Tout a commencé le jour où j’ai écouté un opéra dans un bus bondé, récité un poème dans un train désert et pleuré devant une photo dans un ascenseur en panne, ou plutôt devrais-je dire : tout s’est terminé ce jour-là, celui où j’ai cessé de chercher des réponses à des questions qui n’en avaient pas. Pourquoi les gens qu’on aime finissent toujours par s’en aller ? Pourquoi l’Humanité est-elle aussi déraisonnable et le grand amour tellement irrationnel ? Et pourquoi enfin y a-t-il des gens qui rêvent de partir à Istanbul alors que c’est si loin ?

Si loin de moi.

Ce jour-là, dans le bus, dans le train et dans l’ascenseur, ma souffrance était grande, bien plus vaste que mille océans tumultueux et pourtant, il a suffi d’un air d’opéra, d’une strophe de quatre vers et d’une image en noir et blanc pour me faire comprendre. Comprendre que quand il n’y a plus rien, il y l’art. L’art comme un médicament. L’art comme une éponge. L’art comme un rêve qui ne doit jamais se terminer. L’art pour donner du sens à tout ça.

Du sens à l’insensé.

La petite boulangère a bravé mon interdiction. Elle est montée au troisième étage. Elle y est restée longtemps sans faire aucun bruit. J’ai bien écouté ; il n’y a eu aucun bruit. Elle est redescendue avec un tableau. Une œuvre d’art qu’elle a accrochée dans ma salle à manger, juste derrière la place où je m’assieds toujours.

Après, elle a joué un air de piano dans le vestibule. Mozart. La marche turque.

Et j’ai pleuré tellement c’était beau.

Et j'ai été heureuse.