Chapitre 11

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Layla

  • Félicitations, ma puce !

Je ressers fermement l'étreinte que mon père m'offre.

Ma famille a décidé d'organiser un petit repas pour fêter ma réussite aux examens de mi-semestre. Au programme, un gâteau à la noix de coco qui trône fièrement au centre de la table et de beaux cadeaux.

  • Merci, papa... soufflé-je, émue.

Je m'extrais de ses bras et me dirige vers ma mère qui me dépose un léger baiser sur la tempe. Le contact physique n'a jamais été son fort avec moi, contrairement à Wiam, alors même si son geste est furtif, je prends un instant pour profiter de la rareté de sa chaleur. Si seulement je n'avais pas ce besoin constant de répondre à ses attentes pour pouvoir mériter un tel traitement, je crois que je serais aux anges.

  • Allez, Layla ! s'exclame mon frère. Ouvre mon cadeau !

Je me tourne vers lui, un sourire amusé sur les lèvres, et j'attrape le paquet enveloppé dans un papier orné de motifs Spider-Man. Je l'ouvre alors et l'émotion me submerge en découvrant qu'il s'agit d'un bracelet en argent.

  • Oh, Wiam... Il est magnifique !
  • J'avais pas assez d'argent dans ma tirelire, alors j'ai réutilisé le papier de mon cadeau d'Aïd !

Sur cette remarque, mon cœur se serre.

Je suis partagée entre la gratitude que je ressens et la gêne à l'idée qu'il ait épuisé toutes ses économies pour moi. Surtout pour une occasion aussi triviale. Même si ma mère lui donne de l'argent de poche tous les mois, ces sommes restent dérisoires. J'espère que ce cadeau ne le privera pas de sortir avec ses amis.

  • Mon bébé, susurré-je en le prenant dans mes bras. Tu n'aurais pas dû...
  • Beurk ! réplique-t-il en tentant de se dégager, en vain. Arrête de m'appeler comme ça !
  • Non ! m'exclamé-je en tirant la langue. Tu resteras toujours mon bébé !

Mon frère continue de se débattre, mes rires francs mêlés à ses efforts, sous les yeux rivés de mes parents qui ne peuvent s'empêcher de sourire en constatant la profondeur de notre relation.

Mon père m'arrache ensuite de notre altercation en me tendant son cadeau. Cette fois, ce n'est pas un emballage Spider-Man auquel j'ai le droit, mais un paquet soigneusement enveloppé dans un papier scintillant et raffiné. Je l'ouvre et laisse échapper un cri de surprise en découvrant un sac à main en cuir bordeau. Je me souviens avoir écumé les sites durant des mois à la recherche de ce sac, en rupture de stock partout à cause de son succès.

  • Où est-ce que tu l'as trouvé ? lui demandé-je, aussi étonnée que touchée.

Il me décoche alors un clin d'œil teinté de malice :

  • Ça, c'est un secret !

Je cligne plusieurs fois des paupières pour réprimer les larmes de reconnaissance qui menacent de couler, avant de sauter une seconde fois dans ses bras. Je sais que le prix de ce sac est loin d'être donné et la perspective que mon père me l'ait offert malgré sa situation professionnelle compliquée est une preuve indéniable de l'amour inconditionnel qu'il me porte.

  • Merci, papa ! Merci ! Je t'aime tellement !

Il me rend mon étreinte et nous restons blottis ainsi durant un moment.

Le regard insistant de ma mère me pousse néanmoins à reporter mon attention sur elle.

  • C'est à mon tour, mumure-t-elle.

Elle se met à fouiller énergiquement la poche de son jean et l'espace d'un instant, je suis déroutée à l'idée que son cadeau puisse tenir dans un espace aussi restreint. Mais lorsqu'elle me tend finalement une enveloppe, je comprends soudainement.

Je l'ouvre et me mordille la joue intérieure pour contenir un soupir. Il s'agit d'un billet. Une somme faramineuse qui réjouirait n'importe qui. Pourtant, je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de déception.

Je vais peut-être paraître ingrate, ou carrément hypocrite, mais je suis sincère quand j'affirme que j'aurais préféré recevoir une simple rose arrachée de notre jardin. Parce que la fleur demande un effort pour être conservée, tandis que l'argent libère de toute responsabilité. La fleur aurait perforé mon essence, mais l'impersonnalité d'un billet me laisse avec un goût amer d'indifférence. Ce cadeau ne fait que me confirmer ce que je savais déjà : même si elle est persuadée du contraire, ma mère ne me connaît pas.

