Le Tome Six : Chapitre 2
Ils devaient être arrivés dans un biome « horreur », songea Tom, alors qu’un sinistre château fendait les brumes dans sa direction… L’héroïne du tome quatre lui avait décrit l’aigrefin comme un sombre sorcier : les chances étaient donc qu’il se trouve quelque part dans cette région toute aussi sombre des Oubliettes. Le mot se réjouit d’avance à l'idée de rencontrer bientôt son antagoniste, au point qu’il dut devenir un instant la seule source d’espoir visible à des pages à la ronde.
La forteresse se rapprochait toutefois dangereusement, et la bête à crocs de vautour s’agitait devant elle avec la détresse des animaux qui font face à leur fin.
— Ne t’en fais pas, rassura Tom. Reste près de moi.
Il s’assombrit dès qu'il eut prononcé cette parole, se renfrognant dans une lugubre humeur capable de ternir même le plus brillant des adjectifs. La créature, accompagnée d’un tel mot, parut aussitôt deux fois plus macabre que d’ordinaire…
Le château passa alors sur eux, sans les écraser pour autant :
— On n'a qu'à se fondre dans le champ lexical de cet environnement, expliqua Tom. Comme ça, les qualificatifs du coin ne pourront pas nous atteindre. Et en étant deux, on peut s’influencer mutuellement pour s’adapter. Tu vois ?
La sinistre bête qui l’accompagnait semblait avoir compris, car elle était vraiment très morose à cet instant, si bien qu'ils purent ainsi reprendre leur chemin sous une lune plus dépitée que jamais.
Tom se retrouva bientôt dans l’immense vestibule du château, une pièce ornée de colonnes en spirales aussi hautes et larges que des séquoias pétrifiés, bercée par l’écho du vent qui la traversait en gémissant d’une lucarne à l’autre. Des visages étaient gravés aux murs, fixant d'un regard pierreux les intrus qui pénétraient leur sanctuaire… S’il avait été un personnage à part entière, Tom se serait sans doute senti effrayé par cette vision. Mais il doutait que les juges de pierre eussent un quelconque grief contre un simple mot – qui plus est aussi sombre et torturé que le reste du décor : en fait, ils ne devaient même pas le remarquer.
Il poursuivit son exploration du lieu, se demandant si l’aigrefin pouvait habiter à l'ombre de ces tours voûtées. Quel genre d’être était-il ? Comment faisait-il pour condamner ainsi les tomes aux Oubliettes ?
Tom finit par émerger dans une vaste salle à manger, sobrement décorée d’une table de banquet massive qui trônait devant une cheminée envahie de cendres froides. Les odeurs de vin et de viande grillée qui flottaient encore dans l’air semblaient faire apparaître les spectres de festivités récentes, ce qui suffit à lui mettre l’eau à la bouche : il aurait rêvé découvrir quels mots pouvaient décrire les mets d’ici…
Tout à coup, une assiette en porcelaine vola hors de sa vaissellerie pour venir s’écraser contre un mur de pierre moussue derrière lui, le faisant sursauter lorsqu’il se retrouva assailli par la tempête d’éclats brisés qui en résulta. Il n’avait vu aucun mouvement, ni personne dans la pièce – ce qui suffit pour qu'il remarque une seconde étrangeté : la bête funeste qui l’accompagnait n’était plus avec lui.
Tom commençait tout juste à ressentir le poids de l’anxiété lorsqu’un homme de chair et d’os entra dans la salle à manger ; ce dernier portait une petite balayette ainsi qu’une pelle, et allongeait une mine ensommeillée au-dessus de ses épaules (pas comme quelqu'un qui venait de se réveiller, mais plutôt à la manière d'un malheureux n'ayant jamais connu le confort d'un lit)… Le mot lugubre l’observa un instant ramasser les restes d’assiette éparpillés dans la pièce, sans qu'il ne paraisse s’étonner de trouver sa vaisselle en mille morceaux. Alors, il soupira, puis ouvrit enfin la bouche :
— Qu’est-ce que tu fais ici à m’observer ?
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