Novembre 2022
4 novembre 2022
Je viens d’avoir la visite d’un médecin.
« Tu veux sortir vite ? Pour sortir, tu dois faire au moins 45kg. Actuellement tu pèses 37kg. La reprise du poids la plus rapide c’est 1kg par semaine et ça te ferrais deux mois d’hospitalisation. 1kg par semaine tu t’en sens capable ? »
J’ai répondu que oui.
C’est décidé je ne me cache plus derrière ma maladie, j’arrête de vivre dans le déni de la vie et de la réalité. J’ai des choses a faire, a voir, à vivre. Dans deux moi je suis sortie. Je ne me compare plus aux autres et j’accepte que mon corps reprenne du poids, du ventre. J’accepte quand il a faim, fatigué, trop mangé.
5 novembre 2022
J’ai eu 19 ans aujourd’hui. C’était étrange de me dire que j’ai une année de plus derrière moi surtout qu’elle est passé tellement rapidement. Si je dois faire un bilan de mes 18 ans, je dirais qu’il y a eu du bon (devenir plus indépendante voyager reprendre les cours en présentiel) mais aussi du mauvais, pas besoin de donner des exemples je crois. Mon premier souhait pour cette nouvelle année c’est de guérir et de tout recommencer.
7 novembre 2022
Troisième semaine à la clinique. Le temps passe beaucoup trop vite. Je vais voir avec le psy pour avoir des permissions de sortie cette semaine. J’aimerais aussi avancer sur la BD et sur mon livre parce que j’ai l’impression de ne jamais rien finir et que c’est un peu démotivant. Ma journée est presque terminé, elle était plutôt calme et sympathique: je suis allé à l’atelier écriture, j’ai fait une nouvelle peinture, du tricot, j’ai aussi vu la diététicienne pour rendre mon objectif réalisable mais j’avoue avoir très peur de ne pas maintenir mes repas demain. J’ai vraiment vraiment peur et pourtant il faut que j’y arrive. Il le faut.
J’ai deux compléments alimentaires maintenant ça va être dur, avec la sonde ça me fais 900 kcal de compléments alimentaires et ça fait peur. Déjà que j’ai eu du mal à finir mon dîner. J’ai peur pour demain car je ne serai plus en repas hypocalorique. Ça va aller. Ça va aller. Ça va aller.
8 novembre 2022
J’ai envie de pleurer. Les plateaux : j’y arrive pas. J’ai mangé tout celui du soir. J’ai envie de pleurer, de me faire vomir de disparaître. Il m’avait mis de la viande et j’ai tout mangé alors que je suis végétarienne. Je veux gerber. Le plateau du midi j’ai presque rien mangé. Et pourtant je sais que c’est exactement le bon nombre de calories pour que je puisse prendre 1 kg par semaine et réaliser mon objectif. J’ai fait deux minutes de gainage. Je vais m’enfuir de la clinique et aller courir dans un parc. Je suis coincé ici et même sur la terrasse il y a toujours des gens qui m’observe. Je ne suis jamais seule. On m’observe constamment. Je vais m’enfuir. Je ne me sens pas bien pourquoi j’ai mangé tout mon plateau, pourquoi as tu voulu goûter la sauce ? Il faut que je leur demande de m’enlever la viande. Je ne veux pas de viande, je ne veux pas de pain non plus. Je supporte plus leur compléments alimentaires. Je vais me cacher quelque part j’ai mal au ventre j’ai envie de pleurer, j’ai envie de pleurer.
11 novembre 2022
Quelque chose dont j’aimerais parler : le ventre de la renutrition. C’est quelque chose qui me fait vraiment peur. Il y a une fille à mon étage qui a ce ventre de la renutrition et j’ai peur de ma guérison si elle doit entraîner un tel changement. Déjà, après chaque repas, je rentre mon ventre, je regarde si j’ai grossi, j’ai du mal à accepter les conséquences de la prise de ce poids indiqué sur la balance. J’aimerais que tout soit facile mais après le repas je me sens pleine, énorme, sur le point d’exploser.
Je suis fière de moi car j’ai réussi à manger ma pomme. Je mets énormément de temps à manger car je fais des pauses, j’écoute des podcasts, je lis, je bois un demi-litre d’eau et quand après, la dame arrive pour récupérer les plateaux je ne finis même pas. Et j’ai réussi, aujourd’hui, à récupérer ma pomme avant qu’elle arrive et à la manger donc je suis fière de moi, c’est un succès. Je suis en train de me convaincre que j’ai fait la bonne chose.
12 novembre 2022
À chaque fois, durant les collations, la conversation finit toujours par arriver sur la nourriture et je me suis rendu compte que rien ne me donnait envie. Pire, ça me dégoûtait plus qu’autre chose. Je n’aime pas un aliment plus qu’un autre, je n’ai envie de rien en particulier. Je mange les plateaux parce qu’il le faut et c’est tout. Parfois je dis « quand je serai plus malade qu’est-ce que je mangerai en premier » et mon cerveau fait défiler des tas de plats sans qu’il n’y en ai aucun qui m’intéresse. La plupart du temps quand la conversation devient trop portée sur la nourriture, j’ai fini par partir parce que ça me met mal à l’aise. Même ce que je considérais comme le plaisir ultime : le café au lait d’avoine, ne me fait plus autant plaisir mais c’est sûrement parce que le café de la clinique est dégueulasse.
