Chapitre 14

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Layla

Je lève la tête pour scruter l'immeuble en bois qui se dresse devant moi : une dizaine d'étages, une façade neuve, ainsi qu'un petit jardin fleuri sur le côté. En principe, c'est la bonne adresse.

J'attrape mon téléphone et envoie un texto à Jasmine pour lui indiquer que je suis arrivée. J'ai alors à peine le temps de verrouiller l'écran qu'elle apparaît à l'entrée du bâtiment, déjà prête à m'accueillir.

  • Layla ! s'écrie-t-elle en m'étreignant. Je suis tellement contente de te voir !
  • Moi aussi ! réponds-je spontanément. Merci encore de m'avoir invitée !
  • Mais pas de quoi. Ça me fait très plaisir de passer l'après-midi avec toi.

Elle se détache finalement de moi et me tapote tendrement l'épaule, un sourire aux lèvres, avant de m'intimer à la suivre.

Pour être tout à fait honnête, Jasmine ne m'a pas invitée de son propre gré. En fait, c'est moi qui ai insisté pour la voir. Depuis l'épisode du bloc opératoire, je suis incapable de chasser Chahine de mes pensées. J'ai beau essayer de me convaincre que sa vie ne m'intéresse pas, je n'arrive pas à réprimer ma curiosité.

Mais comme je suis une personne trop dégonflée pour questionner directement le concerné, il a fallu que je réfléchisse à un stratagème plus discret. J'ai donc cogité durant des heures avant de réaliser qu'une solution pourtant très simple s'offrait à moi : dégoter des informations via son amie d'enfance. Alors j'ai proposé à Jasmine de passer une journée chill entre filles – sans évoquer Chahine – et elle en a profité pour me suggérer de se retrouver chez elle.

Bon, je dois admettre que je ne suis pas forcément fière à l'idée d'avoir rusé ainsi dans l'intention d'en apprendre plus sur un garçon. Après tout, ça ne me ressemble pas vraiment. Mais j'apprécie énormément la compagnie de Jasmine et la perspective de pouvoir faire d'une pierre deux coups a fini par me faire céder. En même temps, qui pourrait se vanter de ne pas fléchir face à une occasion d'allier l'utile à l'agréable ?

  • Fais comme chez toi !

Je franchis le seuil de l'appartement et suis immédiatement frappée par les saveurs épicées en provenance de la cuisine. La rousse le remarque et me décoche un regard empreint de satisfaction.

  • J'ai préparé un riz au poulet à la libanaise, déclare-t-elle. J'espère que ça te plaira.
  • Je n'en doute pas une seconde, répliqué-je. Ça sent tellement bon !
  • Merci, glousse-t-elle. En plus, je me suis rendue dans une boucherie halal exprès pour toi !

Sur cette remarque, je m'immobilise, le souffle coupé.

Un sentiment de culpabilité m'envahit soudain à l'idée qu'elle se soit autant dérangée.

  • Oh, Jasmine... murmuré-je. Je suis tellement désolée, tu n'aurais pas dû !
  • Mais non ! me rassure-t-elle cependant. Ne t'inquiète pas, ça me fait plaisir !

Je place une main sur mon cœur pour lui montrer ma gratitude.

Je sais que l'emploi du temps de Jasmine est très chargé, alors le fait qu'elle libère un créneau pour moi me touche énormément et me prouve qu'elle valorise sincèrement notre amitié. Je me sens reconnaissante que Dieu ait mis une telle personne dans ma vie.

  • Il n'est pas encore prêt, ajoute-t-elle. Viens, je vais te faire visiter en attendant.

J'obtempère et la suis dans le salon. Un salon oriental typique, avec des murs ornés de tableaux et de rideaux brodés, un canapé bas recouvert de motifs persans ainsi qu'une petite table basse trônant au centre de l'espace.

  • Il est magnifique ! m'exclamé-je.
  • Merci, répond-elle. Bon, j'avoue que ma mère m'a aidée à le décorer !

Je laisse échapper un rire franc.

Jasmine m'avait effectivement prévenue qu'elle avait décidé de s'installer seule pour débuter son externat, sa maison familiale étant située à plus d'une heure de la faculté. Un changement délicat au début, mais auquel elle semble s'être parfaitement accoutumée à présent.

