Behind blue eyes

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Quand j’avais quinze ans, je passais un temps infini à faire tourner mes vinyles sur ma platine. Je restais des heures allongée sur mon lit, la fenêtre grande ouverte et j’écoutais, le volume à plein tube, en humant l’odeur des saisons. Je rêvais à tout ce qui me faisait envie, à tout ce qu’il faudrait changer dans le monde hérité des adultes. Ainsi, il arrivait que des jours et des semaines s’enchainent sans que rien ne se passe dans ma vie, sauf mes disques sur le pick up et mes rêves silencieux.

Depuis ce matin, le même 45 tours tourne en boucle, ce qui a fini par attirer dans ma chambre les deux gamines occupées à boucler leurs valises. Elles partent, s’en vont pour une semaine en Allemagne. Un stage ou je ne sais quoi d’important pour leurs études. Bientôt, elles partiront pour toujours et deux autres étudiantes viendront prendre leur place. C'est la vie; les gens viennent et puis s'en vont. Antoine-le-petit-prince va venir les chercher pour les conduire à la gare, elles me l’ont dit. Depuis le braquage, il les conduit partout où elles le veulent. Je l’ai vu deux fois, c’est un garçon chevelu et très poli, toujours fourré dans une épaisse doudoune moutarde. À mon avis, il en pince pour une des deux gamines, mais je n’ai pas encore réussi à savoir laquelle. La grande brune ou la petite blonde ? L’avenir me le dira. En attendant, elles s’inquiètent. Pour moi. C’est ce qu’elles me disent en chœur, plantées dans l’embrasure de ma porte : « On s’inquiète parce que tu vas être toute seule ». Elles ont ajouté que c’est assez angoissant quelqu’un qui écoute deux mille fois le même morceau. C’est ce qu’elles ont dit « Tu es angoissante avec ta musique d'extra-terrestre ». J’ai répondu « Je vais bien, faut pas vous en faire et puis je ne suis pas vraiment seule ». J’ai dit aussi « Merci de vous soucier de moi; promettez-moi de faire attention à vous en Allemagne » et elles sont remontées dans leur chambre en secouant la tête.

Dans la foulée, C. a appelé sur mon portable pour me gronder : j’avais promis des crêpes aux garçons. Où ai-je la tête certains jours ? Je raccroche, bondis dans mes pantoufles et soulève le bras du tourne-disque.

No one knows what it’s like

To be hated

To be fated

To telling only lies

Et je crie après mes petits pour les faire venir.

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