Je ne suis jamais allée voir comment se portait la nouvelle locataire. La petite boulangère. Deux semaines se sont écoulées depuis que j’avais vaguement promis à C. d’aller frapper à sa porte. Je ne l’ai pas fait. Les étages de la maison me mettent mal à l’aise. À part ma mansarde où je monte chaque soir en cavalant, j’évite d’y aller. Les souvenirs sont des fantômes qui vous poursuivent dans les cages d’escaliers. C’est ce que je croyais quand j’étais petite.

J’ai peur des fantômes.

Et des escaliers.

Ces deux dernières semaines sont passées comme des fusées. Beaucoup trop vite. J’ai emmené mes garçons voir la mer. Je les ai emmenés voir une expo. Voir un film en plein air. Des amoureux marcher en se tenant la main. Une péniche chavirer dans l’endroit le plus triste du monde. Des soleils se coucher sur des villes confinées. On a pris le train. On a pris le métro. Le bus souvent. Le numéro 4 surtout, celui qui tourne en boucle autour de la ville. On est monté sur la colline de Cointe, sur l’Atomium, au sommet de la tour du Midi, sur le dos d’un vélociraptor, puis d’un ptérodactyle qui s’est envolé dans un nuage de fumée. On a mangé des glaces, des gaufres, des macarons. On a mangé à table, dans le canapé, sur un quai de gare. Chaque fois, je pensais à elle, me disais qu’elle était peut-être malade ou morte ou partie. Ou jamais venue. Que je devrais aller voir. Que peut-être j’avais imaginé sa présence. Son existence. Mais est-ce que ça existe les locataires imaginaires ? Et les jeunes boulangères recluses et désespérées ? Est-ce que ça existe au moins les gens rongés par l’amour ? Les gens qui se consument ? Qui pleurent tellement qu’ils en meurent ? Et l’amour alors ?

Et l’amour alors ?

Le temps va trop vite et les vélociraptors ont disparu il y a 70 millions d’années. Il faut que je monte voir.

Dix marches d’escalier.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf…