Lorsqu’il fut projeté au dehors par les étranges pouvoirs de sa protagoniste, Tom fit disparaître la terrible poussière autour de lui, et son postérieur atterrit intact sur le sol ferme.

 Les marauds qui avaient observé la scène retinrent leur souffle avec la béatitude d’une bande de crapauds sous l’eau.

— Ça va pas, la tête ?!

 Mais la jeune femme l’ignora, émerveillée elle aussi :

— J’avais raison ! s’enthousiasma-t-elle. Tu es nouveau, ici. Une idée neuve, c’est incroyable ! Depuis que l’aigrefin a jeté sa malédiction d’oubli sur notre monde, ça n’était pas arrivé. Tu comprends ?

— Absolument rien.

— Tu peux dissiper la poussière qui nous attaque ! Comme tu es la première nouveauté dans notre monde depuis si longtemps, l’abandon ne t’a pas encore atteint.

 Tom frotta son arrière-train – si tant est qu’il en avait vraiment un – endolori. Il pressentait la suite. Son pouvoir unique allait le lancer dans une quête pour sauver ce royaume. Et voilà qui prendrait bien sûr plusieurs tomes à réaliser, à moins qu’ils ne soient tous détruits avant par l’inéluctabilité des Oubliettes… Il n’avait aucune intention de rester dans cette histoire à laquelle il n’appartenait pas : un mot devait pouvoir s’en tenir à sa place.

— Il faut que tu ailles voir l’aigrefin, supplia sans surprise la belle inconnue. Et que tu lui demandes de lever son sort !

— Je ne peux pas, répliqua Tom avec sincérité. J’ai déjà ma propre aventure à retrouver. Et puis, je ne suis qu’un mot loin de chez lui ! Pourquoi tu n’irais pas parler à cette chose toi-même ?

 La jeune femme secoua du menton :

— Impossible. Je suis un personnage de ce récit.

 Elle montra sa main gantée.

— Autrefois, une sorcière a maudit mon père sur plusieurs générations, et depuis je cherche à me libérer du destin qui m’est imposé. Sans ajouter que je dois aussi sauver mon renard de feu, Moz ! Toi, par contre, tu n’es qu’un mot : tu n’as pas de lien avec nos intrigues. Tu peux quitter ce tome sans entraves. Je t’en prie… Il faut que je sache où ma quête est censée me mener !

 L’intéressé se sentit englué de mélancolie devant les grands yeux tristes de son inconnue. Combien de personnages comme elle avaient existé dans son histoire à lui ? Combien de péripéties, d’éléments déclencheurs, de jolies descriptions et de concepts intéressants méritaient d’être creusés plus en profondeur ? Il était le seul résidu de leur existence passée, désormais.

 Et ce tome-ci allait subir le même sort.

— Cet aigrefin dont tu parles… s’entendit-il grogner. C’est lui qui abandonne nos récits et les laisse se faire ensevelir par l’oubli, n’est-ce pas ?

— Oui. C’est un sorcier tout-puissant.

— Très bien. Dans ce cas, je vais aller lui dire un mot.