Chapitre 17
Layla
Un klaxon strident me fait bondir alors que j'enfile mes chaussures. Je regarde par la fenêtre et aperçois une Mini Cooper rose bonbon stationnée en warning dans ma ruelle.
- J'y vais ! déclaré-je à ma famille sans attendre leur réponse.
Je franchis le perron et traverse l'allée en pierres de mon jardin pour rejoindre le véhicule. Jasmine m'attend à l'intérieur, une main sur le volant, l'autre me tendant un sachet de croissants frais.
- Prends des forces, beauté, me susurre-t-elle. Une longue journée nous attend !
Je m'installe à côté d'elle et boucle ma ceinture de sécurité avant d'obtempérer.
- Merci beaucoup, Jasmine !
- N'hésite pas à te resservir, j'en ai pris un paquet !
Elle me décoche un clin d'œil et positionne sa main sur le levier de vitesse.
- Prête à décoller pour Astérix ? me demande-t-elle.
Je hoche la tête avec un sourire impatient.
- Alors allons récupérer les garçons ! On commence par Madi !
Sur ces mots, Jasmine passe la première vitesse et s'engage sur la route avec une énergie palpable. Je l'observe conduire avec une confiance déconcertante, fascinée par la fluidité de ses gestes. Il faudrait vraiment que je songe à passer le permis, moi aussi.
En quelques minutes seulement, elle arrive devant l'immeuble et coupe le moteur. Je prends alors le temps de scruter le paysage qui s'offre à moi. La façade du bâtiment est ancienne, mais bien entretenue. Devant elle, une petite place est bordée d'arbres feuillus. Elle abrite une fontaine dont l'eau murmure tout doucement.
Je ne peux m'empêcher de trouver cet endroit réconfortant, un havre de paix dans lequel il ferait bon de vivre, loin du tumulte incessant du centre-ville.
Mais alors que je continue de contempler le lieu, un léger coup sur la vitre teintée me ramène soudainement à la réalité. Je baisse instinctivement la vitre et me liquéfie lorsque je réalise qu'il ne s'agit pas de Madi, mais de Chahine qui se tient devant moi.
- Qu'est-ce que... bredouille-t-il, le regard surpris.
Pour être franche, je suis tout aussi étonnée.
Mais j'essaie de reprendre un peu de contenance et le questionne de but en blanc :
- Pourquoi... tu es chez Madi ?
Il fronce les sourcils, visiblement perplexe.
- Chez Madi ?
J'acquiesce d'un mouvement de tête.
- Oui, chez Madi.
Il me dévisage silencieusement, comme si je venais de lui balancer une énormité.
- C'est chez moi ici, finit-il par lâcher.
- Quoi ?
Je me retourne spontanément vers Jasmine et la vois faire de son mieux pour contenir un rire, ses prunelles pétillant de malice.
- Qu'est-ce que tu lui as raconté encore, comme bêtise ? s'indigne le brun.
- Hein ? Moi ? Rien du tout ! se défend la rousse.
- Pourquoi tu m'as dit qu'on commençait par Madi ? m'offensé-je à mon tour.
- Oh ça... J'ai dû me tromper, dire Madi au lieu de Chahine !
Elle ponctue son ton faussement innocent par un petit gloussement.
Oh mon Dieu, je vais vraiment assassiner cette fille !
- T'étais pas censé me récupérer en premier, en plus ? questionne-t-il.
Jasmine ouvre la bouche, dans un élan de réalisation.
- Mince... c'est vrai... Désolée, j'avais complètement oublié !
- Laisse tomber, soupire-t-il, manifestement agacé.
Il se dirige alors vers la portière arrière pour s'installer. Je le regarde marmonner des choses inaudibles dans sa barbe inexistante, déconcertée par son comportement. Il voulait tant que ça être assis devant ?
- Attends, Chahine ! s'écrie Jasmine. Tu peux toujours échanger avec...
- Laisse tomber j'ai dit, la coupe cependant le brun.
Le visage de Jasmine laisse transparaître une certaine culpabilité, tandis qu'une tension électrique envahit progressivement le véhicule. Je ne comprends décidément pas pourquoi le choix d'une simple place prend autant d'ampleur, alors même si ça ne me ressemble pas, je balance d'un ton acide :
- Sérieusement, Chahine ? T'es une princesse ou quoi ?
Sur cette remarque, il relève légèrement la tête et me jette un regard noir à travers le rétroviseur.
- Je t'ai pas sonnée, à ce que je sache.
