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La nuit s’évapore dans les brumes matinales. Je la vois s’en aller par la fenêtre de ma chambre, emportant dans son bagage étoiles et mauvais rêves. Je pense « mauvais rêve » mais j’ai rêvé d’un homme que j’ai connu il y a longtemps maintenant et j’ai tellement aimé ce rêve que je voudrais y passer le reste de cette journée.
Le reste de ma vie peut-être.
Une sirène de police sur le boulevard me balance un gros morceau d’évidence en pleine figure. La nuit ne m’a pas réparée de la veille et je sens la fatigue sur mon visage comme un masque de carton. J’étais tellement plus belle dans mon rêve…
Les rideaux sont restés ouverts la nuit. J’étais si fatiguée hier soir que je me suis endormie tout habillée. Un disque de Queen tourne sur le pick-up au salon. Je ne sais pas quelle heure il peut être. Sept heures ? J’ai l’impression que la chanson passe en boucle depuis un sacré bout de temps. Je me lève. Le parquet craque sous mes pas. À l’autre bout de la maison, Freddie Mercury chante I’m just a poor boy, nobody loves me… Je traverse le long couloir, suivie par deux petits bonshommes encore ensommeillés qui trainent derrière eux doudous et couvertures. Je les embrasse furtivement, les installe à la table de la cuisine, fais du café aussi corsé que possible avec ma Bialetti, du chocolat chaud, des toasts à la confiture, je presse des oranges, des citrons, appelle mes deux locataires, éponge le lait d’amande qui se renverse sur le plan de travail au passage de Lili-la-Morue. La porte du salon s’ouvre avec fracas et Freddie Mercury hurle I don’t wanna die, I sometimes wish I’ve never been born… Les filles font une entrée tapageuse dans la cuisine, rigolent, m’embrassent, emportent des toasts, des verres de lait et retournent squatter le salon vivre leur vie de confinées. J’allume la radio pour écouter les infos. Rien ne va plus nulle part. Le virus mute, se propage, Trump s’en va mais promet de revenir, la Chine continue de « rééduquer » et des gens fabriquent des vêtements pour trois euros de l’heure.
Mon téléphone émet deux bips. Messages de C. Elle dit que c’est la catastrophe, que je dois l’aider parce que son rencard virtuel veut la voir en vrai. Elle dit qu’elle a peur, elle dit qu’elle est vieille. Elle dit que c’est de ma faute, que je n’aurais pas dû si bien la coiffer. Puis elle dit qu’elle va venir boire un café ou une bière. Ou les deux.
Quelle heure j’ai dit qu’il était ?
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