Chapitre 4

6 minutes de lecture

Layla

  • Non, Wiam ! Je t'ai déjà expliqué cent fois que tu n'avais pas le droit de faire ça !

Affalé sur le tapis en laine de ma chambre, mon petit frère me lance son regard de chien battu.

Depuis que je suis en deuxième année, je suis réquisitionnée par ma mère pour l'aider à faire ses devoirs pour l'école. Ce qui ne me dérange pas en soi. J'ai toujours eu une certaine appétence pour l'enseignement et la pédagogie.

Cependant, si je suis de nature patiente et à l'écoute avec les adolescents, je peux également me montrer très intransigeante. Encore plus quand il s'agit de lui. Pas parce que je suis cruelle, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, mais parce que Wiam est rusé. Aussi intelligent soit-il, il a la facheuse tendance à vouloir se reposer sur ses facilités et il ne rechigne jamais à l'idée de tricher si ça lui permet de moins travailler. Sauf que ça fonctionne peut-être avec les autres, mais ça ne prend pas avec moi.

  • Tu dois calculer en utilisant toutes les données ! Allez, recommence ! je lui intime d'un ton autoritaire.

Il grommelle dans sa barbe inexistante avant d'obtempérer en arrachant une feuille de son cahier.

J'en profite alors pour me recoiffer.

Pour être tout à fait franche, je n'aime pas vraiment mes cheveux.

Châtain aux boucles rebondissant un peu en-dessous de mes épaules, ils m'ont causé pas mal de souffrance par le passé. Je me souviens encore des moqueries de mes camarades de primaire et des stratagèmes que j'ai mis en place pour les camoufler, comme les attacher en chignon ou les plaquer avec du gel pour les lisser. Au final tout ce que j'ai gagné, ce sont davantage de moqueries. Alors même si ce n'est pas du tout l'objectif du voile, je dois admettre que rien que pour ça, je suis quand même bien contente de le porter.

Je m'apprête à reporter mon attention sur Wiam, lorsque la porte de ma chambre s'ouvre brutalement.

  • Layla ! s'écrie ma mère.

Elle s'arrête net en constatant la présence de mon petit frère.

  • Oh mince, désolée mon chéri je ne t'avais pas vu...

Elle s'excuse toujours quand il s'agit de lui, mais elle n'éprouve aucun scrupule à faire irruption dans ma pièce sans me prévenir. Comme si mon intimité avait moins de valeur à ses yeux.

  • Je fais mes devoirs avec Layla, maman ! lui répond-il.
  • Je vois ça... Bravo mon fils !

Elle lui adresse un sourire de fierté avant de me scruter.

  • Chéri, j'ai besoin de parler à ta sœur. Et si tu allais prendre une part de gâteau dans la cuisine ?
  • Il y a du gâteau ? je m'exclame alors, enjouée.

Ma mère ne partage cependant pas mon entrain.

Elle fronce les sourcils et croise les bras sur sa poitrine.

  • Oui, mais ce n'est pas pour toi.
  • Quoi ?

Je la fixe à mon tour, consternée.

  • Toi, tu dois surveiller ta ligne ! surenchérit-elle. Je te rappelle que tu as pris trois kilos depuis l'an dernier.

Sur cette remarque, mon estomac se noue.

Ce n'est pas comme si elle avait tort, après tout.

Même si j'estime que j'ai de la marge et qu'une simple part de gâteau ne me ferait pas autant de mal qu'elle veut me le faire croire.

Je me mordille néanmoins la joue intérieure pour réprimer mon envie de répliquer.

Ma mère veut seulement mon bien.

J'essaie de me le répéter intérieurement.

J'essaie de m'en convaincre, mais pourtant, je ne peux m'empêcher de trouver cette situation injuste. Est-ce qu'elle serait aussi intraitable avec Wiam, s'il lui arrivait de gagner soudainement du poids ?

Je secoue discrètement ma tête pour chasser ces pensées et j'emboîte le pas à ma mère dans un silence contrastant particulièrement avec l'euphorie de mon frère. Peu importe, autant ne pas perdre de temps à me poser des questions pour lesquelles je n'aurai jamais de réponse.

* * *

Je fixe mes parents de mes yeux ronds, incapable de dissimuler ma stupeur face à leur aveu.

Mon père n'a plus de travail.

Il vient d'être mis à la porte après dix ans de loyaux services dans son entreprise.

Un contexte économique difficile contraignant la société à réduire ses effectifs, apparemment.

Honnêtement, je n'arrive pas à y croire. J'espère simplement que c'est un cauchemar et que je vais me réveiller.