Je manque de m'étouffer.
Je m'apprête alors à répliquer quelque chose lorsque Jasmine intervient précipitamment pour m'en empêcher :
- Non, Layla ! Ce n'est pas ça !
J'arque un sourcil, incrédule.
- C'est juste que Chahine...
- Jasmine, tais-toi ! l'interrompt-il.
Mais elle semble déterminée à achever sa phrase :
- Il... il a le mal des transports, tu vois...
- Quoi ?
Je me retourne alors vers lui, les yeux écarquillés.
Chahine a le visage enfoui dans son coude, visiblement gêné par cet aveu.
Je comprends soudainement mieux pourquoi il tenait absolument à ce que Jasmine le récupère en premier. Pour pouvoir s'installer devant sans éveiller le moindre soupçon.
- Il n'y a pas de honte à avoir, tenté-je de le rassurer.
Il grommelle faiblement et je suis partagée entre de la compassion et une énorme envie de rire. Sous ses airs de dur se cache en fait une véritable petite nature.
- Mais oui, Chahine ! ajoute Jasmine. Ça arrive à plein de gens !
- Arrête ça, grogne-t-il sans relever la tête.
Un sourire narquois se dessine subitement sur mes lèvres à l'idée d'avoir trouvé son point faible.
- Allez, viens devant petit chou, déclaré-je en débouclant ma ceinture.
Jasmine se met à rire aux éclats tandis que le brun me foudroie du regard sans bouger.
- Continue et c'est moi qui vais te faire descendre, rétorque-t-il finalement.
- Essaie de ne pas me vomir dessus en chemin, hein !
- Layla, tu n'en rates pas une ! s'écrie la rousse, pliée en deux sur son siège.
- Allez vous faire voir toutes les deux !
Je me lève de mon siège entre deux rires et m'apprête à ouvrir la portière arrière pour prendre sa place, mais un poids invisible la retient. Je regarde alors par la fenêtre et vois Chahine l'agripper de toutes ses forces pour m'empêcher d'entrer.
- Chahine ! rouspété-je, irritée par son attitude infantile.
- Laisse tomber, marmonne-t-il en fermant alors les yeux.
Je rêve ou il fait mine de s'endormir ?
- Non mais tu te moques de moi, là ?
Il ignore ma question et se contente de rabattre la capuche de son sweat sur sa tête, m'incitant implicitement à lâcher l'affaire avec lui.
- Espèce de sale borné ! soupiré-je.
Je me résigne néanmoins et rejoins de nouveau Jasmine, toujours aussi hilare, à l'avant. Je me demande comment ce garçon peut parfois se montrer si sage dans ses décisions et aussi immature en même temps.
* * *
La voiture atteint à peine le parking du parc d'attractions que Chahine s'empresse de sortir pour prendre une bouffée d'air frais. Je l'observe peu à peu reprendre sa respiration, les épaules affaissées et les mains appuyées sur ses genoux.
- C'est pas faute de t'avoir prévenu, idiot ! m'exclamé-je.
Je le rejoins, laissant le soin à Jasmine d'entreposer sa Mini Cooper un peu plus loin.
Il relève alors la tête pour soutenir mon regard et me répond d'une voix pantelante :
- Ça va... C'est pas la fin du monde non plus...
Je fronce le nez.
- Pas la fin du monde ? lâché-je d'un ton amer. Tu te moques de moi ?
Il hausse un sourcil, une expression incrédule sur le visage.
- Tu n'arrives même pas à rester debout ! crié-je, avec véhémence.
Sur ces mots, Chahine se redresse finalement.
Son expression passe de l'incompréhension à une forme de curiosité face à ma réaction qu'il juge probablement disproportionnée.
- Arrête, souffle-t-il. Je vais finir par croire que tu t'inquiètes pour moi.
- Quoi ?
Mes joues s'enflamment instantanément.
- Moi ? M'inquiéter pour toi ? Tu plaisantes, j'espère !
J'essaie de feindre une indifférence, croisant les bras d'un air désinvolte, mais il continue de m'examiner silencieusement, un sourire mutin au coin. Alors qu'il s'apprête à dire quelque chose, une autre voix masculine le coupe dans son élan :
- Ah, vous êtes là ! Je vous cherchais !
C'est Madi.
Apparemment, il a été retardé par un petit imprévu en rapport avec sa nièce. Ce qui l'a empêché d'effectuer le trajet avec nous et l'a conduit à nous retrouver directement ici.
