"Il n'est pas bon que l'homme soit seul"

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Inclinant la tête légèrement à gauche, une mèche de ses cheveux dorés vint caresser sa joue dont le grain de peau velouté révélait quelques taches de rousseur sublimées par l’éclairage trop puissant pour cette pièce exiguë.

Jérémie comprit qu'à son aspect mutin, elle l’observait comme s’il avait présenté des troubles autistiques.

- J’ai…j’ai mal au bras, je crois que c’est pas très joli…j’ai du me taillader le bras pour me donner une chance de les semer….bafouilla-t-il comme un adolescent au comportement délictueux mentirait à un adulte après avoir été pris sur le fait…

Mais il ne mentait pas, haussant le bras gauche, autant qu’il pu, c’est-à-dire très peu, le tournant afin de révéler l’intérieur de son avant-bras. L’entaille était sérieuse, même si elle apparaissait obstruée de sang coagulé, de terre et de poussières. Le tout formait un conglomérat noirâtre, épais et s’allongeant sur une quinzaine de centimètres.

Le Dr Haddad s’assura, d’un geste non dénué d’élégance, que son masque était judicieusement positionné au niveau de l'arête du nez et du menton. Son malade examinait chacun de ses gestes, tel un chat scrutant le comportement de sa proie pour en deviner le prochain mouvement.

Elle darda en direction de sa lésion un regard si pénétrant qu’il pu en admirer toute les nuances. Salomé, toute investie dans son diagnostic, craignait une nécrose importante. Tandis qu’elle se rapprochait, il plongea dans ses yeux qui l’avaient subjugué. De ses yeux, d’où perçait une onyx scintillante, il percevait désormais les multitudes de zébrures, tantôt jaunes, tantôt brunes, déchirant la constellation bleutée de son iris.

Salomé ne semblait pas s’apercevoir qu’elle était épiée, scrutée, qu’elle subissait une tentative d’intrusion, par le désir et l’envie de son souffreteux.

Après avoir nettoyé consciencieusement la taillade et avoir procédé aux diagnostics habituels des variables vitales, elle laissa transparaître, pour la première fois, un tremblement quasiment imperceptible mais qui ne pu échapper à l’analyse radiographique de son patient.

- Tout va bien docteur ? demanda-t-il, se forçant à adopter un ton sérieux comme la situation était en droit de l’exiger.

- Très bien monsieur Quint, répondit-elle, d’un réflexe professionnel semblant dénué d’empathie et sans prendre la peine de le regarder.

Salomé, captivée et surprise d’observer aucun signe de putrescence sur une telle ulcération, laissait cependant son visage s’assombrir. Elle avait été mise au courant de l’itinéraire de Jérémie, des quelques 13h de cavale, elle en avait guérie des entailles, des blessures à l’arme blanche, elle ne comprenait pas l’absence de fièvre. Son patient avait tout d’un stigmatisé, ces saints chrétiens dont les plaies saignent pendant des années sans s’infecter…ces énigmes pour la science.

- Nous aurons bientôt les résultats des extraits sanguins, dit-elle, d’une voix d’où le trouble avait été effacé.

- Vous allez rester en observation les 24 prochaines heures. Vous souffrez probablement de quelques carences vitaminiques, entre autres, ajouta-t-elle.

Devant le mutisme de Jérémie, elle reprit :

- Permettez-moi de vous dire que vous êtes particulièrement chanceux, votre bras…Malgré votre travail de boucher…vous ne devriez pas perdre en mobilité, les nerfs et les ligaments semblent intacts. J’avoue qu’après le récit d’Eléazar, et à la première vue de votre plaie, j’ai craint que la gangrène ne fasse de vous un manchot !

Elle voulu, par ce ton badin, forcer quelque peu sa nature. Davantage que rassurer son patient, c’était surtout pour se rassurer elle-même ; son statut dans l’organisation, ses responsabilités, son orgueil, tout lui refusait de céder au doute, à l’approximatif. Le rationalisme fut sa seule religion, tout devait pouvoir s’expliquer par la science, tout devait être connu.

- Oh ! C’est-à-dire que j’ai apparemment de bon anticorps ! s’exclama Jérémie, trop heureux de pouvoir partager ce moment de connivence.

Il ne connaissait rien de cette femme, pourtant il en était sûr, elle représentait une de ces créatures susceptibles de vous faire oublier, rien que par sa présence, votre passé, votre condition, vos soucis, vos complexes, vos inquiétudes, votre environnement, jusqu’à votre enveloppe charnelle ! Elle était ce type de femme vous permettant de vous sentir léger, continuellement en apesanteur, libre, toujours guilleret, en quête perpétuelle d’une seule et unique chose, substance, personne. L'unique contrainte résidait en ce besoin irrépressible de s’en approcher toujours plus jusqu’à fusionner, ne faire qu’un avec cet Autre qu’on veut faire sienne.

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