  • Merci, marmonné-je toutefois.

Je fais de mon mieux pour cacher ma désillusion, mais je sais qu'un écart se creuse de nouveau entre nous. Elle se tient à distance pour me faire comprendre qu'un câlin serait de trop, alors je me contente de la remercier une seconde fois avec un sourire à pleines dents. Même si je saigne intérieurement.

* * *

On sonne à la porte d'entrée.

Je m'extrais brusquement de mon lit, irritée à l'idée d'avoir été arrachée à mon sommeil. Je n'ai pas souvent l'occasion de faire des siestes en ce moment et mon corps aurait bien aimé pouvoir encore en profiter.

  • La porte ! hurlé-je dans l'espoir qu'une personne se dévoue pour aller ouvrir.

Pas de réponse.

Je frotte mes yeux embrumés par mon coma et sursaute face à la seconde sonnerie.

  • La porte, bon sang !

Mon cri résonne entièrement dans la maison.

Pourtant, personne ne prend la peine d'agir en conséquence.

J'attrape alors brusquement le drap traînant sur mon lit et m'empresse de l'enrouler autour de ma tête. Je n'arrive pas à croire que personne ne veuille aller se mouiller alors que moi, je suis voilée.

La sonnerie retentit une troisième fois et je perds le peu de contrôle qu'il me reste. J'ouvre la porte en trombe, bien décidée à m'exprimer, lorsque le sol se dérobe sous mes pieds.

  • Salam Aleykoum !

Le souffle coupé, j'essaie tant bien que mal d'articuler.

  • Que... qu'est-ce que tu fais là ?
  • Surprise ! s'écrie-t-elle d'un ton enjoué. Je suis venue féliciter ma cousine !

Rym se jette instantanément dans mes bras et je l'étreins fermement en retour.

Je pense que j'ai donné plus de câlins aujourd'hui que tout au long de ma vie.

  • Je... je ne savais pas que tu venais ! déclaré-je entre deux souffles.
  • C'est le but d'une surprise, non ?

Je lui prends alors la main pour l'enjoindre à entrer et à ma grande surprise, tous les membres de ma famille se tiennent soudainement dans le salon. Leurs visages sont illuminés de sourires complices et je réalise qu'ils préparaient le coup depuis longtemps.

  • Surprise ! déclare mon père d'un air triomphant.
  • Alors ça, c'est le cas de le dire... réponds-je.
  • Rym va rester pour le week-end, déclare ma mère en embrassant sa nièce. Tu as intérêt à bien l'accueillir.

J'opine spontanément du chef, encore bouleversée par l'émotion, si bien que je ne fais même pas attention au timbre moralisateur habituel de ma mère que je réprouve tant.

Je décharge ensuite ma cousine de ses affaires et l'aide à s'installer, avant de me confiner avec elle dans ma chambre. Nous nous affalons ensemble sur le lit et commençons alors à nous raconter les dernières avancées de nos vies.

  • Alors avec Chahine ? me demande-t-elle. Comment ça se passe ?

Je me triture les mains d'un air penaud.

  • Je crois que ça va mieux, lui dis-je tout en restant intentionnellement évasive.
  • Ah, tu vois ! s'exclame-t-elle.

Elle se redresse alors du lit avant de poser ses mains sur ses hanches, satisfaite.

  • Tu vois que j'avais raison ! Ça va finir en histoire d'amour, tout ça !

Je lève les yeux au ciel avec exaspération.

  • Non, Rym... Ce n'est pas parce qu'une fille traîne avec un garçon qu'elle va forcément finir avec lui...
  • Bien sûr que si ! insiste-t-elle. Tu es juste aveugle, Layla !

Je me redresse à mon tour et pousse un soupir de frustration.

Ça ne sert à rien de débattre avec elle.

Lorsqu'elle a une idée en tête, rien ne peut la convaincre du contraire.

Je décide alors d'opter pour une autre approche et je lui lance :

  • De toute façon, même si ça avait été le cas, ça aurait été voué à l'échec.

Elle écarquille les yeux, déroutée par ma remarque.

  • Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
  • Il est Marocain, Rym. Tu connais les positions de ma mère sur la mixité dans un mariage.
  • Oh.

Ma cousine me fixe en silence, une expression de culpabilité se teintant sur son visage.

J'aimerais lui assurer que ce n'est pas vraiment un problème, étant donné que Chahine ne m'intéresse pas, mais un sentiment étrange m'empêche de le faire. Comme si mon corps refusait cette excuse.