Il tend la main à Chahine pour le saluer avant de m'adresser un signe de la tête à distance. Je lui souris en retour et l'instant d'après, Jasmine arrive enfin. Nous la suivons alors tous ensemble en direction de l'entrée du parc.
- On commence par quelle attraction ? demande-t-elle, enthousiaste.
- OzIris, évidemment ! répond spontanément Madi.
Je relève la tête pour jeter un œil à l'attraction en question. Il s'agit d'un parcours de montagnes russes inversées. Les rails s'enroulent dans un enchevêtrement chaotique, formant des boucles vertigineuses et des loopings effrayants. Les wagons, dont le crissement métallique résonne dans l'air, semblent presque défier les lois de la gravité.
Un frisson me parcourt l'échine en entendant les hurlements stridents des passagers. Je prends une profonde inspiration pour tenter de masquer ma nervosité, mais mon anxiété n'échappe manifestement pas à Chahine. Il s'approche d'un pas, un sourire malicieux sur le visage, puis se penche légèrement vers moi pour me murmurer :
- Je sens que quelqu'un va vomir...
Sa remarque m'arrache un rire franc.
Je prends le temps de le fixer un instant, avant de répliquer d'un ton cinglant :
- C'est vrai, tu dois bien t'y connaître sur ce sujet.
Il marque une pause, visiblement pris au dépourvu par mon audace. Puis un sourire amusé naît lentement sur ses lèvres.
- Touché, répond-il finalement, son regard pétillant de défi.
Je continue de glousser, satisfaite de ma victoire.
Mais l'expression de Chahine change progressivement, passant de l'amusement à quelque chose de moins léger.
- Plus sérieusement, Layla... débute-t-il. Tu es certaine de vouloir tester cette attraction ?
- Quoi ?
Je me tourne vers lui, incrédule.
- C'est une attraction vraiment flippante, poursuit-il. Elle te secoue dans tous les sens, avec des virages et des descentes à vitesse folle...
- Et donc ?
- Donc...
Il s'éclaircit la gorge, comme pour trouver les bons mots.
- Donc si t'es pas sûre de vouloir monter, t'es pas obligée de te forcer.
Je le contemple en silence, le sourcil levé.
- Attends... murmuré-je. Je rêve ou tu t'inquiètes pour moi ?
- Quoi ? s'offusque-t-il.
Il détourne instantanément son regard et passe une main nerveuse sur sa nuque.
- Tu rêves complètement, clarifie-t-il. Je voulais simplement te prévenir.
Je continue de le fixer, un large sourire flottant sur mes lèvres.
L'idée qu'il se montre aussi soucieux à mon sujet me donne presque envie de sautiller.
- T'inquiète pas, le rassuré-je. Si je réagis comme ça, ce n'est pas à cause de l'attraction.
Chahine se retourne de nouveau vers moi, curieux.
- En fait, j'ai surtout peur de perdre mon voile en cours de route.
Il me dévisage alors, les yeux ronds.
Visiblement, il s'attendait à tout sauf cette raison.
- Mais regarde, déclaré-je en lui désignant du doigt une fille dans le premier wagon. Elle a fait un double nœud avec son foulard. Je vais simplement faire pareil et tout ira bien !
Il reste immobile un moment, sans savoir quoi répondre.
Puis il se met à éclater de rire.
- Alors toi... exhale-t-il. T'es vraiment un cas, tu sais ?
- Peut-être... rétorqué-je en tirant la langue.
Sans plus attendre, je ressers mon foulard et me mets à courir vers la queue de l'attraction, sous les yeux intrigués de Chahine, puis de Jasmine et Madi qui ne tardent pas à nous emboîter le pas.
* * *
Nous avons passé la journée à enchaîner les attractions les plus folles, nos cris assourdissants entrecoupés par de nombreux éclats de rires francs. Je n'avais jamais eu l'occasion de tester des attractions aussi intenses avant, me contentant toujours des petits manèges de fête foraine avec Wiam. Mais je dois avouer que je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
En même temps, difficile de s'ennuyer avec Jasmine comme compagnie. Même si notre organisation consistait à nous séparer en deux groupes à chaque fois, avec les filles d'un côté et les garçons de l'autre, elle n'a pas lésiné ses efforts pour tenter de me rapprocher de Chahine. Heureusement, je trouvais toujours un moyen de la contrecarrer.
Enfin, jusqu'à ce que Madi annonce se sentir subitement mal.