Elle m'emmène ensuite dans la salle de bain – une pièce tout ce qu'il y a de plus ordinaire –, avant de me conduire dans sa chambre. En entrant, je suis instantanément frappée par la gaieté qui s'en dégage. Entre les murs d'un rose vif, les affiches d'événements placardées sur les parois et l'énorme lit installé sur le côté, l'ambiance reflète parfaitement la personnalité solaire de Jasmine.

Au-dessus de son bureau nacré, je remarque également des cadres.

Je m'apprête à m'approcher pour en déceler le contenu, lorsque le son d'une sonnerie interrompt mon mouvement.

  • Oh ! s'écrie Jasmine. Je crois qu'il faut que j'aille dans la cuisine !

J'ai alors à peine le temps de répliquer qu'elle a déjà disparu de la pièce, fidèle à sa réputation de pile électrique.

  • J'arrive tout de suite ! hurle-t-elle de l'autre côté du couloir pour me rassurer.

Je tente de réprimer mon envie irrépressible de retourner vers les cadres, en vain.

Avant même d'en prendre conscience, je me retrouve devant les différentes photos.

La première est un souvenir de Jasmine, entourée de ses parents et de ses frères et sœurs, leurs visages rayonnant de bonheur. Juste à côté, une photo d'elle seule, se tenant près de la tour de Pise tout en faisant semblant de la maintenir avec un sourire espiègle.

Mais c'est la troisième qui attire particulièrement mon attention. On y voit Jasmine, riant aux éclats avec deux autres garçons, et il me faut un instant pour comprendre qu'il s'agit de Chahine et Madi. Leurs traits sont différents de ceux que je connais, marqués par l'adolescence et les changements de la puberté.

Un sourire se dessine au coin de ma lèvre à l'idée d'avoir entrouvert une nouvelle facette de Chahine. Mais il s'évanouit rapidement lorsque je réalise que j'ai omis un détail crucial de la photo. Ils ne sont pas trois, mais quatre. Une autre fille s'esclaffe avec eux et sa proximité avec Chahine me frappe de plein fouet. Elle se tient à ses côtés, si près de lui que leurs épaules manquent de se frôler. Elle a la peau halée, le regard sombre et des cheveux de jais longs et raides comme des piquets. Autrement dit, elle incarne ma parfaite opposée.

Je continue de la scruter, les poings serrés le long du corps, avant de réaliser que ma réaction est totalement disproportionnée.

C'est vrai.

Pourquoi est-ce que je me sens aussi frustrée ?

Après tout, Chahine est en droit d'avoir eu sa propre vie. Au contraire, je devrais même être heureuse pour lui. Pourtant, j'ai beau essayer de m'en convaincre, quelque chose en moi s'agite. Une tension dont je ne comprends pas l'origine et que je peine à maîtriser.

Pourquoi est-ce que la perspective de le voir aussi proche d'une autre fille m'irrite autant ?

  • C'est enfin prêt !

La voix stridente de Jasmine m'arrache soudain de ma transe.

  • Oh mon Dieu !

Je pousse un cri malgré moi, surprise par son apparition dans l'embrasure.

Elle me regarde alors, un air incrédule plaqué au visage, avant de lever une main en l'air en signe de reddition.

  • Pardon, marmonne-t-elle. Je ne voulais pas t'effrayer.
  • Non, répliqué-je spontanément. C'est plutôt à moi de m'excuser !
  • T'excuser ? demande-t-elle, le sourcil arqué. Pourquoi ?
  • Euh... je...

J'essaie d'articuler, mais je suis à court de mots.

J'ai l'impression d'avoir été prise la main dans le sac alors que pourtant, je n'ai rien fait de mal. Enfin je crois.

Je déglutis alors, à la recherche d'une explication pour justifier mon malaise.

  • Je... je ne sais pas, finis-je néanmoins par répondre. J'étais juste... surprise.

Jasmine plisse les yeux, son regard passant de mon visage à sa photo avec les garçons.

Puis elle se met à esquisser un léger sourire et s'approche pour se positionner près de moi.

  • Elle date du collège, cette photo ! s'écrie-t-elle.
  • Du collège ? m'étonné-je. Aussi loin que ça ?

Elle opine du chef.

  • Oui, je m'en souviens encore comme si c'était hier. On avait séché le cours de maths pour aller jouer au parc.

Mes yeux s'écarquillent.

