans ses pensées avec sa musique. Le temps passe sans que je m’en rende compte. Le vent frais fouette mon visage abîmé par toutes les larmes qui y ont coulé dernièrement. Les gouttes que je reçois à cause des vagues me brûlent mes joues creusées. Le vent est froid. On est mi mai. Il doit faire onze degrés. Même pas avec le vent. Et pour autant je veux toujours aller dans l’eau, avec une planche et surfer jusqu’à tout oublier et sentir mes muscles me brûler à cause de l’effort. Je suis sûre que ma board doit être quelque part avec ma combinaison dans le Grand California. Probablement dans le coffre, sur la gauche, le long du lit que je n’utilise plus. Je ne sais pas ce qui me retient d’aller la prendre. La peur de découvrir que suite à l’accident je ne vais pas pouvoir utiliser mes jambes comme je le souhaite ? La crainte d’être assaillie par des souvenirs trop nombreux et douloureux ? L’angoisse de m’enfoncer dans l’eau, de ne pas réussir à remonter à la surface et de me noyer pour de bon ? Ou la peur de reprendre goût à la vie, de ressentir des émotions, du bonheur, de la fierté, d’être heureuse à nouveau ? Et puis mince à la fin. Il est temps que je reprenne vie.

Je me lève lentement, le cœur battant, comme si chaque pas vers l’eau était une petite victoire sur mes peurs. Je jette un dernier regard aux surfers qui glissent avec aisance sur les vagues, leurs rires résonnant dans l’air frais du matin. Une bouffée d’envie m’envahit. Je veux ressentir cette liberté, cette légèreté qui semble leur appartenir.

« Alex, je vais chercher ma planche, » dis-je finalement, ma voix à peine audible au-dessus du bruit des vagues. Il retire ses écouteurs et me regarde, un sourire d’encouragement sur le visage.

« Tu es prête, Manon. Tu peux le faire. » Ses mots résonnent en moi comme un mantra. Je hoche la tête, déterminée, et me dirige vers le Grand California. Chaque pas me rapproche de cette partie de moi que j’ai laissée de côté, celle qui aime l’eau, le surf, et les moments partagés avec Lucas.

En ouvrant le coffre, je découvre ma planche, un peu poussiéreuse mais toujours aussi belle. La combinaison est là aussi, pliée avec soin. En la touchant, je sens une vague de souvenirs me submerger : les rires, les chutes, les victoires sur les vagues. Je me rappelle de Lucas, de son sourire radieux après une bonne session. C’était notre échappatoire, notre bonheur.

Je prends une profonde inspiration et enfile ma combinaison. Elle est un peu serrée, mais cela ne fait rien. Je suis prête à affronter mes démons. Je retourne vers la plage, la planche sous le bras, le cœur battant la chamade. Le vent frais me fouette le visage, et je sens une montée d’adrénaline.

Les surfers me lancent des regards curieux, mais je ne me laisse pas distraire. Je me concentre sur l’eau, sur les vagues qui dansent devant moi. Je m’avance, mes pieds s’enfonçant dans le sable humide, puis je me retrouve face à l’immensité bleue.

Je me mets à genoux sur ma planche, puis je me lève lentement, les jambes tremblantes. La première vague arrive, et je me lance. L’eau froide m’enveloppe, et je sens une montée d’énergie. Je glisse, je tombe, je me relève. Chaque mouvement me rappelle que je suis vivante, que je peux encore ressentir.

Les larmes coulent sur mes joues, mais cette fois, ce ne sont pas des larmes de tristesse. Ce sont des larmes de libération. Je surfe, je tombe, je ris. Je sens Lucas avec moi, dans chaque mouvement, chaque éclat de joie.

Quand je sors de l’eau, le sourire aux lèvres, je sais que je ne suis pas seule. Je suis Manon Reynolds, et même si Lucas n’est plus là, il vit à travers moi, dans chaque vague que je surfe, dans chaque souvenir que je chéris. Je suis prête à avancer, à vivre, à aimer à nouveau.

Je me tiens sur la plage, le cœur encore battant de l’excitation de ma première session. L’eau salée glisse le long de ma peau, et je sens une chaleur nouvelle se répandre en moi. Je regarde Alex, qui m’applaudit avec un grand sourire, et je ne peux m’empêcher de rire. C’est comme si un poids s’était levé, comme si chaque goutte d’eau emportait avec elle une partie de ma douleur.

« Tu as vu ça ? » crie-je, encore essoufflée. « J’ai réussi ! J’ai surfé ! »

« Bien sûr que j’ai vu ! » répond-il, les yeux brillants d’enthousiasme. « Tu es incroyable, Manon ! »

Je me sens légère, presque flottante. Je sais que ce n’est qu’un début, mais c’est un pas vers la guérison. Je me dirige vers lui, et nous nous asseyons sur le sable, le soleil réchauffant nos visages.

« Tu sais, » commence Alex, « je pense que Lucas aurait été fier de toi. Il aurait adoré te voir surfer à nouveau. »

À cette pensée, une vague d'émotions m’envahit. Je ferme les yeux un instant, imaginant son sourire, sa voix encourageante. Je me rends compte que, même si je ressens un vide immense, il y a aussi une force en moi qui ne demande qu’à s’exprimer.

« Je veux continuer, » dis-je finalement, ma voix plus ferme. « Je veux surfer, voyager, vivre. Je ne veux pas que sa mémoire soit synonyme de tristesse. Je veux qu’elle soit une célébration de tout ce qu’il était.

Alex acquiesce, et je vois dans ses yeux qu’il comprend. Nous restons là, à contempler l’horizon, le bruit des vagues en fond sonore. Le temps semble s’étirer, et je me sens en paix.

« Que dirais-tu d’un changement de plan ? » propose-t-il soudain. « On pourrait aller sur la côte, découvrir de nouveaux spots de surf. Ça pourrait être génial ! »

L’idée me fait sourire. L’aventure, le changement d’air, la promesse de nouveaux souvenirs. Je hoche la tête avec enthousiasme.

« Oui, faisons ça ! Je veux voir d’autres plages, rencontrer d’autres surfers. Et peut-être même participer à une compétition. »

Alex éclate de rire. « Une compétition ? Tu es sûre de toi ? »

« Pourquoi pas ? » rétorqué-je, le défi dans la voix. « Je veux me prouver que je peux le faire.

Nous passons le reste de la journée à discuter de nos projets, à rêver de l’avenir. Chaque mot prononcé me rapproche un peu plus de la vie que je veux mener. Je sais que le chemin sera semé d’embûches, mais je suis prête à l’affronter.

Alors que le soleil commence à se coucher, peignant le ciel de teintes orangées et roses, je me sens remplie d’espoir. Je suis Manon Reynolds, et je suis prête à vivre pleinement, à honorer la mémoire de Lucas en embrassant la vie avec passion et détermination.

« À demain, les vagues ! » murmuré-je en regardant l’horizon, un sourire sur les lèvres. C’est le début d’un nouveau chapitre, et je suis impatiente de le découvrir.

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