Le sang des innocents

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La tension dans ses jambes lui aurait d'habitude arraché une grimace, mais l'adrénaline faisait des miracles. Alya serrait dans ses mains moites et tremblantes sa lance de fortune, le corps compacté dans l'armoire à vêtements où elle avait trouvé refuge.

La porte d'entrée avait fini par céder quelques minutes après qu'elle ait décidé de la meilleure cachette possible. Elle avait brièvement hésité avec sous le lit, se rendant vite compte qu'il lui serait impossible de se défendre.

Au moins, dans cette armoire, sa relative petite taille lui sauverait peut-être la vie.

Elle le vit dans l'encadrure de la porte. Un vieil homme dans son plus simple appareil, nu-pieds, le sexe violacé, presque aussi menaçant que la hache qu'il laissait traîner derrière lui. Si la folie imprégnait sa démarche, Alya sentait une forme d'amusement sadique animer sa lente recherche minutieuse.

Il voulait jouer avec elle.

La jeune femme respira profondément pour se concentrer. Elle savait qu'elle n'aurait qu'une seule et unique chance pour prendre le dessus. Jamais elle ne pourrait remporter l'épreuve de force. De l'effet de surprise dépendrait sa vie et aussi, sans doute, sa dignité.

Il rentra dans la chambre, appelant une "Amandine" qui devait être sa fille. Il passa devant l'armoire. Et l'étrange logique d'un esprit malade voulut que, trop amusé à l'idée de trouver une jeune pucelle terrifiée et à sa merci, l'agresseur se penchât pour regarder sous le lit.

Alya avait rendez-vous avec le destin et ne désira pas le faire attendre une seule seconde. Elle sortit de l'armoire, s'élançant de toutes ses forces, plantant avec vigueur la lame du couteau perché au bout du manche à balai droit dans le flanc de l'intrus.

Il poussa un hurlement. Alya ne retenait pas sa force. Elle s'appuyait de tout son poids sur l'arme pour infliger la blessure la plus profonde possible. Ses mains se refusaient à retirer le couteau pour porter un autre coup, de peur d'abuser de sa chance une fois de trop.

L'homme s'appuya sur son genou droit, ployant sous la violence et l'angle inattendu de l'attaque. La colère noire succéda à l'amusement. Sans s'inquiéter pour ses propres blessures, il saisit d'une main puissante le manche du couteau pour l'extraire de sa plaie.

Il pouvait maintenant voir dans le regard de cette jeune fille tout son courage s'évaporer pour laisser place à une terreur qui fleurait bon le sang et le plaisir d'une vengeance bien sentie.

Il se dégagea et porta un coup vif du revers du bras en plein dans le visage de la jeune fille qui manqua de peu d'être sonnée. Une mise à mort à la hache aurait pu suivre ce premier assaut, mais il préféra saisir les cheveux de sa victime pour la jeter à plat ventre sur le lit. Il n'avait plus qu'une envie : celle de la faire souffrir.

Alya hurlait de douleur et d'effroi. Elle poussait avec l'énergie du désespoir sur son bassin pour s'extraire de la saisie de son agresseur. Mais le rapport de force n'avait rien d'équitable. Elle se mit à pleurer à chaudes larmes. Le pire était à venir et la mort lui sembla alors désirable.

Elle put enfin revoir la lumière quand il la retourna sur le dos, saisissant sans attendre sa gorge. La main d'Alya tenta de desserrer l'étreinte, en vain. Son agitation sembla énerver son agresseur, qui lui porta un coup de poing en plein visage, lui cassant le nez et projetant une giclée de sang sur l'oreiller.

La douleur était terrible et les larmes rougeoyantes coulaient abondamment sur son visage innocent. Mais le traumatisme n'avait pas le temps de s'installer. Son esprit était concentré sur son souffle qui commençait à lui manquer.

Elle sentait ces mains vicieuses et grasses toucher ses hanches, sa poitrine, avant de retirer son short avec violence. Le regard paniqué d'Alya croisa celui de son bourreau : elle découvrit dans ses yeux empreints d'un plaisir sadique deux iris rouges et brillants. Une lueur presque surnaturelle. Victime maintenant passive, elle pouvait observer avec horreur ce corps disgracieux. Ce fut toutefois l'odeur de transpiration âcre et les relents de crasse qui lui firent manquer de vomir.

Le contact du sexe boursouflé contre son ventre, cherchant avec maladresse à entrer en elle, lui injecta un soubresaut de combativité. Peu importe le nombre de coups qu'il lui assenerait : Alya ne lui céderait rien. Sentant sa tête tourner et sa conscience faiblir, son regard s'arrêta sur la blessure qu'elle lui avait portée.

Et là, outrepassant tout blocage psychologique ou toute peur du dégoût que lui aurait normalement inspiré ce geste, elle plongea son avant-bras d'un coup sec dans la blessure béante et sanguinolente. Elle agrippa le plus de matière organique que ses doigts pouvaient saisir et expulsa cet amas visqueux en poussant un cri à moitié étouffé par la poigne de l'agresseur.

Le visage âgé se crispa de douleur et Alya s'offrit une inspiration salvatrice. Profitant de son recul pour retenir ses viscères en dedans de son corps, elle plongea sans grâce vers les pieds du lit, attrapant le manche de la hache. Et sans demander son reste, exécuta un mouvement oblique qui planta le tranchant au niveau de la clavicule du monstre.

Il lâcha un râle de douleur, levant son bras pour tenter de retenir un nouvel assaut. Trop tard. Possédée par une pulsion de violence haineuse, elle amorçait déjà le coup suivant, finissant d’entamer sérieusement le cou du vieil homme.

  • Crève, fils de pute ! hurla-t-elle, la voix obscurcie par la rage.

Des soubresauts animèrent pour une dernière fois le corps de Jean-Michel qui s'éteint d'un étouffement odieux. La hache retomba lourdement sur le sol, lâchée à la vue d'un spectacle si macabre. Les murs comme le parquet étaient écarlates.

Il n'y eut soudain aucun bruit, si ce n'est la respiration haletante d'Arya qui regardait à présent, immobile, à travers ce corps sans vie, la blessure profonde dans son âme.

Aujourd'hui, elle avait tué un homme.

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