Mon expression doit avoir alerté Jasmine, qui s'empresse de clarifier :

  • Pour ma défense, ce n'était pas mon idée ! C'était celle de Chahine !
  • Chahine ? soufflé-je, de plus en plus abasourdie.

En même temps, j'ai du mal à croire qu'un garçon aussi sérieux et assidu que lui puisse avoir fait l'école buissonnière autrefois.

  • Oui, répond-elle. Il était loin de ressembler à la personne qu'il est aujourd'hui !
  • C'est-à-dire ?
  • Tu savais qu'il avait raté son bac la première fois, par exemple ?
  • Quoi ?

Sur ces mots, mon estomac se noue.

Je suis partagée entre la surprise de ces révélations et l'incompréhension.

Après tout, si Chahine a redoublé une année au lycée, comment se fait-il qu'il soit actuellement dans la même promotion de médecine que Jasmine ?

Je décide alors de prendre mon courage à deux mains et de lui poser la question :

  • Il a eu son concours du premier coup, m'explique-t-elle. Moi, j'ai redoublé la P1 !

Je fronce le nez, l'incompréhension s'instillant davantage en moi.

Chahine est un sécheur professionnel, il rate son baccalauréat, mais il devance aisément Jasmine – qui est pourtant studieuse et appliquée – dans l'un des concours les plus sélectifs des études supérieures. Où est la logique, bon sang ? Il est certain qu'un élément m'échappe. Est-ce que ça a quelque chose à voir avec ses tatouages ?

Je sais qu'elle vient de m'offrir une occasion en or, que je devrais bondir dessus pour l'interroger et en découvrir davantage sur lui, mais pour une raison que j'ignore, je n'y arrive pas.

À la place, je reporte mon attention sur la fille dont je ne connais pas l'identité et je me surprends à questionner Jasmine de but en blanc :

  • Et cette fille ? indiqué-je du bout du doigt. Elle est aussi en médecine ?
  • Myriam ? s'exclame-t-elle en suivant mon index du regard.

J'acquiesce timidement.

Je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, étant donné que je ne peux pas approuver la conformité du prénom d'une personne que je ne connais pas.

  • Pas du tout, rétorque-t-elle. Elle est en droit.
  • Oh.

Un sentiment de soulagement m'envahit.

Comme si l'idée qu'elle ne puisse plus autant côtoyer Chahine qu'avant me rassurait.

  • Pourquoi ?

La question de mon amie me prend de court.

Je la fixe en silence, cherchant une excuse plausible.

  • Vous aviez l'air proches... alors je me demandais si c'était toujours le cas...
  • Plutôt oui, enfin...

Elle hésite un instant, jouant avec une mèche de cheveux.

  • Elle était surtout proche de Chahine, avant de déménager dans le Sud.

Mon cœur fait un raté.

J'essaie de feindre l'indifférence, mais je suis incapable de masquer l'inconfort que cet aveu me procure. Pourquoi est-ce que ça m'affecte autant, bon sang ?

  • Layla ? demande Jasmine. Tout va bien ?
  • Hein ? Euh oui, ça va...

Je tente de sourire pour la rassurer, mais elle n'est pas dupe et voit clair dans mon malaise.

Elle se racle alors la gorge, avant d'ajouter :

  • Je sais que l'Islam enjoint à garder une certaine distance avec le sexe opposé, mais... ils étaient jeunes...

Quoi ?

  • Et puis, ce sont des cousins...
  • Des... des cousins ?!

Maintenant qu'elle le dit, c'est vrai qu'ils ont de nombreuses caractéristiques communes. Comme le fameux grain de beauté logé sur le côté droit de leur menton.

J'étais simplement trop occupée à me comparer à elle pour le remarquer.

  • Attends... reprends-je. Je n'étais pas du tout en train de les juger !

Jasmine bat excessivement des cils à son tour, visiblement perplexe.

  • Je... je pensais que c'était ça qui te mettait mal à l'aise...
  • Non, pas du tout ! Je ne me permettrais pas !
  • Alors c'est quoi, le problème ?

J'aimerais répliquer, mais une fois de plus, je suis à court de mots.

Je m'apprête néanmoins à briser le silence pesant qui s'installe, lorsque la vitesse légendaire de mon interlocutrice me devance :

  • Oh mon Dieu. Ne me dis pas que Chahine te plaît.

Mes joues s'enflamment.

Je m'empresse de secouer la tête :

  • Quoi ? Non, n'importe quoi !