13 novembre 2022
Hier, je suis sortie de la clinique à 14h, le sourire aux lèvres et AC/DC à fond dans les oreilles. Je continuais à sourire dans le métro malgré les regards parfois insistants des enfants ou même des adultes face a ma sonde. Une fois arrivée, je me suis rappelée que je n’avais pas les clés de l’appartement et ni papa ni ma sœur n’était à la maison. Normalement je devais voir mon amie mais elle avait oublié qu’elle avait un déjeuner avec son parrain qui allait durer assez longtemps. Donc j’étais seule. Comme je n’avais pas encore quitté l’enceinte du métro, j’ai pris un wagon à sens inverse et je suis allé à la gare pour faire du shopping. J’ai envie de me faire plaisir pour que cet après-midi ne soit pas complètement ruiné. J’ai acheté des boucles d’oreilles et un crayon bleu pour les yeux car avec mon visage terne, mes cernes, mes cheveux qui tombent et mon ventre gonflé, c’est très très dur de se sentir jolie. Je suis finalement rentré à la maison et ma sœur qui était rentrée m’a ouvert la porte. Sauf qu’elle était avec ses amis alors elle n’est même pas sorti de sa chambre pour me dire bonjour alors que ça faisait une semaine qu’on s’était pas vu. Je pense qu’elle a honte de moi : la sœur malade et hospitalisé. Elle ne voulait sûrement pas que ses amis me voit donc j’ai déposé mon sac et je suis sortie. Puis j’ai vu mon amie. Il était déjà 16 heures. Là-bas on a parlé de rien. Je pensais qu’on allait aller au café mais il n’y avait plus de temps. Ma sœur nous a rejoint ne m’a même pas adressé la parole et s’est tenue à l’autre bout de la pièce. Elle avait même apporté les devoirs pour bien montrer que ce moment n’était pas important pour elle. Moi j’y pensais depuis deux jours et j’avais tellement hâte de la revoir. Au fur et à mesure, la conversation a dérivé sur les TCA et moi je me taisais et j’étais mal à l’aise je n’avais qu’une envie c’était de fuir la situation le plus vite possible. C’est ce que j’ai fini par faire car de toute façon il était l’heure de rentrer à la clinique. Je suis rentré seule à la maison et j’ai repris le métro.
Quand l’infirmière m’a demandé si ça allait en m’apportant mes médicaments, j’ai éclaté en sanglots. J’ai vraiment énormément pleuré et elle essayé de me faire mettre des mots sur mes émotions. Tout se mélangeait : ma sœur, la discussion de mon amie, les enfants dans le métro, le fait de ne pas se sentir chez moi et par-dessus tout, la culpabilité d’avoir terminé mon plateau. Cette dernière pensée occupait tout l’espace et j’avais de plus en plus mal au ventre.
J’ai l’impression que je vais mourir. Mon ventre me fait mal à un point inimaginable. J’ai des élancements dans tout le ventre qui transperce comme des éclairs mon estomac et mon dos. Je n’ai pas réussi à finir mon plateau du soir. J’ai pas eu la force : c’était trop dur. Rien ne me donnait envie, la nourriture est synonyme d’anxiété et est associée à un moment désagréable. Je n’ai jamais eu autant mal au ventre de ma vie.
Je ne vais plus jamais demandé de permission de sortie. J’ai envie de me terrer dans un trou et de disparaître de la réalité pour toujours. Je ne veux plus voir personne. Rien n’a de sens. C’est Lisa. Lisa es-tu de retour ? Tu es bien la seule qui est là pour moi. Je suis de nouveau seule, seule, seule. Comme avant, comme toujours. Je suis en train de retomber dans la dépression ? Je vais demander à mon docteur de me redonner des antidépresseurs. Je veux disparaître.
Il existe un lieu où je peux me réfugier, où je me sent chez moi. Pas comme ici où c’est temporaire, pas dans l’appartement qui n’est plus chez moi, pas comme à Québec où je ne retournerai peut-être jamais. Ma maison, elle est en haut d’une tour, au-dessus des nuages. Au milieu il y a un fauteuil et devant une grande baie vitrée. À gauche il y a toujours le sapin de Noël qui n’a jamais été retiré depuis Noël dernier. Et puis le couloir avec les portes. Je peux retourner là-bas. Je sais qu’elle m’attend : Lisa. J’ai tellement mal au ventre.