Je m'apprête néanmoins à changer de sujet en remarquant la tension qu'il a apporté, lorsque Rym revient à la charge :

  • Layla, je dois te dire quelque chose...

J'arque un sourcil, incrédule.

  • Oui ?
  • J'ai rencontré un garçon, à la fac...

Je me fige un instant, le temps de digérer cet aveu.

Même si Rym est fleur bleu, elle n'a jamais vraiment entretenu de relation.

Du moins jusqu'à présent.

  • C'est sérieux ? lui demandé-je, fébrile à cette idée.

Elle acquiesce timidement et je m'empresse de la féliciter.

Je sais qu'elle a toujours voulu faire les choses dans les règles de l'art, en accord avec les principes de notre religion. Alors j'en déduis que ma tante est au courant. Animée par l'excitation, je ne peux m'empêcher de l'assaillir de questions. Prénom. Âge. Origine. Profession. Je veux tout savoir sur cet homme qui a réussi à attraper le cœur de ma cousine.

  • Arrête, Layla ! s'offense-t-elle, les joues empourpées. Je suis tellement gênée !
  • Ah non, tu n'as pas le droit de me sortir la carte de la timidité ! Allez, accouche !

Rym finit par capituler.

Elle s'éclaircit la gorge avant de répliquer :

  • Mounir. Vingt ans. Algérien.

Des étoiles scintillent dans ses yeux alors qu'elle le décrit et je lui enfonce un doigt dans les côtes, hilare à la perspective de pouvoir maintenant la châtier sur ce sujet.

  • Et la profession ? insisté-je en remarquant qu'elle n'a pas fini sa description.
  • Justement, c'est un peu compliqué...

Mon sourire s'évanouit en même temps qu'une inquiétude me gagne.

  • Oula Rym, la préviens-je. S'il deale, tu l'oublies tout de suite.
  • Mais non, mehboula ! s'esclaffe-t-elle. Toujours en train d'imaginer le pire, toi !
  • Alors quoi ?

Elle tortille une mèche de sa chevelure brune dans son index.

  • En fait, il veut changer de voie. Passer de la médecine à la comptabilité.
  • Oh.

Je laisse échapper un cri de surprise malgré moi.

  • C'est un sacré changement, dis-je.
  • Oui, exhale ma cousine.
  • Mais si c'est vraiment ce qu'il veut, il prend la bonne décision.

Elle me décoche alors un sourire fragile.

  • Je le pense aussi. Mais au début, son père a eu du mal à l'accepter.

Une réaction que je comprends, même si je ne l'encourage pas.

En Algérie, le domaine de la médecine est considéré comme la voie royale à emprunter et décider de la quitter délibérément est un comportement souvent associé à de la lâcheté, voire de la fragilité. Pourtant, je trouve qu'en prenant la décision de se libérer des injonctions, Mounir fait preuve d'un courage et d'une force admirables.

  • Et qu'est-ce qui s'est passé ? questionné-je avec curiosité.
  • Au début, son père a carrément cessé de lui parler. Une période très compliquée pour Mounir qui s'est vu perdre son principal pillier.

Je me pince la lèvre inférieure, crispée.

  • Et après ?
  • Après, le temps s'est écoulé. Et son père a réalisé que le bonheur de son fils primait sur sa fierté.
  • Tout est bien qui finit bien, alors ! m'exclamé-je, heureuse pour lui.

Rym incline légèrement la tête puis ancre de nouveau son regard au mien.

  • Tout ça pour te dire que rien n'est impossible, Layla.
  • De quoi tu parles ?
  • Tu es la seule à savoir ce qui est réellement bon pour toi. Alors arrête de faire des choix en pensant uniquement à ce que ta mère attend de toi. Ta mère t'en voudra peut-être un temps, mais elle finira par te pardonner. Mais toi, si tu passes à côté de ta vie, tu ne te le pardonneras jamais.

Les mots de Rym raisonnent férocement en moi.

Avec eux, une émotion que je lutte pour contenir.

J'aimerais croire qu'elle a raison. J'aimerais vraiment croire que je peux mener la vie de mes rêves sans avoir à me soucier des attentes de ma mère. Mais devoir confronter la lourdeur du poids de sa déception est une perspective qui m'effraie tout autant. Peut-être même davantage que celle de laisser filer ma vie. Parce que contrairement à elle, je connais ma mère. Non, elle ne me pardonnera pas de ne pas l'avoir écoutée. Si j'accepte de me libérer de son emprise, je devrai en payer le prix d'une éternelle culpabilité. Et ça, je ne suis pas certaine de pouvoir l'assumer.

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