Le Tome Six : Chapitre 8
Le visage de l’homme se révulsa et sa voix parut alors soudain chanter à travers l’entièreté du tome six, comme un gospel fantôme d’une centaine de tons à la fois :
— Je ne peux pas dire que je sois impressionné, retentit le Blocage. D’autres ont découvert la vérité bien plus tôt que toi.
Ses reproches faisaient tambouriner les murs autour de Tom, il sentait l’air dans la pièce vibrer avec la même intensité que si le château venait de se transformer en caisse de résonance.
Face à lui, il n’y avait plus guère de protagoniste. Seulement un mur ; un mur invisible, allégorique…
Fantasmagorique.
— Tu t’es insinué dans le héros de ce récit ! s’écria le mot en peinant à garder sa consistance. C’est toi qui enlise le tome six ici, qui l’empêche d’avancer vers son intrigue !
Une danse macabre éleva jusqu’aux étoiles le rire du Blocage. Il étouffait chaque pensée de l’histoire, annihilait la moindre inspiration dans son sillage…
— Je ne suis pas responsable de l’état des lieux, bourdonna-t-il. J’ai été créé, tout comme toi. Et j’espérais que tu me sauves, petite locution passagère.
Tom perdait des forces. La présence suffocante du Blocage était trop forte ; il se décomposait dans l’esprit général du tome, voyait son unicité lui échapper parmi le reste du récit.
— Tu es comme les autres, déplora son ennemi en l’enrobant de ses accusations. La boucle se poursuit inlassablement, je ne serai jamais libre.
— Quelle… boucle ?
— Les mots, les idées, les concepts, les personnages… Ils viennent ici et, chaque fois, j’espère qu’ils sauveront mon récit des Oubliettes. Mais ils finissent toujours comme toi. Ils meurent.
Tom luttait pour ne pas se laisser effacer par ce grondement. Les affirmations du Blocage paraissaient insurmontables : elles s’écrasaient sur lui, pareilles à des vagues dissipant dans leur écume ses ambitions, ses rêves et ses sens.
Pour accompagner son agonie, les fantômes formaient une ronde d’ombres tournoyantes ; un manège hanté avec lequel il s’enténébrait sans y prendre garde... Il n’avait qu’à les rejoindre pour reprendre son souffle. Pourquoi lutter ? Il n’était qu’un mot ; cela pouvait aussi bien être « fantôme ».
— Oui, soupira le Blocage. C’est à eux que tout se résume, j’imagine.
Les visiteurs du tome six étaient-ils immanquablement destinés à devenir ces spectres portant leur croix dans l’infini d’un monde oublié ? Leur voix, leurs aspirations et leur essence s’étaient perdues dans les limbes, de la même manière que Tom, à cet instant.
Il était venu, il avait vu… Il avait vécu.
Et à la fin, personne ne piperait mot de tout ça.
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