15 novembre 2022
Deux nouvelles filles viennent d’emménager. L’une d’entre elle, de la 509, vient d’avaler toute une plaquette d’antidépresseurs. Je n’ose pas sortir de ma chambre, je pense que je ne devrais pas aller voir ce qui se passe. Enfin je me doute de ce qui se passe : une tentative de suicide. Enfin peut-être pas. Je n’espère pas. Elle a peut-être pas fait attention au dosage. Je ne sais pas. C’est la panique chez les infirmières. Tout le monde court partout et cri au téléphone. J’ai entendu les mots « lames de rasoir ». J’ai peur. Peur pour cette fille qui a voulu mourir. J’entends tout. J’entends la discussion entre cette fille et sa mère comme si j’étais dans la pièce.
« Je suis désolé maman, je suis désolé. »
« C’est pas grave, c’est pour ça que tu es là. Ça va aller »
Et moi qui panique parce que je perds mes cheveux. Et moi qui panique à cause de mon ventre. Et moi qui essaie désespérément de garder le sourire et de l’espoir. Je vais aller marcher sur la terrasse avec de la musique à fond dans les oreilles. Je ne veux plus rien entendre.
23 novembre 2022
Je viens de sortir de mon rendez-vous avec la psy. Je ne pensais pas en avoir besoin mais apparemment si. Elle m’a demandé de noter tous les comportements et pensées liées à l’anorexie pour me sortir du déni dans lequel je suis toujours. En fait je crois que je suis dans le déni de la vie. Je suis toujours au-dessus de tout. Je me sent flotter au-dessus de mon corps et mes évènements du quotidien. Rien n’a de sens. Rêve éveillé. La semaine prochaine je crois qu’il est temps que j’évoque Lisa. Je repense à eux de temps en temps et je me réfugie dans la maison à chaque fois que je suis complètement perdu. Elle m’a dit que ma bonne humeur masquait une douleur intérieure. Que mon esprit se déconnectait pour me protéger de cette réalité qui faisait peur. Je ne me sens pas malade. j’ai l’impression d’être au-dessus des autres filles de la clinique. Je n’arrive pas à réaliser tout à fait que même si je mange les plateaux et que je reprends du poids je suis toujours malade.
24 novembre 2022
Ça fait déjà un mois que je suis là ! Je n’en peux plus, je suis vraiment crevé. Hier la psy m’a vraiment remis les pieds sur terre : tu es malade. J’ai l’impression que toute la fatigue des derniers jours me retombe dessus. Le problème c’est que le retour à la réalité ne me motive pas, au contraire, il me déprime. J’ai envie de dire à quoi bon ? J’ai cauchemardé toute la nuit sur les biscuits que je devais manger au goûter, j’ai eu du mal à terminer mon petit-déj’, je suis crevé mais je n’ai qu’une pensée c’est d’aller marcher pour compenser. À quoi bon cette hospitalisation ? Je ne sais même pas si je guérirai un jour. Le chemin semble tellement long. Et mes parents qui paye cette clinique de luxe et je n’y arrive pas.
Je voulais demander une permission pour cet après-midi, surtout qu’il fait très beau, mais finalement je suis trop crevé pour faire quoique ce soit. Mon psychiatre m’a demandé ce matin si j’étais prête à sortir pour toujours de la clinique et j’ai commencé à paniquer. Je ne pense pas être prête à sortir. Je panique à la simple idée de manger des biscuits et rien que d’imaginer manger autre chose que la nourriture calculé pour moi de la clinique me terrifie. Ici je sais que tout est calculé. Chez moi il faudra que j’apprenne à ne pas le faire.
26 novembre 2022
À 17h, j’ai retrouvé maman et le psychiatre pour le rendez-vous familial qui s’est super bien passé. Il m’a dit que des compliments : comme quoi je faisais beaucoup d’efforts, que je reprenais du poids, et je n’avais pas vu maman autant heureuse depuis longtemps. Elle m’a dit que je devais prendre tout le temps dont j’avais besoin. Je sais que j’en ai besoin : de temps, parce qu’hier je n’ai ni fini mon plateau ni demandé les biscuits.
7 décembre 2022
J’ai passé une super bonne après-midi ! J’ai travaillé un peu mon italien puis je suis allé à l’atelier peinture et j’ai reproduit une peinture de Gauguin aux crayons aquarellables. J’adore vraiment aller aux ateliers peinture car c’est vraiment relaxant et ma concentration ne flanche pas ce qui est plutôt rare quand je fais une activité trop longtemps. J’ai mes nouveaux plateaux depuis hier soir et j’ai du mal, pas à manger mais après, car j’ai mal au ventre et je me sens coupable. La diététicienne a rajouté un yaourt nature et une soupe. Mais je fais des efforts : je me force un peu à tout manger même si je n’ai pas du tout faim. Je ne veux pas stagner, j’ai autant peur de rester malade que de grossir mais je dois dépasser cette dernière peur pour guérir. Demain je déjeune avec ma maman : il s’agit de continuer les efforts. Mais le problème c’est que je sais au fond de moi que je vais marcher et qu’il n’y aura pas mon complément alimentaire donc je ne mangerais pas autant qu’à la clinique. Mais bon il faut que je réussisse déjà à manger à l’extérieur et ce n’est pas une mince affaire. Il y aura ma maman pour m’aider : ça va aller
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