Chemins qui ne mènent nulle part

3 minutes de lecture

Pantelant, aux frontières de l'apoplexie, ses muscles tétanisés paraissaient chétifs, vulnérables comme ceux d'un nouveau né. Traqué depuis quatre heures, le regard creux, les vêtements collés par la pluie et la sueur froide, bien qu'il n'était pour le moment que condamné, il avait déjà tout d'un mort.

Son bras ne lui occasionnait étonnamment aucune douleur, comme anesthésié par la peur d'un plus grand danger. Pourtant, l'entaille était profonde et s'infectait dangereusement un peu plus chaque minute. La gangrène, le prix de son bras, représentait un tribut potentiel pour se débarrasser du mouchard profondément creusé dans son membre le plus utile - sans cela, ils l'auraient déjà "neutralisé" à distance en faisant se répandre le "liquide noir". A l'âge de 18 ans, chaque citoyen doit se faire implanter une puce selon son statut social, elle permet les paiements, une géolocalisation, l'identification sécurisée... et également un moyen de contrôle radical en cas de délit, de crime. Le liquide noir est en réalité un poison mortel conçu il y a une trentaine d'années, il opère son oeuvre quasi instantanément, sans trop de douleur, c'est le propre d'une civilisation avancée, pas vrai ?

Il était 4h32, un matin blanc, épais, pénétrant. Le thermomètre devait afficher les -4 degrés en ce mois de février, à travers les ruelles de la ville-basse. Cet endroit, il le savait, était un véritable repère de parias, de vauriens, ce terme eut rarement été si bien choisi, ils ne valaient rien pour la société "Nouvelle Vie", alors ils se regroupaient dans cet endroit pollué, crasseux, sans véritable règles, l'instinct de survie est le propre de l'homme, tout comme sa faculté à s'adapter à son milieu, parfois pour le meilleur, ici pour le pire. Cette aptitude trop humaine avait permis a ces maudits d'accepter de survivre dans des conditions inhumaines. Il était difficile de savoir si cette notion d'inhumanité était plus présente dans l'hygiène ou dans la morale de chacun d'eux.

Pour Jérémie, c'était le seul endroit où les drones miniatures, ces ultimes espions pouvant prendre l'aspect d'une mouche bénigne, se faisaient plus rares, car ici, tout ce qui était vivant représentait soit de la nourriture, soit une menace, dans tous les cas, ce qui vivait devait mourir.

Il n'irait pas bien loin s'il ne changeait pas rapidement son uniforme au ton rose délavé, maculé de boue et de sang, encore siglé du nom de ses récents tortionnaires. Il trouva un sans-abris décharné, mais ayant a peu près sa taille. Ce dernier tenait encore la bouteille de son eau-de-vie dans la main droite, il avait, semble-t-il, manqué de s'étouffer dans son propre vomi, l'odeur était pestilentielle, car elle mêlait un conglomérat d'urine, d'excrément et de crasse. Peu importe, il fallait désormais devenir un véritable citoyen de cette contre-société, mais c'est son bras et la crainte de la gangrène qui le firent hésiter un instant. Mis à part quelques gémissements plaintifs, le vieux soiffard rachitique n'opposa guère de résistance, totalement anémié par son degré d'alcoolémie. Débarrassé de sa tunique maudite, Jérémie dû puiser dans ses retranchements pour ôter les bottes de sa victime, tellement les pieds du clochard semblaient avoir fusionné avec les semelles, la saleté et l'ordure s'étant constituées peu à peu comme un liant entre la chair et la matière.

Soudain, tandis qu'il finissait de se chausser, contenant autant qu'il pouvait les hauts-le-coeur compulsifs de son dégoût, des lueurs jaunâtres percèrent péniblement le brouillard opaque et perpétuel dans ces bas-fonds, constitué d'une constellation de saletés, de particules de toutes sortes, mais absolument nocives. Cette brume anthropique voyait son effet accentué par les ténèbres de la nuit. Jérémie n'avait aucun doute, il s'agissait d'une rare patrouille du GX 21, ce sont les plus braves, l'élite des "forces de sérénité", oui, la novlangue savait toujours se surpasser pour sublimer les choses et les maux les plus terribles, les escadrons de la mort s'engouffraient professionnellement dans la ruelle.

Annotations

Vous aimez lire Jonathan THÉBAUD ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0