Chapitre 7 - Le seul coupable
Il s'assura de la remise en route normale du monde, en épiant pendant plusieurs heures, subrepticement par les fenêtres, les passants dans la rue, les voisins et leurs enfants, mais aussi sa mère, qui avait repris sa mission quotidienne de surveillance du poste de télévision. Cette dernières'était cru responsable de la mare de vomi dans sa chambre et l'avait nettoyée sans rien dire. Mickaël s'en était un peu voulu mais il avait gardé le silence. Inquiet des conséquences, il avait pris le temps de tous les surveiller, pour vérifier qu'aucun geste suspect ne trahissait un disfonctionnement éventuel. Ces gens avaient tout de même perdu une semaine de leur vie, prisonniers de leur propre corps et n'en gardaient visiblement aucun souvenir. Tout semblait rentré dans l'ordre, comme s'il ne s'était rien passé.
Une fois rassuré, Mickaël s'enferma de nouveau dans sa chambre. Il devait tirer des conclusions de l’expérience déroutante de la veille. Au-delà du bug qu’il avait créé, sans pouvoir en mesurer la portée géographique, il constata avec soulagement la présence avérée de fonctions élémentaires automatiques.
Respirer.
En effet, il n’avait jamais eu à donner cet ordre. L’ensemble du système physiologique devait être régulé par un système automatisé ; les battements du cœur, les impulsions électriques du cerveau, la circulation sanguine… Sinon, le freeze qu'il avait provoqué pendant plusieurs jours aurait eu des répercussion. Si le système biologique n'était pas stoppé, le besoin d'hydratation restait prioritaire et nécessaire. Sauf si l'on considérait cet état de stase comme une sorte d'hibernation. Les mammifères qui hibernent n’ont pas la possibilité de boire. Pendant cette période, ils bougent peu, ils ne transpirent pas et ils peuvent ainsi conserver l’eau de leur corps. C'était sans doute un phénomène similaire qui avait affecté les Niamuh.
Mais la conclusion était sans équivoque : l'espoir était envisageable… Un système d’autonomie était possible ! S'il fonctionnait pour l'aspect physiologique, il devait pouvoir être étendu à d'autres fonctions : cognitives, émotionnelles, physiques, psychiques... Il ressentit un soulagement intense, c'était une bouffée d’oxygène pur pénétrant dans ses poumons.
Toutefois, ce n’était pas sans risques. Il ne pouvait pas ignorer la conséquence de sa dernière tentative de manipulation du code. La prudence était de mise, d'autant qu'il se savait incapable d'une telle prouesse informatique sans l’aide de son ami.
Tout à sa réflexion, il réalisa qu’il continuait à enclencher les séries d’actions programmables, allant d’un personnage à l’autre comme un automate.
« Les étudiants se sont rendus seuls à l’université…, énonça-t-il à voix haute, en poursuivant son raisonnement. Pourtant, ce genre d’actions n’a rien de physiologique…
Cela le fit rire : « Si étudier était un besoin essentiel à la survie, ça se saurait ! »
Il eut un sursaut de conscience en réalisant qu'il se répondait à lui-même. Depuis combien de temps était-il seul, enfermé dans cette chambre ? Il regarda autour de lui. Les déchets de boites de gâteaux vides et les miettes, les bouteilles de soda abandonnées sur le sol créaient un sacré bordel... digne de l'antre d’un adolescent boutonneux. Adolescent qu’il avait cessé d’être. La pénombre qui régnait accroissait encore cette impression de désordre et les odeurs qui devaient émaner de cet espace réduit étaient certainement écoeurantes. Baigné dedans, elles ne le dérangeaient pas, pas plus que l'état de la pièce. Il se détourna de cette réalité médiocre, il était trop préoccupé par des préemptions ô combien plus essentielles. Gérer les êtres vivants de cette planète, c'était sa mission maintenant. Est ce que Dieu faisait le ménage ?
« Les faits, cantonne toi aux faits. Quand tu ne leur dis pas de faire ce qui doit être fait, ils font des choix incohérents au point de mettre en danger leur état physique. Ils semblent incapables de répondre à certains besoins primaires. Ils se mettent en état de stase consciente en l’absence d’ordres suffisants. Parfois, ils ont la mémoire de ce qui s'est produit, comme Léo et son papier peint, parfois, c'est le black out total. Pourtant… pourtant, sur les millions d’êtres, certains semblent en mesure de continuer à mener leur vie sans que je ne leur ai rien dicté : pourquoi ? »
Il soupira.
« Ce programme ne concerne peut être qu’une partie de la population ? Des cobayes humains ont peut-être été implantés avec des puces de contrôle ? Ou peut-être s’agit-il une expérience gouvernementale pour insérer dans la société des hybrides bioniques ? Pourquoi certains et pas d’autres ?... Pourtant… Non, ça ne peut pas être ça, le programme recense des millions d’occurrences. Ils sont tous concernés, ce n’est pas qu’une partie… »
Il frappa de son poing sur la table, exaspéré de ne pas comprendre.