Je n'avais rien remarqué d'étrange dans son comportement, pourtant. Il était monté dans chaque attraction sans jamais se plaindre et avait même donné l'impression d'adorer ça. Pour autant, Jasmine a insisté pour l'accompagner à l'infirmerie, tout en m'intimant par la même occasion de trouver avec Chahine un endroit où nous pourrions déguster un goûter avant de rentrer. Je n'aurais pas eu de doute, si je n'avais pas remarqué le sourire espiègle qui s'était dessiné sur les lèvres de la rousse à mesure qu'elle s'éloignait de nous avec son ami.
Alors que j'entrouvre le plan du parc, à la recherche de notre prochaine destination, quelqu'un me bouscule brusquement. Le choc me déséquilibre et je vacille instantanément.
- Attention !
Je m'apprête à m'écraser contre le sol, lorsque je sens une main ferme agripper mon poignet juste à temps. Je relève la tête et aperçois Chahine qui me stabilise, son visage doté d'une expression de crispation.
- Ça va ? me demande-t-il instinctivement.
- O-oui... marmonné-je en opinant du chef.
Je me redresse légèrement.
- Merci...
- Les gens sont tarés, rouspète-t-il. Bousculer les autres comme ça...
- J'imagine qu'ils sont impatients de découvrir Tootatis, la nouvelle attraction...
Le brun me lance alors un regard indigné.
- Et alors ? s'offense-t-il. C'est pas une raison pour te pousser !
Je me pince la lèvre inférieure, déconcertée par son côté protecteur.
Je dévie alors mon regard et c'est à ce moment-là que je réalise que ses doigts sont toujours fermement agrippés autour de mon poignet. Une chaleur envahit mes joues et je me sens soudain prise au piège dans un étau. Ça m'ennuie de l'admettre, mais une partie de moi aimerait ne rien dire et prolonger ce contact physique. La main de Chahine est chaude, m'enveloppant dans une bulle de sérénité et de réconfort que je ne veux plus lâcher.
Cependant, l'autre partie, plus raisonnable, m'ordonne d'agir immédiatement.
- Euh... Chahine... commencé-je en chevrotant.
- Quoi ?
- Tu... tu tiens toujours ma main, dis-je d'une voix un peu plus faible que je ne l'aurais voulu.
Il semble à peine réaliser, et avant même que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, il lâche ma main d'un coup sec, son visage s'empourprant instantanément.
- Désolé ! s'écrie-t-il, visiblement gêné. Je... je n'avais même pas remarqué !
Je tente d'apaiser le feu qui continue de m'embraser et réplique :
- C'est... c'est pas grave...
Mon ton a beau être plus léger, la tension électrique instaurée entre nous ne s'amenuise pas. C'est comme si nous venions de franchir une frontière invisible. Une limite interdite qui m'empêche de me concentrer sur autre chose que la chaleur de ses doigts qui me brûle encore la peau.
Chahine n'est pas indifférent à l'atmosphère qui pèse non plus. Je peux le voir dans la manière dont il évite mes prunelles, son corps entier tendu et incapable de savoir où se placer. J'aimerais pouvoir lui faire de l'espace, mais je me sens moi-même noyée dans ce tourbillon, puisant dans toutes mes forces pour simplement réussir à respirer.
- Layla... souffle-t-il finalement. Je...
- On est de retour !
La voix stridente de Jasmine nous arrache soudain de notre transe.
Elle s'approche d'un air euphorique, suivie de près par Madi qui semble en pleine forme.
- Vous avez trouvé un café ? nous demande-t-elle, incrédule.
- Euh... bredouillé-je. Eh bien...
Mon cerveau refuse de coopérer, toujours occupé par mes pensées confuses.
Je me sens encore plus embarrassée à l'idée de me laisser autant influencer par une simple interaction. Moi qui voulais éviter de paraître suspecte, c'est complètement raté.
- On peut aller à la taverne, déclare Chahine d'une simplicité déconcertante.
Je jette un coup d'œil dans sa direction, reconnaissante pour son intervention. Il me rend alors mon regard et durant un instant, le temps se suspend de nouveau autour de nous.
- Bonne idée, rétorque Madi. C'est pas loin, en plus !
- Ah oui ? s'étonne Jasmine en feuilletant le plan. Pour une fois que tu es utile, Chahine !
Le brun roule des yeux et je laisse échapper un gloussement, amusée par leur légendaire complicité. Mais ce répit n'est que de courte durée et très vite, je ne peux m'empêcher d'observer sa silhouette se fondre dans la foule, tout en me demandant ce qu'il se serait passé si Jasmine ne nous avait pas interrompus.
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