7h30.

Je passe les portes du lycée.

"Tu n’es qu’une pute. Il n’aimera jamais quelqu’un comme toi."

Ces mots résonnent dans ma tête alors que je sors de la voiture de mon père avec mon petit frère pour aller au collège. Je suis en troisième, c’est ma dernière année ici et je compte bien ne pas me faire remarquer pour éviter les problèmes de lannee dernière. L’été est passé trop vite, encore une fois. Je n’ai rien fait de spécial, je suis allée dans le sud de la France pendant deux semaines avec ma famille, comme chaque année.

Je suis prête à passer une nouvelle année, ma dernière, à Notre Dame. Oui, je sais, c’est un nom français. Je vais dans un lycée français à Lucas au Texas. « Plus culturel et moins de garçons, donc moins de problèmes » m’ont dit mes parents. Si seulement ils savaient.

Je parle français couramment maintenant, j’ai toujours eu une facilité à apprendre de nouvelles langues. Mais ce n’est pas le point. Pendant que je passe les grillages d’entrée et que mon frère court rejoindre ses copains, je regarde autour de moi.

“Ne regarde pas, tu ne trouveras personne,” me chuchote la voix dans ma tête.

Et pourtant, aujourd’hui, je regarde à l’horizon pour trouver Kayli, ma meilleure amie de toujours comme j’aime l’appeler. Kayli et moi nous sommes rencontrées en ligne, sur un forum de fans de One Direction, quand nous avions 11 ans. Nous sommes inséparables depuis. Elle vivait à Houston et moi à Dallas, donc nous avons eu une sorte de relation à distance jusqu'à ce qu'elle vienne me rejoindre au lycée pour nos 16 ans. Nous sommes toutes les deux en internat et c'est aujourd'hui le premier jour de rentrée ! Ma valise en main, je vais saluer la directrice.

"Bonjour Madame, avez-vous passé de bonnes vacances ?"

"Ne vous dérangez pas Davis, nous vous avons mis dans la même chambre cette année."

J'étouffe un cri de joie et me reprends aussitôt.

"Merci Madame, c'était un plaisir de discuter avec vous."

Je cours vers la porte d'entrée du pensionnat et cherche ce visage qui m'est si familier.

Kayli et moi avons fait des FaceTimes au moins un million de fois depuis que nous avons l'âge d'avoir un téléphone. Je connais ses traits de visage par cœur.

“Vi!”

J'entends cette voix familière et je me retourne automatiquement. Je laisse tomber ma valise et cours vers elle.

"Kay ! Tu m'as tellement manquée, ce n'est pas humain de ne pas se voir pendant deux mois"

Oui, on ne s'est pas vu pendant les vacances car elle est partie deux mois en Grèce pendant que j'étais en France, comme je le fais toujours depuis que je suis petite. Mais ça ne nous a pas empêché de nous appeler sur FaceTime tous les jours, au diable mon forfait téléphonique.

"Oui je sais, allez on range nos affaires, apparemment on est dans la même chambre, j'ai amené plein de photos à accrocher au mur !"

Je savoure une dernière fois son odeur et la suis, comme toujours. Elle a toujours ce charme naturel qui agit comme un aimant sur les gens. En montant les escaliers, je l'entends vaguement saluer les gens. Je préfère rester là, invisible Violette. Je n'aime pas qu'on me remarque.

A peine avions-nous eu le temps de poser nos sacs dans la salle que nous avons entendu la directrice crier qu’il était temps d’aller en cours.

« Je dois aller à mon casier pour déposer mes affaires de sport, tu viens avec moi ? » je demande à Kayli.

Elle hoche la tête et nous voilà devant les casiers. J’ai à peine le temps d’ouvrir mon casier qu’une voix me chuchote à l’oreille.

"Alors tu es de retour pour une autre année, sorcière."

Je me dirige vers mon casier pour ranger mes affaires, et la porte claque.

"Sur qui penses-tu que Violette va jeter son dévolu cette année ?"

"Je ne sais pas, peut-être toi, mon pote, vous êtes dans la même classe de maths, non ?"

"Pfff, jamais de ma vie, elle ressemble à une sorcière, et tu as vu comment elle s'habille ?"

"Sortez d'ici, les gars !" intervient un surveillant.

« Sors d'ici, Stan, va voir si ta masculinité est là-bas », dit Kayli, dans le plus grand calme.

« Calmez-vous, bande de sorcières, qu'allez-vous faire ? Me jeter un sort ? »

Kay me regarde en levant les yeux au ciel avant de me demander si nous pouvons y aller. J'acquiesce.

Je cligne rapidement des yeux pour essuyer les larmes qui me montaient aux yeux.

« Merci, monsieur. »

« Tout va bien, Violette ? »

« Oui, ne vous inquiétez pas. »

« Ils ne t'ont pas trop dérangée ? De toute façon, si tu as besoin de signaler quelque chose... »

Il sous-entend du harcèlement.

« Je suis là, ma porte est ouverte. »

« Merci, mais je vais bien. »

J'ai toujours été comme ça. Je ne saisis jamais les opportunités qui se présentent à moi. Tout le monde sait ce qui m'arrive, et pourtant, depuis ce fameux moment, personne ne m'a regardée. Sauf peut-être ma famille. Ils ont remarqué un changement dans mon comportement mais n'en parlent que rarement. Ils préfèrent penser que leur fille est parfaite et le restera.

C'est pourtant cette année que mes notes ont chutées. Et qu'on m'a réprimandée pour ne pas avoir fait assez d'efforts.

La première heure de cours est passée très vite. On nous a surtout parlé du baccalauréat et de l’importance d’avoir des résultats satisfaisants pour faire plaisir à nos familles.

« Et nous ? » me suis-je dit.

Puis je me suis à nouveau perdue dans mes pensées.

« Tu ne seras jamais assez bien pour lui. Ni pour personne d’autre d’ailleurs. Tu mérites de passer ta vie seule. »

La main de Kayli sur la mienne me sort de mes pensées.

11h30.

La cloche sonne.

"Il est temps d'aller manger !" me crie Kay

Quand nous arrivons à la cafétéria, la file est interminable. Je vois Stan et tous ses amis se diriger vers nous.

"Cache-moi", dis-je à ma meilleure amie.

Immédiatement aux aguets, elle les voit et les fusille du regard. Ils se retournent et partent dans une autre direction. Dieu merci.

Enfin notre tour.

"Ont-ils fait un effort à la cafétéria cette année ou est-ce juste une impression ?" me demande Kayli.

Je sais qu’elle fait tout ça pour combler le vide et que j’évite de penser à certaines choses de mon passé.

Premier jour dans mon nouveau lycée. Je suis en section sportive gymnastique, mon rêve depuis le collège. Enfin quitter Dallas, et partir en internat loin de tout. Dès que mon père me dépose pour m’accompagner, je croise Stan et ses amis. Bien sûr, il fallait que je les croise. On s’est croisés et je l’ai entendu murmurer « sorcière » à mon oreille avant de continuer son chemin pour que mon père ne le voie pas. J’avais envie de pleurer, de courir dans les bras de mon père et de le supplier de m’emmener loin d’ici. Mais c’était trop tard. Et puis j’ai retrouvé Kayli.