« Concentre toi, se serina-t-il, les yeux clos, tout en continuant les attributions d’ordre, personnage après personnage, quartier après quartier. La vérité est aussi simple : seul, je ne peux pas gérer tous ceux qui sont contrôlés par le programme. Ils sont trop nombreux et je n’ai pas assez de temps. »
Sa respiration se coupa brusquement.
Il avala sa salive avec peine et reprit son souffle lentement en répétant ce simple mot :
« Je...? »
Il fronça les sourcils, en proie à une prise de conscience effarante.
« Et moi... ne suis-je pas... l'un d'eux ? »
Comment avait-il pu éviter cette simple réalité aussi longtemps ? S'était-il à ce point considéré exempt de toute cette horreur ?
Il porta les doigts à ces tempes et les massa avec force, les yeux clos.
« Merde, Mike, c'est pas le moment. Tu vois bien que tu es aux commandes... C'est toi qui décide... Toi, tout seul. Faut que tu trouves une solution, un truc... un putain de truc. Concentre toi. »
Néanmoins, l'idée le poursuivait.
Comment se fait-il que toi, tu puisses faire des choix ? soufflait l'insidieuse dans son esprit.
Il reposa les mains et refoula la réflexion liée à son propre statut, tout ça était suffisament complexe sans qu'il n'en rajoute. Ses doigts tapotèrent, sans néanmoins les presser, les trois touches d’ouverture du code de triche.
Tu veux du temps ? Sers toi, après tout, c'est toi Dieu, maintenant... insista la fourbe et mesquine.
Il hésitait.
Agir sur le temps était une idée, mais pas la bonne. L'impératif était de réussir à générer un système d’algorithme qui permettrait l’enchainement logique de séquences simples. Il ne fallait pas forcer le programme, mais l’encourager à aller dans la bonne direction, voilà tout. Générer une autonomie artificielle, c'était l’objectif.
Des douleurs ligamentaires commençaient à élancer ses doigts à force de répéter les mêmes mouvements. Il grimaça.
Ses neurones continuaient de fonctionner à plein régime. Il tournait et retournait le fonctionnement possible de cette mécanique monstrueuse sans y trouver de réponse satisfaisante.
Soudain, il se figea. L'insidieuse avait instillé une nouvelle pensée, plus obscure. Le rythme cliquetant du clavier se suspendit pour laisser place à un silence que sa voix ténue vint briser :
« S’ils doivent tous avoir des ordres pour faire ce qui doit être fait…
« Si chaque action qu’ils réalisent est dictée par le gestionnaire du programme…
Il fronça les sourcils à mesure qu’il énumérait ces vérités. Son cœur accélérait au rythme d’une colère grandissante, l’enveloppant d’une caresse glaciale, à mesure que cette sombre idée germait en lui.
« Si… j’ai perdu le contrôle de la voiture…
Sa bouche peinait à articuler les mots, tant sa mâchoire était crispée.
« C’est que celui qui me guidait… m’a abandonné ? cracha-t-il finalement. Ou…
Il perdit son souffle, se leva brusquement, les yeux dans le vide, le regard furibond :
« Ou il l’a fait volontairement ?! »
Ses doigts se crispèrent à en faire blanchir ses phalanges.
Dans une explosion de rancoeur, il balaya d’un geste violent tout ce qui se trouvait devant lui. Le clavier et la souris furent arrachés de leurs câbles et réalisèrent un vol plané avant de s’écraser avec force contre le mur de la penderie. Les feuilles griffonnées et les papiers d’emballage vide s’envolèrent, retombant comme des flocons de neige multicolores autour de lui.
Il y avait forcément quelqu'un avant lui, au contrôle de tout ça. C'était à cause de lui si Alix était morte ! On lui avait fait faire cet accident !
« Et moi qui me torturait à me sentir coupable ! » cria t-il.
La prise de conscience venait d'allumer un brasier ardent dans ses entrailles. L'envie de détruire quelque chose s'imposait, soupape de sûreté face à la colère, prête à le pousser à commettre quelque chose d’irréparable. Il bouscula la chaise et tourna comme un lion en cage, foulant du pied tout ce qu'il rencontrait. L'incapacité à identifier plus précisément le responsable ne faisait qu’aggraver le tourbillon de ces sentiments. Tout ce qui avait été refoulé, enfoui, nié, entrait maintenant en éruption. Après des années de passivité suite au drame, les quantités de médicaments destinés à effacer l’horreur et le poids de la responsabilité, la vérité tonnait en lui. Encouragé par le sevrage des psychotropes inhibiteurs, il pouvait enfin se révolter face à la terrible injustice. Une vague de colère déferlait, emportant toute sa résignation passée.
Ce n’était pas lui le coupable.
Il était ailleurs, là quelque part, dehors. Celui qui avait failli, celui qui avait décidé de son destin.
Il lui devint insupportable de rester cloitré dans cette chambre devenue trop étroire pour contenir sa colère. Il décrocha sa veste d’un geste sec, il claqua la porte derrière lui. La rue l'enveloppa de ténèbres et il remonta le trottoir d’un pas vif sans savoir réellement où il se dirigeait.
« Je te trouverai, enfoiré... Tu me dois une vie.
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