Le départ
L'aube éclaira de ses premières lueurs la porte éventrée. Alya fixait cette brèche d'un regard pensif. Assise, les genoux flegmes devant sa poitrine, elle serrait sa lance tout en la faisant pivoter avec nervosité.
Passé les quelques dizaines de minutes où elle fixa le cadavre dans sa chambre, le choc laissa place à une forme de méditation introspective.
La jeune femme n'avait pas tué que cet inconnu. Son innocence était morte avec lui. Cette épreuve s'était révélée être un cruel rituel d'initiation de passage à l'âge adulte.
Aucun regret ne serrait son coeur. A chaque fois que cette pensée effleurait son esprit, le souvenir de la colère et de son envie de survivre servait d'épouvantail.
Un léger courant d'air frais s'introduisit dans l'appartement. Il portait dans son souffle une évidence : elle devait à présent partir d'ici.
Un second fou furieux n'aurait aucun mal à rentrer ici, même sans hache. Alya avait accepté l'idée que la situation serait amenée à durer. Ses vivres finiraient par s'épuiser. Dès lors, sortir lui serait inévitable.
Elle avait peur des prédateurs qui poussaient des cris dans les rues. Toutefois, il y avait forcément des survivants comme elle. Des personnes lambdas encore conscientes de leurs actes. Alya voulait s'en convaincre. Mais leur nombre baisserait au fil des jours. Chaque minute ici la mettait un peu plus en danger.
Errer dans les rues de Lyon était une perspective peu reluisante. C'était une grande ville. Et rien ne l'effrayait plus que de tomber sur une bande de pillards ou de personnes zombifiées, comme dans ses séries préférées. Il fallait qu'elle s'éloigne des zones trop densément peuplées.
Elle repensa à la maison de campagne où ses parents avaient l'habitude de l'emmener quand elle était plus jeune. C'était une maisonnette en bois coupée du monde, au bout d'une longue route de montagne dans le Vercors.
Alya détestait aller là-bas. Aucune âme qui vive à des kilomètres, même pas une barre de 4G ou de WiFi. Pour une geek comme elle, ce cabanon était une prison.
Pourtant, aujourd'hui, seul cet endroit lui inspirait une relative sécurité. Et surtout, l'instinct lui chuchotait que ses parents pourraient très bien avoir la même idée qu'elle.
Elle avait appelé en boucle le portable de ses parents sans jamais réussir à entendre le son de sa voix ou de celle de sa mère. Leur messagerie avait fini par indiquer que l'espace disponible était saturé.
Alya devait agir en adulte cette fois-ci. Compter sur papa et maman était impossible. L'idée de les obliger à risquer leur vie pour venir la chercher la terrifiait.
Non...c'était à elle de s'y rendre. Ils étaient dans la région, ils auraient le réflexe d'aller là-bas !
Pleine d'espoir, elle visualisa le visage de ses parents et se leva. Elle se dirigea dans la cuisine et ouvrit tous les placards, vérifiant tout ce qui pourrait être emmené pour son voyage.
Son sac était déjà prêt, mais elle revérifia tout un nombre incalculable de fois. Cette fille de la ville découvrit à quel point peu de choses étaient essentielles, mais que tant de gadgets lui apportaient un confort certain au quotidien.
Devoir tout rentrer dans un unique sac était un crève-coeur. Mais elle se plia à l'exercice, en optimisant l'espace au mieux. Le bardas était lourd, mais elle avait conscience qu'il s'allégerait au fil des jours lorsque la nourriture serait consommée.
Le soir arrivé, elle s'offrit une douche chaude providentielle, changea de tenue et saisit sa lance. L'oiseau jeta un dernier coup d'oeil triste vers son nid, replaça quelques planches dans l'encadrure de la porte pour fermer la tombe de son passé, puis s'enfonça d'un pas décidé dans le couloir.
Dans sa poche, l'écran de portable s'éteignit, avalant un dernier SMS.
Papa, maman, je vais bien. Lyon est dangereux, n'y allez surtout pas. Je me rends à la maison du Vercors. Je serai prudente. Je vous aime. Alya.
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