Jasmine croise les bras sur sa poitrine, peu convaincue.

  • Alors pourquoi tu rougis ?
  • Je... je ne rougis pas !
  • Et pourquoi tu fais une fixette sur Myriam ?
  • Je... je ne fais pas de fixette !

Je veux ajouter quelque chose pour plaider ma cause, mais le sourire mutin de Jasmine m'en fait comprendre la futilité. Décidément, elle est vraiment bornée.

Je prends alors une profonde inspiration pour me calmer, et sa mesquinerie laisse place à une expression plus douce, teintée de bienveillance et de compréhension.

  • Chahine est incroyable, tu sais, susurre-t-elle. Tu es en droit de t'intéresser à lui.
  • Je...

La rousse ne me laisse pas le temps d'achever ma phrase qu'elle m'invite à la suivre dans la cuisine, m'informant qu'elle serait dégoûtée si son plat perdait son essence à cause du froid. J'obtempère alors machinalement, heureuse qu'elle m'offre un moment de répit, même si intérieurement, je suis bouleversée par ses propos. Est-ce qu'elle aurait raison ?

Une fois dans la cuisine, je m'installe autour de la table et goûte enfin sa fameuse recette. Les différentes saveurs explosent dans ma bouche et je m'empresse de féliciter son talent.

  • N'hésite pas à m'envoyer la recette ! m'exclamé-je en dévorant une bouchée.
  • Pourquoi ? Tu veux la reproduire pour Chahine ?

Je recrache le morceau de poulet et m'étouffe avec.

Une quinte de toux me secoue et il me faut un instant pour reprendre ma respiration.

  • Jasmine ! m'écrié-je, indignée.
  • Pardon, pardon ! s'esclaffe-t-elle. C'était beaucoup trop tentant !

Je roule des yeux, exaspérée par son attitude.

  • Ne t'inquiète pas, de toute façon il sait cuisiner !

Ma curiosité est soudain piquée.

  • Vraiment ?
  • Oui. Il vit aussi seul dans son appart, donc il a dû apprendre à se débrouiller.
  • Oh.

Je suis impressionnée par leur organisation.

J'ai déjà du mal à gérer mes cours de médecine alors que je vis encore chez mes parents. Je n'imagine même pas ce que ça donnerait si je devais également m'occuper d'un foyer.

  • C'est à cause de l'externat, comme toi ?

Ma question fait tressaillir Jasmine.

Elle passe nerveusement une main dans ses cheveux pour se ressaisir.

  • Euh, non... c'est un peu plus compliqué pour Chahine.

Je fronce les sourcils, intriguée.

  • Compliqué ? Comment ça ?

Elle se mord alors la lèvre d'un air penaud.

  • Je... je ne pense pas que ce soit à moi d'en parler. Disons simplement qu'il a ses raisons.

Je m'arrête net, déconcertée.

C'est la première fois que Jasmine se montre aussi ferme et distante, loin du rayon de soleil qu'elle incarne habituellement. Et pour être franche, ça ne présage rien de rassurant. Tous ces mystères autour du passé de Chahine commencent sérieusement à m'inquiéter.

Je décide cependant d'être conciliante et je finis par changer de sujet pour alléger la tension pesante qui s'est installée.

Nous discutons de tout et de rien, passant aisément des cours, de diverses anecdotes aux derniers épisodes de notre série préférée – Grey's Anatomy. La conversation est légère et entremêlée de nos rires francs.

Alors que nous terminons le dessert – un délicieux Mouhalabieh –, Jasmine reçoit un message et aussitôt, son sourire se fane pour laisser place à une expression plus sérieuse.

  • Oh non... marmonne-t-elle d'un air tendu.
  • Qu'est-ce qui se passe ?
  • Madi est de garde ce soir, balbutie-t-elle. Mais... il a oublié son pull !

Je m'esclaffe, persuadée qu'elle fait du sarcasme.

Mais lorsque je remarque qu'elle ne desserre pas son expression, je réalise que non.

  • Ce n'est pas drôle, Layla... déclare-t-elle. La chambre de garde est vraiment froide !
  • Désolée, je ne cherchais pas à me moquer...

Elle ignore mes excuses et continue de pianoter frénétiquement sur son écran, tout en se mordillant les ongles d'un air inquiet.

