Je me suis levée avant la fin de la nuit car j’aime la surprendre au moment où elle va basculer, quand le jour est prêt mais encore tapi dans son ombre, quand même le vent se retient et que tout semble immobile et figé, comme cette épaisse couche de gel sur le toit des maisons serrées les unes contre les autres. Je me suis levée donc, le cœur lourd et refroidi par une nuit sans rêve. On dit souvent que quand on cesse de rêver, on cesse déjà un peu d’exister.

Est-ce que j’existe encore un peu?

Devant moi, qui se dessinent dans la lumière d’un réverbère, les branches immobiles elles aussi du rosier que j’ai oublié de tailler avant l’hiver. Il doit mesurer trois mètres. Je ne devrais pas, être négligente comme ça avec les choses… Je repense aux rêves qui m’ont désertée cette nuit. Ce que je donnerais pour rêver à nouveau. Rêver de mes garçons près de moi.

Mes garçons autour de moi.

Je voudrais vivre mille vies avec mes petits.

Vivre mille fois.

Les retenir auprès de moi, revivre avec eux des matins irréels comme celui-ci, des matins sans promesse, des matins sans rose et sans raison.

Il est tôt, trop tôt pour s’émouvoir. Je referme la fenêtre avant d’apercevoir C., deux bières à la main, tapie derrière mon rosier. Je rouvre la fenêtre, elle dit « C’est pour te réchauffer le cœur ». Je lui réponds que je bois du café le matin. Elle dit "Mais oui, mais oui, moi aussi mais on est fichues toi et moi; ça sert plus à rien de lutter. Pourquoi tu luttes encore, dis-moi? Il n'y a pas plus de raison de te battre que de roses sur cet arbre. Baisse les armes et prends une bière."

Je referme la fenêtre.

Demain, un autre cœur brisé emménagera ici. J’ai hâte et j’ai peur.

Je ne veux pas de bière.

Je veux mes petits garçons.