Chapitre 18
Layla
- Il te plaît ?
Je regarde Rym tournicoter sur elle-même à travers l'écran de mon portable. Elle porte un caftan nacré brodé de motifs dorés, dont la longue traîne se soulève à chaque mouvement.
- Il est magnifique ! lui réponds-je spontanément.
Elle glousse timidement et je souris face à sa réaction. Avec le rythme effréné de nos cours, nous n'avons pas vraiment eu l'occasion de discuter ces derniers temps. Alors lorsqu'elle m'a annoncé que Mounir, ce garçon qu'elle a rencontré à l'université, allait venir demander sa main officiellement, je me suis empressée de lui téléphoner.
- Pas trop stressée ? demandé-je, curieuse.
Elle arrête de tourner et se rapproche pour mieux me faire face.
- Non ça va, répond-elle honnêtement. Je l'ai déjà présenté à la famille, donc il s'agit juste d'une formalité.
- Et qu'est-ce qu'ils en pensent ?
Elle hausse les épaules avant de s'asseoir sur le bord de son lit.
- Ils l'aiment bien. Mon père le trouve respectueux et ma mère mature et intéressant.
- Oh... Si Tata Sonia le valide, alors tu n'as rien à craindre ! m'esclaffé-je.
Ma cousine pouffe de rire avec moi.
Ma tante maternelle est une femme plutôt exigeante. Elle n'a pas peur de dire ce qu'elle pense et ne fait pas de concessions si elle n'a pas la certitude qu'elles soient bénéfiques pour sa fille. On pourrait penser qu'elle ressemble à ma mère au premier abord, mais contrairement à cette dernière, ma tante n'accorde aucune importance au regard des gens. Ses décisions sont fondées sur une certaine authenticité, non dictées par un égo mal placé.
Nous continuons d'échanger quelques banalités à propos de sa khotba, lorsque Rym en profite pour aborder un autre sujet :
- Et avec Chahine ?
Je me pince la lèvre inférieure, silencieuse.
En constatant mon hésitation, ma cousine me fixe, intriguée :
- Allez ! Ne me dis pas que tu n'as rien à dire !
- Bon d'accord... capitulé-je en levant une main en signe de reddition.
Je prends une profonde inspiration, sous ses yeux emplis de satisfaction à l'idée de m'avoir fait céder. Puis je me mets à lui raconter tout ce qui s'est passé récemment. Nos différentes interactions, nos discussions avec Jasmine, ainsi que notre sortie à Astérix.
Plus je relate les faits, plus le sourire de mon interlocutrice s'agrandit, entrecoupé de petits commentaires taquins et de regards malicieux. Je fais de mon mieux pour l'ignorer et achève enfin mon récit sur une remarque particulière.
- Jasmine m'a dit qu'elle nous avait pas mal observés, à Astérix...
- Et alors ? bondit Rym. Qu'est-ce qu'elle en pense ?
- Eh bien...
Je sens mes joues rougir à l'idée de prononcer les prochains mots.
Mais l'impatience de ma cousine me force à prendre mon courage à deux mains.
- Elle m'a affirmé qu'elle ne l'avait jamais vu regarder une fille de cette manière...
- De cette manière... c'est-à-dire ?
- Je ne sais pas trop... marmonné-je. Disons, comme si j'étais la seule personne de la pièce...
Rym pousse alors un cri strident et se met à frapper dans ses mains comme une enfant surexcitée.
- Oh là là, je le savais !
- Doucement ! lui intimé-je.
J'en profite pour vérifier que la porte de ma chambre soit bien fermée avant de reporter mon attention sur elle.
- Ce n'est qu'une supposition ! continué-je.
- Mais quand même, rétorque-elle. Jasmine le connaît très bien !
- Certes, mais je n'ai pas envie de me faire des idées pour rien !
Ma cousine se calme alors, pinçant l'arête de son nez dans un geste de réflexion.
Je la contemple en silence, appréhendant ses prochaines paroles, lorsqu'elle me délivre :
- Si tu veux vraiment savoir si un garçon est intéressé par toi, j'ai un conseil...
J'arque un sourcil, incrédule.
- Observe sa réaction quand tu es entourée d'autres garçons.
- Quoi ?
- C'est comme ça que j'ai su pour Mounir. Il semblait mal à l'aise à chaque fois que je discutais avec un autre garçon.
J'opine du chef, attentive.
