Le téléphone

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Le téléphone sonne très tôt ce matin. Je n’ai pas le courage de dévaler les marches pour répondre et puis d’abord qui peut bien appeler la ligne fixe un samedi matin ? Bob aboie. Lili miaule. Le téléphone sonne. Les garçons crient après moi Maman t’es oooùù ??? Je m’écrase la tête dans mon oreiller avant de capituler et de sauter dans un jogging direction le parc pour les besoins de Bob et la boulangerie pour des croissants tout chauds. Dehors, des flocons silencieux s’écrasent sur une minuscule couche de neige. A plusieurs reprises, Bob trébuche et ce n’est pas à cause du gel. Il se fait vieux ; je suis triste. Pourvu que C. vienne vite le récupérer ; moi, je n’ai pas la force de m’en occuper. A mon retour, le lave-vaisselle tourne, l’aspirateur s’active au salon, les chaises de la cuisine sont retournées sur la grande table et une serpillère s’apprête à passer dans les moindres recoins, pendant que Freddy Mercury chante Love of my life, you’ve hurt me; you’ve broken my heart and now you leave me; love of my life can’t you seeeeee… Les filles rigolent, déposent des baisers dans la paume de leur main, soufflent dans ma direction. Les garçons bondissent sur moi, attrapent le sachet de croissants, disparaissent dans le tourbillon ménager. Le téléphone au salon se remet à sonner. Je décroche. C’est Fred, mon plus vieil ami, qui s’inquiète de savoir si je vais bien. Il dit « Je n’ai plus de nouvelles ». Je lui réponds que tout va bien, qu’il ne doit pas s’inquiéter, qu’on est aussi heureux que possible tous ensemble ici.

Il se tait, moi aussi.

Après il ajoute que manifestement il a bien raison de s’inquiéter et que sans inquiétude, il n’y a pas d’amour ni d’amitié. Il dit « Sans inquiétude, il n’y a rien ».

Nouveau silence.

Je l’invite à venir promener le chien avec moi, à l’occasion. Il m’invite à une ballade sur sa Kawasaki, dès que possible. On se promet de se rappeler. On le fera : on est amis depuis mille ans. Dans la cuisine, les filles s’étonnent du nombre de croissants que j’ai achetés. Elles disent que je suis l’exagération incarnée mais qu’elles adorent ça.

Je suis un amour excessif.

Un amour qui s’inquiète.

Je suis la vie quand elle vous terrifie.

Je suis une douleur qui se répète,

Un cri poussé dans la nuit,

Mon cœur parti à ta reconquête.

Où es-tu quand tu n’es pas là ?

Où es-tu ? Jamais tu n'appelles.

Où es-tu, je m'inquiète.

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