Le Blocage

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 « Lorsque l’aigrefin avait créé le tome six, il était convaincu de la brillance de son monde imaginé. Un château porté par les fantômes qui le hantaient, errant sur des landes désolées comme une âme en peine, habité par un homme si désabusé qu’il restait indifférent aux spectres venus le tourmenter… C’était original, poétique, lugubre !

 « Tout portait à croire qu’une folle dramaturgie ne demandait qu’à s’étendre sur ce récit. Mais malheureusement, l’aigrefin devait à cette époque encore découvrir qu’un beau décor ne suffisait pas à rendre une bonne histoire. Pour cela, il fallait surtout des personnages consistants.

 « Que raconter avec l’homme ? Un protagoniste maussade, seul et insensible. À mesure qu’il faisait leur connaissance, l’aigrefin perdit la passion qu’il avait pour ses faibles créations… Si bien qu’un jour, il choisit de reporter son attention vers de nouveaux horizons plus cléments, quittant ce récit pour de bon. Il avait ainsi choisi de condamner la chose qu’il avait laissée naître en son sein, grandir et devenir insatiable, loin des regards. »

 Voici quelques mots sincères, enfouis et scellés dans les abymes ectoplasmiques du château. Des mots si secrets qu’ils n’avaient même jamais été écrits sur la page, bien qu’ils y résidaient quelque part en profondeur entre les lignes… Tom, alors avalé par ce maudit tome, les voyait à cet instant aussi clairs qu’il distinguait le point unique de son propre volume trois.

 Il existait des histoires qui n’avaient pas besoin d’être racontées. Lui aussi possédait la sienne : peut-être un seul signe de ponctuation, mais sans blocage pour le contraindre.

*

 La bête, hérissée de piquants de lion, observait le château poursuivre son avancée dans les ténèbres. Elle commençait à fatiguer de cet exode ; malgré tout le chemin parcouru, rien n’avait changé. Le jour ne semblait pas prêt de pointer le rose de son nez, les coyotes aux alentours n’étaient jamais las de hurler… Et elle-même finissait par oublier ce qui l’avait conduite à suivre cette route biscornue. Qu’y avait-il dans cette forteresse pour la pousser à s’entêter ainsi ? Elle l’ignorait, mais une chose était certaine : elle ne comptait pas s’arrêter de sitôt.

*

 Le Blocage avait, une fois de plus, étouffé les voix nouvelles. Il s’agissait du sort que lui avait assigné son créateur involontaire, après tout ; chacune de ses tentatives pour s’en soustraire finissait de cette même manière. Il annihilait le moindre vent de changement qui venait siffler à ses oreilles.

— Je vois que le monde ici n’a pas changé.

 Cette phrase n’avait pas été prononcée, mais elle rayonna dans le cachot du Blocage à la manière d’un trait de lumière sur sa noirceur. Il ne connaissait qu’une entité capable de l’éclairer ainsi :

— Toi ! s’écria-t-il en grondant sur son tome.

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