(Réponse à "mots en folie") Stéphane Analphabète

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Stéphane Analphabète, bien qu’analphabète des lettres et incapable de coudre, également, une fleur en bouton, invita dans sa demeure, après lui avoir téléphoné, l’ensorceleuse d’âmes et des cœurs. Celle-ci aimait cet homme vigoureux, mais triste d’une éducation parentale inculte, incluant ses douze frères et sœurs. Il faut dire que Stéphane et sa fratrie convenaient parfaitement à la création de meubles ébénistes : ils s’employaient tous à la fabrication et à la vente ; toujours les garçons d’un groupe de trois, à l’élaboration d’un buffet du XVème siècle, savamment sculpté, comme le leur avait appris père Augustin. Quant aux sœurs, elles partageaient la joie de vendre ce mobilier, remisé dans l’église, faute de place dans leur boutique, avec le père Augustin, le prêtre du village qui, malgré son visage enjoué, son nez et ses joues rouges, conservés toute l’année, dissimulait un trésor depuis un millénaire. Les villageois n’étaient pas dupes, et savaient que « nul secret ne restait longtemps enfoui dans la mémoire des humains ». Mais quant à savoir ce qu’il se cachait sous le plancher de l’église, la découverte restait taboue.

Au volant de sa voiture, Paige Matthews, ensorceleuse et mannequin américain, traversa l’allée de cèdres sous les crachats des gravillons et, bien entendu, sous le regard libidineux du jardinier. La sorcière stoppa la Coccinelle et entra dans le manoir de la famille Analphabète. En se fermant, la porte cochère ne grinça pas, mais émit un son plaintif. Elle se tourna pour remarquer son lutin de compagnie, coincé entre le battant et le cadrage de l’entrée.

Énervée, elle l’assomma d’une question et de remontrances :

– Que fais-tu ici ? Je t’avais expressément ordonné de rester à Los Angeles avec père Noël pour l’aider à emballer les cadeaux. Je me demande si mes sujets sont de bons sujets et répondent à mes attentes. Il va de soi que toi, non… Allez, file d’ici, avant que je ne te change en peau de…crocodile, perturbateur de mes désirs. Ouste, Lutin malicieux et voyeur ! cria Paige.

De l’autre côté, dans la cuisine, à gauche, en entrant, une voix forte et masculine s’éleva au milieu du tapage. Stéphane Analphabète arriva en courant, accompagné d’une chanson de Brassens qui surgit subitement au bout d’un escalier en colimaçon :

♫ Un' jolie fleur dans une peau d'vache

Un' jolie vach' déguisée en fleur

Qui fait la belle et qui vous attache

Puis, qui vous mèn' par le bout du cœur…♫

– Ah ! donc, c’est toi qui fais ce raffut ?

– Oui ! répondit Paige, rouge de rage. Mon lutin névrosé s’est glissé dans la soute à bagages de l’avion et s’est caché dans mon coffre de voiture. Non, mais, quelle peste, ce lutin ! Quand je pense que je l’ai sauvé des cornes d’un toro, lui et ses frères, dans un pré, à Port-Camargue. Je suis en chaleur, là. Ah, ce petit homme des légendes, un jour je le changerai en mammouth !

Lorsque la magicienne se calma enfin, elle lança un regard langoureux sur cet ange, venu des profondeurs de la cuisine. Elle ajouta :

– Allez, viens, tu vas me rendre ma sérénité. Je vais te faire une turlutte pour commencer.

– Une quoi ? demanda Stéphane aussi bête que beau.

– Une fellation, précisa-t-elle. Tu connais le mot, Stéphane, ce n’est pas la première fois que je te fais une pipe…

Le lendemain, à l’heure où tout le village se levait…

La sorcière connaissait le père Augustin pour l’avoir exorcisé de ses démons capricieux et orgueilleux avec ses demi-sœurs – Piper et Phoebe Haliwell – et impliqué dans une sombre histoire de pouvoir satanique. Ce lendemain-là, donc, elle se leva du lit où Stéphane, encore sollicité par un Morphée sensuel, souriait à quelque rêve dont on ne connaîtrait pas l’existence. Paige profita de la fraicheur matinale pour se rendre à l’église du village. Elle savait ce que le trésor, gardé depuis un millénaire sous les dalles de l’église, comprenait comme révolution pour l’intelligence des humains. Toutefois, ce n’était pas à elle de décider du sort des villageois, mais au trésor de faire son œuvre, si Dieu le veut ; un coup de sang, parfois, peut déverser le savoir divin.

Les portes de la basilique, sculptées d’un amas de têtes mythologiques, s’ouvrirent violemment et se refermèrent de la même façon ; Paige avait exécuté ces actions sous le coup de la colère. Elle se dirigea vers l’autel, où Jésus, enchâssé sur sa croix géante, l’avisait d’un étrange regard bleu éternel. Insoucieuse de ce manège chrétien, car le connaissant du bout des ongles, Paige récupéra un énorme crucifix en laiton sur l’autel et se mit à genoux. Avec sa main gauche, elle fractura le carrelage et avec la droite, le frappa de son poing. Au bout d’une trentaine de coups bien ajustés, le père Augustin, averti par le bruit, débarqua, affolé et en nage, mais souriant à la vue de la sorcière sauveteuse de ses démons.

– Mais… que fais-tu, Paige ?

– À ton avis ?... Chercherais-je l’enfer dans la maison de Dieu ?

– Je te l’interdis par tous les noms des moines, des saints et de la Trinité ! brailla le père.

– Tu es un malin, Augustin, mais sache que je ne suis pas de ton avis ni celui des moines. Vous avez choisi une voie irréconciliable envers Dieu ; il n’accepte ni les couards, ni les menteurs, ni les enterreurs de talent dans sa demeure. Tu le sais, tu connais la parabole de son fils dans les Évangiles de Luc et de Matthieu. C’est un trésor inestimable que vous cachez depuis trop longtemps. Il doit être distribué à tous ces pauvres gens et en particulier à Stéééphaaane ! cria Paige sous un dernier assaut du crucifix.

Le carrelage céda sans bruit. Le trou dévoila le Saint Graal : un petit Jésus d’une vingtaine de centimètres. La magicienne libéra de sa prison le poupon de cire. Aussitôt, une lumière azur, émanant de son nombril, embrassa toute l’église, et Stéphane Analphabète, qui entra à ce moment-là, reçut l’onction divine sans s’en rendre compte. Le miracle se produisit sous les yeux émerveillés de l’ensorceleuse. Le beau gosse s’avança, prit le missel d’autel, lut et chanta en latin. Le père Augustin tomba à genoux, et lui baisa les pieds devant une assemblée de meubles Louis XV.

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