Le tunnel
Pendant que Malachie achevait d'obstruer l'entrée, effaçant toute trace d'activité récente, son père somma Jézabel et Ezéchiel d'emporter ce nouvel acolyte insolite.
Jérémie, bien qu'en état de neurasthénie, parvint à conserver un œil à demi ouvert, il vit ainsi les deux hommes d'âge mûr tirer non sans peine, avant que l'aîné ne leur vint en aide, un madrier massif dissimulant un trou, crénelé et exigu. Après que la gueule terreuse les eu avalé, ils dévalèrent un escalier aux marches irrégulières creusées dans la croute sédimentaire. En captant quelques-uns des rares échanges de cette drôle de famille, Jérémie apprit que l'oncle se dénommait Azor tandis que son grand frère, patriarche autoritaire de cette escouade répondait au nom d'Eléazar.
Cette plongée dans les abysses de cette terre qui lui semblait désormais étrangère lui paru interminable. D'abord, c'était cette sensation d'avaler du limon à chaque respiration, par la bouche, les narines, puis cette odeur d'humidité qui vous pénétrait, s'emparait de votre être, vous violait, presque.
Le tunnel était parsemé d'anfractuosités d'où dégueulaient parfois des individus, sans sexe, sans âge, mais tous avaient le visage recouvert de ce qu'ils avaient pu trouver, le plus souvent un bout de tissu quelconque, rarement un masque.
Malgré le manque de luminosité et les couches de vêtements couvrant ces rares âmes errantes, un détail n'échappa nullement au regard fané de Jérémie, tous avaient ce même teint de peau, diaphane, comme s'ils n'avaient plus été exposé au jour depuis des semaines, des mois, peut-être.
L'équipée arriva devant une porte blindée de fer et d'acier, des aboiements particulièrement malveillants retentirent, Jérémie se demanda de quel type de molosse il pouvait bien s'agir...il jeta spontanément un regard ahuri vers Jézabel qui, pour toute réponse lui offrit un de ces sourires indifférents que l'on emploie par courtoisie dans les moments d'incompréhension.
Après un bref échange inaudible à ses oreilles, entre Eléazar et les inconnus derrière la porte, cette dernière s'entrouvrit péniblement, juste suffisamment pour qu'un homme à la fois puisse s'y glisser de profil.
Là, Jézabel et Ezéchiel déposèrent Jérémie sur une chaise en osier fatigué et sonore. Eléazar, le salua martialement de la tête sans dire un mot et disparu dans une artère de cette galerie souterraine.
- Te voilà a bon port, on va s'occuper de toi, on se revoit un peu plus tard, lorsque tu seras plus frais ! lui lança Azor, avec des yeux taquins, avant de s'éclipser avec Malachie.
Avant d'avoir eu le temps de réaliser où il se trouvait, deux femmes en combinaison blanche vinrent à lui et le guidèrent vers une pièce dotée de quelques étagères, d'une grande table, d'une seconde plus petite, de quatre chaises, d'une armoire et de deux commodes à l'apparence chétive.
- Veuillez patienter une petite minute, le docteur est averti, elle va venir vous rendre visite, soyez sage ! lui lança une des deux femmes, non sans un air d'espièglerie avant de quitter la pièce.
Comment ces gens gardent-ils un semblant de joie et d'humour en vivant dans de telles conditions, s'enquérait dans son cœur Jérémie.
Laissé seul, il se risqua timidement à explorer cette pièce. Un œil furtif sur les boites de la maigre pharmacopée lui permit de mettre à profit ses rares souvenirs de latiniste datant des années lycée. Il découvrit, non sans appréhension qu'il s'agissait uniquement de remèdes vétérinaires...soudain la porte s'ouvrit, sans qu'il n'ait eu le temps de reprendre sa place initiale.
Les contours d'une femme bien faite, la chevelure blonde, les yeux pers, un masque chirurgical bleu.
- Bonjour monsieur, je suis Salomé, je dirige notre modeste service de santé !
L'intonation de sa voix, douce et mélodieuse, le sourire que l'on devinait dessiné sur ses lèvres cruellement camouflées sous ce bout de papier, tout en elle séduit immédiatement Jérémie.
Etait-ce son état de faiblesse physique et émotionnel ? On le sait, l'asthénie décuple chacune des émotions ressenties. Cependant, cela représentait une surprise bien inattendue en ce moment de cavale et après tant d'années où son cœur s'était totalement desséché, rétracté, réduit à la fonction physiologique de le conserver en vie. Il n'avait même plus souvenance de sa dernière effusion affective, joyeuse, voluptueuse....amoureuse. Il eu envie de lui plaire.
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