- Je vois...
- Après, tout le monde reste différent, ajoute-t-elle en haussant les épaules.
- Oui, évidemment...
J'essaie de ressasser un instant où j'aurais pu observer la réaction de Chahine face à un autre garçon, mais absolument rien ne me vient à l'esprit. Alors sans m'en rendre compte, un sentiment de déception m'envahit.
- Ne te prends pas trop la tête, déclare Rym, comme si elle lisait dans mes pensées.
- Ne t'inquiète pas pour moi, tenté-je de la rassurer. Je m'en fiche, de toute façon.
- Oh, crois-moi j'ai des doutes ! Tu as l'air d'être tout sauf pas intéressée par lui !
Je la regarde, la bouche ouverte.
- N'importe quoi !
- Arrête un peu, Layla ! C'est bon, ça se voit à dix kilomètres que tu as craqué pour lui !
Je m'apprête à protester, mais mon interlocutrice fait la sourde oreille.
Je réalise alors à ce moment qu'elle n'a pas tout à fait tort. Même si j'ai essayé de me persuader du contraire, je suis certaine que quelque chose s'est créé entre nous. Au-delà de l'amitié, une forme de connexion plus subtile, plus intense. Une sorte de complicité qui a soudainement émergé, comme une vague inattendue en provenance des abysses.
Je n'irais pas non plus jusqu'à parler de sentiments parce que je ne veux pas me faire d'illusions. Après tout, il s'agit peut-être simplement du fruit de mon imagination. Mais même si ça m'ennuie de l'admettre, une petite voix me susurre que ce lien mérite d’être exploré, de voir où il pourrait nous mener.
* * *
Mes matinées de stage se déroulent comme à l'accoutumée. Chahine m'envoie interroger des patients seule pendant qu'il s'occupe d'autres tâches. Ensuite, nous échangeons sur mes observations et il en profite pour me faire des rappels de cours sur certaines notions, avant de revoir les patients une seconde fois avec moi. Les cas cliniques que nous étudions sont intéressants et je me sens reconnaissante d'avoir l'opportunité de progresser autant.
Cependant, je mentirais si j'affirmais être totalement satisfaite.
Pour être honnête, la perspective d'avoir refusé un cas aussi rare que celui du myxome reste en travers de ma gorge. Surtout en sachant que c'est Ambre qui l'a récupéré. Elle n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher de me faire une réflexion. Je me souviens encore de son expression de surprise et de son ton perplexe.
- Franchement, je te comprends pas... m'avait-elle lâché. C'est une occasion en or.
J'aurais presque cru déceler une pointe d'inquiétude, si je n'avais pas conscience de nos différends. Mais je crois que le pire dans tout ça, c'est que je n'ai même pas pu lui rétorquer quoi que ce soit. J'avais refusé ce cas sur la demande impulsive de Chahine, sans même connaître ses raisons. Et c’est probablement ce qui me ronge le plus au fond de moi.
- On va être en retard.
La voix rauque de Chahine me tire soudain de mes pensées.
Je relève la tête et cligne des yeux, un peu perdue.
- En retard pour quoi ?
- Pour le Crous. Il ferme dans un quart d'heure.
- Oh.
J'attrape mon portable et observe l'heure indiquée : 13h45.
Mince.
Il a raison.
Entre les nouvelles entrées de patients à examiner, les différentes observations à noter, ainsi que l'interminable dossier de fin de stage que je suis censée compléter, je n'ai pas réalisé à quel point la matinée avait filé.
Je bondis de ma chaise pour ranger mes affaires. Chahine est déjà appuyé contre la porte, son téléphone collé à son oreille. L'expression de son visage passe de la surprise à la frustration. Il se pince l'arête du nez, avant de fermer les yeux et de lâcher un long soupir.
- Super. Vraiment génial, grogne-t-il en raccrochant.
Je m'empresse alors de le rejoindre, déconcertée par sa réaction.
- Qu'est-ce qui se passe ? demandé-je prudemment.
- Y a plus de frites.
Je laisse échapper un rire.
Mais Chahine me fusille instantanément du regard.
Je le fixe alors silencieusement, clignant des paupières plusieurs fois, avant de réaliser.
- Attends... ne me dis pas que tu es vraiment énervé pour ça ?
Il se contente de contracter la mâchoire et de marmonner des choses inaudibles dans sa barbe inexistante.
Je lève alors les yeux au ciel.
