Réminiscence mélancolique

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Le commando progressait lentement, mais Jérémie savait qu'il fallait agir promptement. Leur vision augmentée leur permettait de s'affranchir des obstacles sur ce sentier défoncé. Jérémie tenta de se camoufler, autant qu'il pu, au creux de l'alcôve soigneusement souillée par son colocataire, mais cela ne suffirait pas. En effet, l'escouade détecterait un battement cardiaque singulièrement trop sain...pour le quartier. Se ruant sur le goulot poisseux de ce breuvage artisanal, il en but autant qu'il put, mais sa texture visqueuse semblait ronger ses organes, l'acide noyait immédiatement chaque millimètre de ses viscères, la souffrance étant intolérable, le mal trouva à s'extraire par ses orifices faciaux, une mousse brunâtre jaillit de son gosier et de ses narines, il s'évanouit.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, il vit le déluge d'ordures naviguer le long des devantures de ce qui fut, jadis, les temples de la consommation. Il réalisa la mauvaise nouvelle : tout ceci n'était pas un fichu cauchemar ! Mais vu les conditions, il fallait savoir se redonner de la force avec ce qu'on pouvait, et au moins, il était vivant, encore libre.

Ankylosé, assoiffé, fièvreux, il n'avait plus la force de bouger, toute juste assez pour se perdre dans les méandres de ses souvenirs. Il repensait à ces 13 années - privé de sa liberté, de ses mouvements, de ses parents, amis, de sa fille...Mais cette dernière, il la voyait une fois par semaine, comme tous les habitants du pays d'ailleurs. Lisbeth était devenue un auteur à succès, une espèce de Guillaume Musso au féminin. Très populaire parmi les lecteurs de classe moyenne, les femmes en particulier, cherchant l'évasion à travers un mélange d'ésotérisme et de romantisme patelin. Cette petite disposait d'une chronique hebdomadaire littéraire lors d'une heure de grande écoute dans un de ces trop nombreux show TV au succès éphémère. Bien sûr, pour rien au monde Jérémie n'aurait raté une de ses émissions ! Chaque dimanche, il avalait pieusement son eucharistie médiatique.

Même s'il s'était toujours demandé pourquoi ses geôliers le laissaient regarder la TV et ce show en particulier - trop ravi qu'ils lui laissent au moins cela - il n'avait jamais poussé plus en avant ses investigations, mais loin d'être dupe, il était conscient que la VieTM ne fait jamais rien par hasard.

Il l'avait vu grandir, elle a désormais 25 ans, et déjà sept ouvrages à son actif ! Tous des best-seller. Son premier provoqua une onde de choc comme le clergé cathodique en redemande sans cesse en bon junkie du spectaculaire. Elle n'avait alors que 15 ans.

Lisbeth est haut potentiel, imaginez ce que fut son enfer a supporter sa mère qui n'a jamais été capable de finir un quelconque bouquin...de toute manière, mis à part quelques ouvrages faisant office de déco, il n'y en eu jamais ou presque à l'appartement.

Éléonore, sa mère, n'avait pensé qu'à s'amuser, tout le reste n'était que corvée : l'école, la maison, l'avenir... Mis à part les dernières années précédent son suicide, elle avait toujours été pleine de vie, de malice, elle savait alors jouer de son meilleur atout, qui s'avéra aussi un cadeau empoisonné - son charme sensuel. Dès le collège elle remarqua les regards masculins rouler sur ses formes généreuses. Dès lors, Éléonore capitalisa tout sur cette manne miraculeuse. Après quelques années de fêtes et de beuveries, éprouvant une certaine lassitude de cette vie autant orgiaque que teintée de désillusions, elle fini par se laisser mettre la bague au doigt par cet aide-comptable. Il ne ressemblait pas tout à fait a ses canons habituels, musclé, mâle, dominateur, en somme le candidat idéal de ce qui avait représenté la seule denrée culturelle durant sa vie, les TV réalités. Avait-elle le choix ? Elle n'était plus aussi fraîche, ni même audacieuse, que ces gamines de 16 ans hypersexualisées que chaque homme désire, plus ou moins secrètement. Lucide, elle s'était rassurée en se répétant qu'elle avait bien profité et qu'au moins, paraissant sérieux, il ne la tromperait pas dès qu'elle serait en léger surpoids ou qu'apparaitraît les premières flétrissures - et plus que tout, elle voulait un bébé.

Tout se produit selon ses voeux, enfin presque. Lisbeth, leur seul et unique enfant, lui parut rapidement étrangère. Elle qui rêvait d'une autre Éléonore, d'un clone, pour revivre, au moins par procuration, les vertiges des jouissances juvéniles, vit un autre de ses rêves se dissiper. Rien de superficiel ne trouvait grâce aux yeux de Lisbeth qui dès l'âge de 5 ans s'exprimait avec un vocabulaire plus conséquent que celui de nombreux adultes. Elle préférait le calme et les activités d'éveil, de création, étendre sans cesse son imagination plutôt que de s'abîmer les yeux sur les "boites à cons" comme elle les surnommait, ces écrans omniprésents qui nous enserrent, nous cadenassent, nous brisent peu à peu toute capacité, puis toute velléité de devenir le meilleur de nous-mêmes. Ainsi, Lisbeth vint rapidement à haïr ses parents - ils étaient perdus, irrécupérables, des plaies, des escarres dont il fallait purifier le corps de la terre.

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