(Réponse à "Mots en folie re-bis") Pascal.

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Pascal actionna la béquille de sa Harley-Davidson FLH 1200 Electra Glide de 1980, réplique parfaite de celle du King avant sa mort, et descendit de la moto. Devant la machine chromée et customisée, une foule curieuse se parqua autour d’elle.

Il poussa la porte du bar de son enfance où il n’avait plus mis les pieds depuis une dizaine d’années. Les gens, à l’intérieur, se reconnaissaient à la même tête et aux mêmes gestes que dans ses souvenirs : le bélître, penché vers un inconnu, établissant un plan foireux à tenter pour ce soir ; la matrone de l’établissement, bras croisés, regarda Pascal mi-surprise mi-amusée. Elle devait se rappeler les allées et venues entre son bar et l’hôtel, en face, avec cette femme de joie, cette débauchée de 45 ans qui avait pris l’habitude de racoler les jeunes du quartier dans son restaurant au lieu de jouer à la péripatéprostipute en marchant dans la rue, derrière chez elle — Aristote aurait été comblé s’il avait été encore de ce monde. La marche du plaisir, si elle eût été lubrique, toute la face de la philosophie aurait changé (inutile de préciser que la construction syntaxique est une anacoluthe).

Pascal s’était retiré de la ville d’Harfleur depuis que le bélître l’avait laissé tomber lors d’un braquage dans un bureau de poste au Havre. Notre penseur, Auvergnat de naissance, mathématicien et scientifique, délaissé par le guetteur, vidant les tiroirs tranquillement, ne remarqua pas l’arrivée des flics. Tout s’enchaîna rapidement. La police le somma de mettre fin à son activité… Il passa devant la juge Pascaline qu’il trouva plus arithmétique que juge, et la surnomma « la rousse Pascaline », à cause de la couleur de ses cheveux.

Pascal vécut 5 ans dans un centre spécialisé pour vauriens, un euphémisme politisé et emphatique pour dire « prison ». Quand il sortit de ce trou, son agent de probation lui trouva une formation au métier de grutier qu’il exerça au Havre. Aux pauses-déjeuner, il consultait les annonces des vendeurs d’Harley-Davidson. Il lui fallut 4 années supplémentaires pour s’acheter la moto de ses rêves, quitta son emploi et parcourut la France sur son cheval chromé.

En Normandie, où il se promenait sur la plage d’Omaha Beach, il rencontra un vieil homme qui cherchait, à l’aide d’un détecteur de métaux dont la partie basse, ressemblant plus à une faux bien tranchante qu’à une poêle à frire, des trésors sous le sable. Mais le vieil homme ne découvrit que des grenades de la Seconde Guerre. Pascal se lia d’amitié avec ce bonhomme, féru d’histoire, et collectionneur de coquillages. Il l’invita chez lui, à dîner, quand Pascal inventa une citation historico-philosophique : Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face du monde aurait changé. Mais à l’heure du souper, chez le vieil homme, rien ne changea au plaisir gustatif de Pascal en goûtant une saucisse de Toulouse, relevée d’ails et d’oignons, baignant dans une sauce tomate, servie sur un lit de tagliatelles et accompagnée d’un Saint-joseph, sorti du cellier où cohabitaient, vins, cidres et histoire.

Pascal s’approcha du comptoir et embrassa la matrone du bar qui lui servit, sans mot dire, un demi. Il tourna la tête vers la péripatéticienne, accusant aujourd’hui la soixantaine. Son cou arborait un collier de diamants qu’elle portait fièrement comme un signe ostentatoire de réussite professionnelle. Cette dernière encore désirable, aux jambes fuselées, lui sourit avec tendresse. Pascal détourna le regard, but une gorgée de sa bière, et s’avança vers le flipper. Sur le fronton du billard électrique, Flipper le dauphin semblait discuter dans une eau turquoise avec un dauphin blanc. Son score élevé ne fut jamais égalé ni dépassé. Il inséra une pièce, joua deux heures durant avec la même bille, gagnant des parties gratuites, remportant le bonus extra bille, enchainant les rampes avec une précision de champion du monde… Les points tombaient sur le fronton du pinball par centaines de milliers, pulvérisant son ancien record, affiché à côté du nouveau. Au terme de la partie, la machine à boule s’illumina d’une lumière bleutée suivie de plusieurs sifflements bruyants. Tombés dans un sommeil léthargique, les clients du bar se réveillèrent au milieu des cris insupportables des dauphins. Ce raffut rappela à tout le monde que Pascal, malgré son absence, restait bel et bien le champion du flipper de la ville d’Harfleur.

Il enfourcha son cheval métallique et roula en solitaire face au soleil rougissant, à l’horizon. Plus personne ne revit Pascal dans la commune. Mais on pouvait lire en gros titre, dans les journaux « Un Français remporte le titre de champion du monde de pinball à Las Vegas. »

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