- Tu sais qu'un repas sans frites ne va pas te tuer, hein ?
- Et je vais manger quoi ?
- Il y a toujours du quinoa !
- Je suis un pigeon, c'est ça ?
Je pousse un soupir.
- Sérieusement, Chahine ? Tu as quatre ans ou quoi ?
Il me lance un second regard assassin avant de grommeler.
- Laisse tomber... On va à la boulangerie.
Il me tourne alors le dos et se met machinalement en marche, tellement impatient qu'il ne vérifie même pas si je suis toujours derrière lui. Je me résigne finalement à le suivre, à la fois exaspérée mais aussi amusée malgré moi par sa façon de réagir, comme si le monde entier venait de s'abattre sur lui.
* * *
Je pousse la porte de la boulangerie et suis instantanément enveloppée par les délicieuses odeurs de viennoiseries. Un carillon retentit et un jeune employé nous accueille. Il est vêtu d'un tablier élimé et ses cheveux bruns, attachés en un chignon bas, sont parsemés de quelques traces de farine.
- Bienvenue ! s'exclame-t-il avec un sourire.
Je le remercie et reporte mon attention sur les sandwichs exposés dans la vitrine. Le choix est large et j'attends d'abord celui de Chahine, qui semble tout autant hésiter que moi.
- Je peux vous aider ? propose l'employé.
Je relève la tête et ses yeux aussi verts que l'émeraude s'ancrent aux miens.
- Euh oui, je veux bien... rétorqué-je.
Il esquisse un nouveau sourire et pointe son index vers les différentes baguettes de pain.
- Alors on a le classique thon mayo... Ou le poulet pesto...
Je nie de la tête.
- Sinon, celui au saumon...
Je me frotte le menton, sceptique.
Ce dernier me tente, mais son prix est excessivement cher par rapport aux autres.
J'en profite pour jeter un coup d'œil discret vers Chahine, qui n'a pas l'air convaincu non plus.
- Vous êtes nouvelle ? me demande soudain l'employé.
- Quoi ?
- Je veux dire... je ne vous ai jamais vue ici.
Je secoue vivement la tête.
- Non, j'ai juste l'habitude de manger au Crous.
- Ah d'accord, je vois. Je me disais bien que je me serais souvenu d'un tel visage...
Mes joues s'empourprent.
Je suis prise au dépourvu par sa remarque que je ne sais accueillir et ne peux m'empêcher de chercher du soutien auprès de Chahine, même si j'imagine qu'il n'a rien entendu, trop absorbé par sa quête du sandwich parfait.
Cependant, à ma grande surprise, il a la tête relevé et le regard rivé en direction de notre interlocuteur. Il ne prononce pas un mot, mais je sens une atmosphère électrique s'installer immédiatement.
- Bon, déclare l'employé en l'ignorant. J'ai éventuellement autre chose à vous proposer...
J'arque un sourcil.
- La boulangerie va bientôt sortir une nouveauté...
- Oh.
- Je ne devrais pas en parler... Mais pour vous, je veux bien faire une exception et vous faire goûter.
Il m'adresse alors un clin d'œil charmeur et mon sentiment de malaise augmente autant que la tension palpable autour de Chahine. Je suis partagée entre l'envie d'accepter par simple curiosité et la peur que cet homme interprète mal mon approbation et se fasse des idées.
- Alors ? s'impatiente-t-il.
Je m'apprête enfin à répondre, lorsque Chahine me devance brusquement.
- Non merci. On se contentera de deux sandwichs au saumon.
- Vous êtes sûrs ? insiste-t-il. Vous allez manquer une occasion de...
- J'ai dit deux sandwichs au saumon, le coupe-t-il cependant sèchement.
Le boulanger écarquille les yeux, un peu pris de court, mais garde son sourire.
- D'accord...
Chahine se dirige alors vers la caisse pour payer nos deux repas. Il ne dit rien, mais la crispation émanant de son corps est tellement tangible qu'on dirait qu'il va exploser. Pourquoi est-ce qu'il réagit comme ça ?
Je n'ai cependant pas le temps d'y réfléchir davantage que je l'aperçois franchir la porte de sortie. Je me décide alors à le rattraper, bien déterminée à clarifier la situation.
- T'étais pas obligé d'être aussi rude avec lui, tu sais !
Le brun s'arrête dans son élan et se retourne pour me faire face.