  • Jasmine ? murmuré-je. Tout va bien ?
  • Non... Il va mourir de froid à coup sûr...
  • Euh... je pense qu'il est capable de survivre à ça, quand même...
  • Tu imagines s'il attrape une pneumonie ? Ou pire, qu'elle se surinfecte ?

Je la fixe en silence, interdite.

Pourquoi est-ce qu'elle dramatise autant la situation ?

Elle continue de faire fi de mes tentatives de réassurance tout en jouant nerveusement avec ses doigts et soudain, je comprends. Je comprends à quel point j'ai sous-estimé la profondeur de ses sentiments envers Madi.

  • Jasmine... prononcé-je doucement. Tu tiens vraiment à lui, pas vrai ?
  • Bien sûr, rétorque-t-elle sur le ton de l'évidence. C'est mon meilleur ami, Layla !
  • Non, je veux dire... c'est plus qu'un ami à tes yeux...

Elle s'arrête alors net, cessant les mouvements de ses doigts.

  • Que... quoi ? bafouille-t-elle. Mais non, enfin... c'est...
  • Jasmine... soupiré-je. Tu sais que tu peux me faire confiance, hein ?

Elle détourne le regard, le visage en feu.

C'est la première fois que je la vois aussi déstabilisée, elle qui semble toujours si confiante habituellement. Nul doute que j'ai touché un point sensible.

Jasmine se confie pourtant régulièrement à moi, depuis que nous nous sommes rapprochées. Mais le sujet des relations est un terrain que nous n'avons jamais exploré ensemble. Je ne voulais pas paraître intrusive et avec l'embarras qui la gagne en ce moment même, je comprends mieux pourquoi elle ne l'a jamais abordé non plus.

Je m'apprête ainsi à la laisser tranquille, lorsqu'elle se met à déclarer :

  • Bien sûr que je te fais confiance, Layla...

Elle relève la tête pour me faire face et j'ancre mes prunelles aux siennes.

  • C'est juste qu'entre Madi et moi, c'est compliqué...
  • Comment ça ?

Elle baisse de nouveau le regard, songeuse.

  • Même si l'Islam autorise un homme à épouser une femme de religion chrétienne, sa famille ne voit pas les choses de la même façon... Autant te dire que notre avenir est voué à l'échec.

Alors qu'elle prononce ces derniers mots, des billes de larmes se forment aux coins de ses yeux.

Je m'avance vers elle et pose une main rassurante sur son bras.

  • Je suis vraiment désolée pour toi, Jasmine...
  • Tu n'y es pour rien...

Je sens néanmoins son corps se crisper et à mesure que ses larmes coulent, j'augmente doucement la pression que j'exerce sur son bras pour lui transmettre du réconfort.

  • Est-ce que... tu as déjà rencontré ses parents ? demandé-je, sur la réserve.

Elle essuie rapidement une larme d'un revers de la manche et secoue la tête.

  • Non, jamais. À quoi bon ? Je sais qu'ils ne m'accepteront pas.
  • Peut-être qu'en découvrant la personne incroyable que tu es, ils changeront d'avis.

Elle lâche un rire sans joie.

  • Non, Layla. On n'est pas dans une série coréenne, malheureusement.
  • Donc tu déclares forfait avant même d'avoir essayé ?

Je me rends compte un instant plus tard que mon ton est monté d'un cran.

Jasmine me fixe en silence, probablement surprise par ce revirement.

  • Pardon, murmuré-je. Ce n'est pas ce que je voulais dire... c'est juste que...

Je prends une profonde inspiration pour trouver les bons mots.

  • L'idée que tu passes peut-être à côté de l'amour de ta vie sans même avoir essayé me rend dingue...
  • Layla...
  • Je ne veux pas que tu te réveilles un matin avec ce regret, sans plus pouvoir rien y changer...

Ces propos sont adressés à Jasmine, mais ils pourraient tout aussi bien être pour moi. Ce n'est pas pour rien que sa résignation me frappe autant. Parce qu'elle est le miroir de ma propre situation. Le reflet d'une personne tellement tétanisée par ses croyances limitantes qu'elle était prête à vivre une vie pour autrui.

Je pensais avoir eu ce fameux déclic, celui du changement inévitable que je devais opérer, lors de ma dernière dispute avec ma mère. Mais je réalise qu'il m'a réellement transpercée seulement aujourd'hui. Le temps n'attendra pas que je sois prête, alors à partir de maintenant, je ne perdrai pas une minute de plus sans agir pour un meilleur avenir.

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