Qu'est-ce que la vérité ?

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Jérémie revint peu à peu à lui, l’instinct de survie agissant comme un puissant garde-fou chassa ses méditations oniriques.

En se frayant un chemin vers une destination inconnue, il se demandait si c’était lui, ou le monde, qui avait le plus changé depuis sa captivité. On aurait dit un décorum de film au scénario post-apocalyptique, les rares ombres mouvantes qu’il avait pu distinguer étaient encapuchonnées, voilées, vêtues de noir, furtives, semblant continuellement en alerte. Que s’était-il donc passé ? Toutes ces années, Il avait naïvement imaginé que les aiguilles du cadran mondial avaient poursuivit leurs tours aussi fidèlement qu’une de ces Patek Philip qu’il rêva longtemps de posséder.

Il arriva devant l’entrée de ce qui semblait être un parking privé ou d’un petit hangar, le rideau de fer avait été partiellement et avec force, relevé sur son coin inférieur gauche. Au vu de sa stature fluette, il pouvait sans trop de dommage s’y engouffrer comme un rat apeuré dans les entrailles fétides d’une canalisation.

Même après quelques minutes, étant resté immobile, ses yeux ne parvenaient pas à percer l’obscurité quasi charnelle de cet endroit lugubre dont il forcerait malgré tout l’hospitalité pour quelques heures. Vaincu par la fatigue depuis longtemps, il puisait dans les réserves insoupçonnées du condamné, mais ces dernières étaient désormais taries, son système nerveux céda et Jérémie succomba au repos, oubliant que ce mot ne pouvait avoir cours, en Enfer.

Une forte douleur l’atteint soudain à la poitrine ! L’éjectant brusquement de son sommeil de toute façon superficiel. Le second coup de pied lui fit pleinement saisir la situation.

Trois individus en combinaison noire, portant masque, lunettes et gants le toisèrent d’un regard qu’il devinait torve.

Ces trois ombres étaient disparates, au milieu pointait la plus frêle, elle rehaussait d’autant plus les deux autres, davantage imposantes, menaçantes.

La douleur rendit ses sens de nouveau opérationnels, ces derniers lui lançaient une alerte, sa vie pouvait prendre fin, maintenant.

- Es-ce que notre demeure t’as semblé être un mouroir ? s’écria le spectre central, d’une voix féminine, cristalline et apparemment jeune, contrastant d’autant avec son aspect et la situation.

La créature à sa gauche plia les genoux comme pour mieux observer la curieuse bête blessée apparue inopinément sur sa propriété et dit :

- Il a l’air mal au point, il a du se battre avec un autre de ses congénères dégénérés pour une prise de NZO…Le malheureux, l’effet semble tout à fait dissipé, et il paraît morfler…

La troisième entité restait muette, mais Jérémie remarqua ses doigts dodelinant nerveusement sur la crosse de son fusil.

Après l’hermétique obscurité des lieux de tout à l’heure, c'étaient désormais les mini torches intégrées à l’épaule droite de leur combinaison qui l’aveuglaient. La bouche pâteuse de sècheresse, l’étau lui serrant les tempes, la fièvre de son bras commençant à se rancir, la peur oppressant sa poitrine au point de l’étouffer, Jérémie parvint à expectorer péniblement quelques mots :

- Je…j’ai besoin d’aide, je ne sais pas ce qui se passe…je ne reconnais rien…qu’est devenu le monde ?!

La sombre fratrie semblait s’interroger, était-ce un de ces marginaux isolés, perdu, drogué, nuisible…ou bien était-il sincère ? D’où vient-il ? Qui est-il ?

Ils n’avaient pas l’habitude d’échanger avec un individu en dehors de leur père et de leur oncle, en cette époque, l’individualisme, l’égoïsme étaient nécessaires si l’on souhaitait s’accrocher à la vie. Mû par la curiosité et le désir secret d’échanger enfin avec quelqu’un, l’aîné se déplia dans toute sa hauteur et prit la parole :

- Écoute, tu n’as pas l’air suicidaire mais au plutôt terrifié…et tu as raison, la vie n’a plus aucune valeur maintenant, surtout la tienne puisque tu sembles totalement isolé…Alors raconte-nous un peu ton histoire, cela nous permettra de juger raisonnablement de la suite.

Sa voix rauque et ferme rasséréna Jérémie, il leur raconta absolument tout de sa vie, de la tragédie qui le conduit à l’emprisonnement, l’évasion, et sa brusque tombée ici bas, dans une réalité qui lui semblait être un monde parallèle, une nouvelle dimension, ce sentiment d’avoir traversé un portail vers un monde maudit.

- Mais tu as eu le privilège de connaître la vie d’avant….murmura la jeune fille.

- Il faut lui raconter, ajouta-t-elle, tournant sa tête sans visage vers les hauteurs, pour chercher l’approbation de ses deux acolytes.

- Raconter quoi ? Une voix de stentor s’imposa et transi immédiatement les trois jeunes gens, ils se retournèrent d’une manière chorégraphique, Jérémie pu distinguer leurs capes noires, bien que poussiéreuses, tournoyer gracieusement malgré l’air vicié et lacunaire de cette tanière.

Les deux hommes se découvrirent le visage en analysant méthodiquement ce qu’il restait d’humanité dans l’apparence de cet hôte non désiré. L’œil vif et perçant, la barbe drue toute argentée, l’homme ayant fait résonner son autorité au fond de cet antre désolée se dressait fièrement. Il était un peu plus petit que son camarade, mais trapu, ses larges épaules étaient dûment symétriques à son cou de taureau. Son complice à la barbe ébouriffée, principalement dorée, était trouée ça et là de grisaille. Leurs visages étaient burinés, les sillons emplis de crasse, la peau qui n’était pas recouverte de poils laissait apparaître une légère vérole.

- Papa ! s’écria l’un des trois condisciples, resté muet jusqu’alors.

- On va tout te raconter ! s’empressa d’ajouter la voix aigüe et rassurante de la jeune fille.

- Dépêchez-vous de clarifier la situation, et reculez-vous ! Malachie, va boucher l’entrée, asséna-t-il d’un ton ne laissant aucune contestation possible au plus grand de la fratrie.

Jérémie observa ces cinq personnes. Depuis quelques heures, il était cette bête traquée, blessée, ayant perdu les repères familiers, obstruant mais rassurant d’une captivité où chacun de ses gestes étaient réglés dans un cadre très restreint représentant pourtant l’horizon de sa vie. Mû seulement par une vengeance aveugle et un élan irraisonné, il avait pourtant suffisamment vécu pour s’apercevoir que la situation était en train de changer, ces individus ne lui voulaient visiblement aucun mal, mieux, ils allaient peut-être lui permettre de comprendre ce qu’il était advenu du monde. L’aideraient-ils à se transformer en soldat rompu aux pièges de cet univers ? La Mort lui laissera-t-elle assez de temps pour retrouver et tuer l’unique créature à qui il communiqua le souffle, octroya la vie, et qui constituait jadis sa seule raison de vivre ?

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