- Ah parce qu'il a été pro, lui ?
- Quoi ?
Je le fixe, déconcertée.
- Juste parce qu'il m'a proposé de goûter à sa recette ?
- Oui, Layla ! Bien sûr, ça doit être ça ! Goûter à sa recette ! s'offense-t-il.
Son excès de véhémence me déroute particulièrement, lui qui semble toujours si nonchalant. Pourquoi est-ce qu'il abuse comme ça ?
Soudain, des bribes de conversation me traversent l'esprit.
Observe sa réaction quand tu es entourée d'autres garçons.
Je repense aux propos de ma cousine et la réalisation me frappe subitement de plein fouet.
Se pourrait-il que... ?
Je sens alors un poids peser contre moi. Je relève la tête et vois Chahine qui me tend le sachet contenant mon sandwich.
- Tiens, au lieu de dire n'importe quoi, souffle-t-il, visiblement toujours irrité.
Je sors mon sandwich de son emballage et ne peux m'empêcher de pester.
- J'arrive pas à croire que tu aies choisi sans me demander ce que je voulais !
- Arrête ton cinéma, s'esclaffe-t-il. Je t'ai vue baver devant le saumon.
- Quoi ?
Je place une main sur ma poitrine, faisant mine d'être indignée, avant d'esquisser un sourire et de le remercier. Même si ça m'ennuie de l'admettre, la perspective qu'il ait pu se montrer aussi observateur à mon égard réchauffe mon cœur de bonheur.
* * *
- J'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose !
J'essaie de me détacher de l'étreinte de Jasmine, à la recherche d'un souffle d'air. Mais ses bras tenaces se referment instantanément sur moi pour m'empêcher de fuir.
- Reste ici, m'intime-t-elle. J'ai compris ton petit jeu, Layla...
Elle s'approche alors d'un pas pour me murmurer à l'oreille.
- Tu voulais un peu de temps en tête-à-tête avec ton prince, c'est ça ?
Mon visage prend feu.
- Jasmine ! m'offensé-je. N'importe quoi !
Elle se met à ricaner et je lui enfonce un doigt dans les côtes pour l'obliger à me relâcher.
- T'es vraiment incorrigible... ajouté-je en me reculant, tandis qu'elle continue de rire.
- Pardon, mais c'était beaucoup trop tentant !
Je roule des yeux et me laisse finalement aller en m'asseyant à l'une des tables vides du restaurant universitaire. La rousse me rejoint, suivie de près par Madi et Chahine.
Nous nous mettons ensuite à dévorer nos plats, tellement affamés que seuls les bruits de nos bouchées entrecoupent le silence assourdissant qui s'est installé. Alors que Jasmine attrape la dernière frite de son plateau, elle ne peut s'empêcher de la faire tournoyer sous le nez de Chahine avant de la glisser lentement dans sa bouche pour le narguer. Le brun lui lance un regard noir manquant de la calciner sur place, tandis que Madi et moi éclatons de rire.
- Bon, à part ça... reprend Madi entre deux souffles. Et si on parlait de nos stages ?
Il prend une gorgée d'eau avant de continuer.
- Moi, je suis en chirurgie orthopédique et c'est de la pure folie. Chaque opération est tellement intense et l'adrénaline, toujours au rendez-vous.
- Au secours ! s'offusque Jasmine. Tu parles, c'est plutôt de la barbarie oui !
- Tu peux pas comprendre, c'est pas une spécialité de femmes après tout...
Je fronce les sourcils, interloquée.
- Hé ! m'écrié-je. Pas de misogynie ici !
Il lève les mains en l'air en signe de reddition.
- Ça va, je rigole...
J'ignore sa réponse et me tourne alors vers Jasmine.
- Et toi ? Tu es où, en ce moment ?
Elle s'étire nonchalamment avant de répondre de manière détachée.
- Dans une unité de psychiatrie. C'est particulier, mais très intéressant.
- Les médecins ne t'ont pas pris pour une patiente ? lui balance Chahine.
Je manque de m'étouffer.
La rousse le regarde de ses yeux ronds, avant d'attraper sa fourchette et de le menacer.
- Continue et je t'assure que toi, tu vas vraiment devenir un patient. Aux urgences.
- Ouh, je tremble !
Madi se met à taper du poing sur la table, hilare.
Je fais de mon mieux pour me contenir, mais très vite, leurs chamailleries m'arrachent un rire aussi.
