Entre Lune et Soleil ou le contraire.
Au détour d’un chemin du sud-ouest, entre Lune et Soleil, dans un monde où vivaient les humains, un homme s’arrêta pour déjeuner. Il sortit de sa besace à deux poches, un saucisson caramélisé, un fromage aux pommes de la terre et un gros pain qui riait. Il coupa une tranche sans larmoyer, un morceau de sauciflard et le déposa sur la mie avec un bout de fromage. Alors, s’apprêtant à mordre le pain mort de rire, un être avec des jambes, des bras, une tête et même des cheveux, se dressait depuis belle lurette devant lui.
– Eh, jeune homme ! hurla faiblement le sandwich.
– Désolé à tous de vous importuner, je cherche dans ce monde Gentibête de Choléra, postillonna le jeune en homme.
L’être de l’entre Soleil et Lune et le sandwich se grattèrent les pieds et la mie. Ils ne connaissaient pas ce noble, du moins pas encore ou ne s’en souvenaient plus.
– Dites-nous, pour entamer un dialogue commençant par le début, à quelle nomination répondez-vous ? sifflèrent-t-ils en soufflant sur les parties nues et tendres.
– Je suis Kal-El, fils de Jor-El et de Lara Lor-Van, tonna le jeune homme en éclaircissant.
Le sandwich et le casse-crouter se regardèrent abasourdis sans surprise.
– Je viens de Krypton qui se trouvait au bout de la Rue lactée ; un voyage infiniment court quand on connaît les détours théoriques de la relativité générale, ajouta Kal-El, silencieux.
– Tout cela nous parle, nous dit quelque chose, nous interpelle… Ne seriez-vous pas Jésus, le fils dont parlent les padres et nommé Dios Padre ? demandèrent-ils sans chœur, d’une seule voix.
– Que nenni ! c’est la seule expression désuète que je connais de votre peuple. On me connaît aussi sous le nom de Superrrman.
– Nous connaissons Superrrman et vous ne lui ressemblez en aucune façon, du moins pas comme l’ont créé Jerry Siegel et Joe Shuster. Permettez-nous de mettre une réserve quant à votre identité un peu grossière et sommaire, voire une nomination d’un groupe d’individus au comportement tribal. Cependant, à la vue de votre accoutrement, je dirais, singulièrement humanisé, vous faites un peu clodo et non journaliste. Par ailleurs, si vous prétendez être ce superrr-héros, êtes-vous dans la capacité de voler ? demanda casse-crouter tout en clignant d'un oeil, les yeux ouverts vers le sandwich.
– Je ne vous permets pas de douter de ma propre consubstantialité. Et ces attributs, je les ai dérobés à un gars, assis par terre, à son insu, quand un individu s’est fait la malle avec mon costume, ma cape volante, ma chemise à carreaux, mes bottes de fermier, mes habits de journaliste et ma sacoche, répondit Superrrman, énervé en lui-même.
Il avait les yeux rouges du superrr-héros honteux, orgueilleux et retranché dans ses retranchements. Comment prouver son existence de Kal-EL alias Clark Joseph Kent et Superrrman ? D’autant plus, sa liquette unibrassiste d’un jaune criard monochrome, rentrée dans son pantacourt et ses baskets trouées, lui attribuaient un ensemble de jeune adolescent qui se serait perdu dans ce monde entre la Lune et le Soleil.
Le casse-crouter et le sandwich le regardèrent d’un yeux suspicieux, quand l’un des deux demanda à l’autre :
– Tu me manges quand pour qu’on s’éclate ? ça fait une éternité que je n’ai pas senti le goût de ta bouche et je ne dirais pas non à tes papilles dégustatives expertes.
– Pas de «que» s’il te plaît. Un peu de respect envers la langue qui nous apprend le fondement de notre société, comme les racines enracinées aux arbres. Crois-tu à un défaut de la terre alimentée par l’eau ? Ce serait un non-respect pour leur évolution, s’indigna le futur mangeur enthousiasmé.
– Je n’ai rien compris à ton blabla, ne rétorqua pas le sandwich. Mais, cependant, toutefois, par exemple, et finalement, vas-tu mordre dans ma mie croûtée, poursuivit-il à toute allure sans trébucher.
– Je le ferais si tu mets un point d’interrogation à la phrase derrière les autres. On n’est peut-être pas des Flaubert, ni des Châteaubriant ou ni des Victor Hugo, mais la ponctuation est importante pour bien se faire entendre, chuchota en criant le casse-crouter.
– C’était une parole.
– Et alors ! Toute parole doit se respecter, nom d’un Elvis au parfum de Presse-les, pétarada-t-il en tonnant doucement.
– Je vous prie de m’excuser en vous demandant pardon, mais… essaya le superrr-héros en renonçant lamentablement.
– Toi, tu arrives à lire et photographier une parole envolée ? Voilà, j’ai mis un point à l’interrogation, à celle-là. Es-tu satisfait !
– Tu le fais exprès, ma parole, c’est à se demander si vos maîtres boulangers vous apprennent à cuire sans vous parler convenablement. Serais-tu un de ces pains noirs rebelles, né d’un fournier sans fortune ?
– Tu m’agaces Victor Flaubert, mange-moi, idiot. C’est vraiment beaucoup beaucoup mieux que des mots… chanta le sandwich en mots parlés.
Le casse-crouter ne répondit pas et, s’apercevant du visiteur venu d’une galaxie qui n’existait pas, lui demanda, sans omettre la ponctuation :
– Qui êtes-vous étrange étranger ? Nous espionneriez-vous depuis longtemps ? Êtes-vous un bon ou un mauvais étranger ? demanda Victor Flaubert qui tenait le sandwich rieur sans confirmer ses demandes.
Tout penaud, le superrr-héros regarda à tour de rôle Victor et le sandwich et s’arrêta de les aviser quand il fut au bout du rouleau (à tour de rôle étant une expression ancienne) :
– Dois-je recommencer du début quand vous m’aviez vu pour la première fois ?
– Ce n’est pas moi qui vous ai vu et vous ai interpellé, mais le sang de witch. Enfin, qui que vous soyez, savez-vous voler ?
– Bien sûr, sinon je ne serais pas Superrrman… Attendez…, vous êtes en train de vous payer ma tête, non ? Vous dites ne pas vous rappeler qui je suis et vous vous souvenez de m’avoir demandé si je savais voler.
– Évidemment, les mots sont importants, ici, sinon il n’y aurait plus d’histoire, un peu conne, je vous l’accorde. Alors, oublions votre identité, je viens juste de l’intégrer et je dois admettre sans le rigolement sandwichen, vous signifier votre superrr-clochardisation. En ces lieux boisés entre Soleil et Lune où vous interrompez mon déjeuner sur l’herbe, en cherchant je ne sais quel noble, je vous le demande encore une fois, sans m’énerver et en criant, savez-vous voler ?
– Oui.
– Eh bien, alors, allez voler, superrr-voleur ! On n’est pas dans une bédé.
– Donc, vous ne me direz pas où se trouve ce noble méchant !
– Il est en train de voler dans la ville, là-bas, après le bout de mon doigt. Vous devriez aller jeter un œil, superrr-clochard, parce que son vol n’est pas sain.
Superrrman s’envola dans les airs, le nez à terre. Pendant ce temps, l’entre-temps et le cependant, dans ce monde entre Lune et Soleil, Gustave Hugo croqua le sandwich, et on entendit dans toute la plaine aux montagnes boisées méditerranéennes, un rire de sorcière comme le faisait si ouvertement depuis des temps immémoriaux, le sang de witch.
Ne cherchez pas c’est absurde.
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