  • Oh Layla ! C'est bon, arrête de tirer cette tête !

La voix rauque de ma mère me ramène instantanément à la réalité.

Je la dévisage, incrédule, ne comprenant pas vraiment sa réponse.

  • Salima, interfère mon père, laisse ta fille digérer la nouvelle...
  • Non mais François, arrête ! Il n'y a pas mort d'homme non plus !

Je me pince la lèvre inférieure, frustrée par ses propos.

Je viens d'apprendre que le principal pourvoyeur de notre foyer est au chômage et elle trouve encore le moyen de minimiser la situation. De juger ma réaction.

  • Mais qu'est-ce qu'on va faire, alors ? je demande en l'ignorant, la voix étouffée de sanglots.
  • Ne t'inquiète pas ma puce, me rassure mon père en voyant mon expression, on va trouver une solution...
  • Tu sais bien qu'on a déjà trouvé la solution ! surenchérit ma mère en lui adressant un regard peu amène.

Sur ces mots, mon père s'efface instantanément, craignant probablement le tempérament explosif de sa femme. En même temps, il a toujours agi comme ça. De nature très docile et conciliante, il préfère éviter le conflit plutôt que de l'affronter. En général, c'est une qualité. Mais parfois, je dois admettre que je suis agacée de le voir laisser tout passer. J'ai envie de le secouer, de l'aider à faire sortir le véritable fond de ses pensées même si ça peut blesser.

  • De quoi est-ce que vous parlez ? je questionne, le sourcil arqué.

J'essaie d'accrocher le regard de mon père, mais au moment où nos yeux se croisent, il détourne les siens automatiquement. Comme s'il ressentait de la honte.

Je reporte alors mon attention sur ma mère, qui roule des yeux et soupire, avant de répliquer :

  • Il va falloir que tu trouves un job.

Le sol se dérobe sous mes pieds.

Je m'attendais à tout, sauf à ce qu'elle me charge d'une telle responsabilité.

  • Un... un job ? je répète comme pour confirmer.

Cependant, ma mère ne desserre pas son expression.

  • Mais... j'ai mes études de médecine, j'ajoute alors en espérant me dédouaner.
  • Tu es en deuxième année, pas en première année ! répond-elle sévèrement.

C'est vrai que la deuxième année de médecine est réputée pour être plus tranquille, mais elle reste tout de même chargée. Et puis, ce n'est pas comme si je prévoyais de passer mon temps libre à travailler. Je voulais au contraire profiter de cette année pour décompresser et essayer de nouvelles activités... Rattraper le temps perdu, quoi.

Ma stupéfaction doit avoir alerté mon père, qui reprend :

  • Ma puce, si tu ne t'en sens pas capable tu n'es pas obligée... De toute façon, cette situation ne va pas durer. Il me faut simplement du temps pour rebondir et trouver un nouvel emploi...

Je sais à quel point la recherche d'emploi peut être fastidieuse.

Surtout dans la situation de mon père. Comme ses compétences sont très spécialisées, elles ne sont pas facilement transférables à d'autres postes. Sans parler de son âge avancé qui est un véritable frein pour les recruteurs. Même si rien n'est impossible, on ne peut nier le fait que cela prendra du temps. Peut-être beaucoup de temps.

  • Oh François ! s'insurge ma mère. Arrête de l'infantiliser ! Layla est grande maintenant, donc si elle veut une indépendance financière elle doit l'assumer !

Un sentiment de colère naît en moi.

Je n'arrive pas à croire que ma mère me fasse un tel reproche alors que je ne lui demande jamais d'argent, contrairement à Wiam.

En même temps, ce n'est pas comme si elle en gagnait vraiment.

Ma mère est femme au foyer depuis plusieurs années maintenant.

Elle dépend donc entièrement de mon père sur le plan financier et c'est pour cette raison que je trouve que sa demande est plutôt culottée. Je ne comprends pas pourquoi du haut de mes dix-neuf ans, je devrais porter le poids d'une telle responsabilité, alors qu'aucun souci de santé ne l'empêche de travailler.

Je prends une profonde inspiration pour apaiser le feu qui brûle en moi. J'aimerais tellement lui dire tout ce que je ressens pour me vider, mais je sais au fond que je ne peux pas. À la place, je me contente de redresser la tête et d'afficher une expression impénétrable pour ne rien laisser paraître, tout en acquiescant d'un mouvement discret.

Et je vois en cet instant tous mes rêves et toutes mes perspectives pour l'année s'effondrer.

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