Au bout de quelques minutes, Jasmine finit par reposer sa fourchette avec un soupir exagéré.
- Et toi, Layla ? Ton stage en cardiologie se passe bien ?
J'opine du chef avec un sourire.
- Plutôt bien, oui.
- Tu as pu observer des cas rares ou intéressants ?
Sur ces mots, je me fige un instant, hésitante.
Mon esprit revient aussitôt sur le cas du myxome. J'ai envie d'en parler, mais surtout d'exprimer ma frustration d'avoir dû le refuser. Et puis, peut-être qu'en l'évoquant, Chahine acceptera enfin de me fournir une explication.
- Oui, il y a eu un cas assez marquant... dis-je en jetant un coup d'œil furtif vers lui.
Ce dernier ne réagit cependant pas tout de suite, trop occupé à trier les miettes de son sandwich.
- Ah ouais ? s'anime Madi. Raconte !
Je prends le temps de m'éclaircir la gorge et me lance.
- Un patient sans antécédents avec une tumeur rare, un myxome.
Chahine relève enfin la tête et son expression se fige subitement.
De son côté, Madi siffle, visiblement impressionné.
- C'est énorme, ça. Tu as pu le prendre en charge ?
Je croise les bras sur ma poitrine et plante mon regard dans celui de Chahine.
- Non.
Jasmine hausse un sourcil, confuse.
- Pourquoi ?
Je laisse un léger silence planer avant de répondre, sans détour.
- Parce que monsieur m'en a empêchée.
Cette fois, Chahine me foudroie du regard.
- C'est quoi ton problème, Layla ? s'écrie-t-il.
- Je te retourne la question ! répliqué-je spontanément.
Il continue de me fixer, son expression glaciale passant à de l'incompréhension.
- Tu me forces à refuser un tel cas sans me donner la moindre explication, et c'est moi qui ai un problème ?
Durant un court moment, il tressaille, comme s'il ne s'attendait pas à ce que je ressasse ce sujet. Puis il passe une main dans ses cheveux et reprend un semblant de contenance.
- J'ai fait ce qui devait être fait. Ce cas n'était pas à ton niveau, de toute façon.
Un silence pesant s'ensuit.
Jasmine et Madi s'échangent un regard discret, prêts à intervenir, mais je ne leur en laisse pas le temps. Le peu de patience que je me donnais un mal de chien à conserver se volatilise instinctivement et je me surprends à déclarer :
- T'as surtout trop d'égo pour admettre que j'ai le potentiel de te dépasser. Alors ton seul moyen d'essayer de me freiner, c'est en m'empêchant de pratiquer.
Sur cette remarque, Chahine se pétrifie. Son expression passe de la frustration à quelque chose de plus brut, plus vulnérable. Il écarquille les yeux, comme si je venais de lui asséner un coup mortel.
- C'est vraiment ce que tu penses de moi ? me demande-t-il, d'une voix plus douce.
Je suis prise au dépourvu par sa question.
Bien évidemment que non, je n'en pense pas un mot. Mais sa persistance à vouloir me cacher la véritable raison derrière son refus me donne envie d'exploser. Peut-être parce que la perspective qu'il ne me fasse pas suffisamment confiance pour se livrer à moi me touche davantage que je ne veux l'avouer.
Alors malgré le nœud de culpabilité qui se forme dans ma gorge, je me mets à acquiescer, tout en espérant secrètement qu'en le heurtant, je parvienne à le faire changer d'avis.
- Waouh, lâche-t-il avec un rire sans joie. T'es vraiment pas croyable...
Il se lève brusquement, repoussant sa chaise d'un geste nerveux. Puis il détourne ses prunelles, comme si la simple idée de continuer à me regarder le révulsait soudainement.
- Redescends un peu, Layla. Tout ne tourne pas toujours autour de toi, tu sais.
Avant même que je ne puisse répliquer, il tourne les talons et quitte hâtivement la salle.
Je me contente de le regarder s'éloigner dans le couloir, des billes de larmes se formant aux creux de mes paupières alors que les doigts de Jasmine tentent de tracer des cercles apaisants sur mon dos.
Je ne sais pas ce que l'avenir de notre relation nous réserve. Ce que je sais en revanche, c'est que je peux maintenant répondre à cette fameuse question. Oui, je regrette complètement ma décision. Celle d'avoir fait une concession pour un garçon.
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