Chapitre 28 Evie

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Des coups violents frappés à la porte me réveillent en sursaut. Ludovic a déjà bondi hors des couvertures pour enfiler son jean et attraper son arme. La lueur du jour s’infiltre à peine par la fenêtre, ce qui veut dire qu’il est encore très tôt, peut-être six heures trente. Je récupère mes habits disséminés autour de moi pour me vêtir en hâte alors que Ludovic s’apprête à ouvrir le battant qui bloque l’entrée.

— Ludovic, c’est Roman Staveski. Tu es là ? crie en français une voix d’homme.

Vu l’air sombre et inquiet de Ludovic, je n’ai aucune peine à comprendre que le nouveau venu n’est pas le bienvenu. Je ne me suis jamais sapée aussi vite de ma vie, et quand Ludovic me jette un œil pour savoir où j’en suis, je lui fais signe que je suis prête. Il retire la barre de force et la porte est poussée par deux hommes d’une soixantaine d’années qui entrent sans se gêner, bien que Ludovic pointe son Glock sur le visage du premier. Puis il abaisse son arme, ce qui me rassure un peu.

Les deux types sont chaudement vêtus de manteaux de cuir doublés de fourrure. Une chapka leur ceint la tête, ils portent des pantalons de laine sombres ainsi que des bottes qui leur permettent de circuler dans la neige. Ludovic toise celui qui doit être Roman Staveski, car il lui ressemble comme deux gouttes d’eau, au détail près que la chevelure de l’homme est grise et blanche. Je suppose qu’il s’agit de l’oncle de Ludovic, garde du corps à Tbilissi. Néanmoins l’accueil armé et distant de celui-ci m’apprend que les relations sont plutôt crispées dans la famille.

Ludovic pose une question en géorgien d’un ton sec à Roman Staveski, et celui-ci répond dans la même langue d’une voix aimable. Je suis vexée que Ludovic emploie une langue que je ne comprends pas, qui m’exclut volontairement de cet échange. Cependant, la tension s’apaise. Ludovic fait signe aux deux visiteurs de s’asseoir autour de la table, alors qu’il la débarrasse des pièces de la radio qu’il a démontée hier.

Il m’enjoint de faire chauffer de l’eau pour le café, et je m’exécute, dès que j’ai ravivé le feu dans le poêle. Quelques minutes plus tard, Ludovic a récupéré deux sièges supplémentaires et sert quatre tasses de café. Les hommes n’ont prononcé aucune parole, se contentant d’ôter leurs manteaux, qu’ils posent sans façon sur le dossier de leurs chaises.

Je remarque les bosses discrètes sous les vestes de costume et suppose qu’il s’agit d’armes, sans en être sûre. Ludovic a coincé la sienne dans la ceinture de son jean, ce qui me prouve que ces deux-là sont potentiellement dangereux. J’examine le deuxième individu, qui me semble familier, même si je ne l’ai jamais rencontré auparavant.

— Je suis ravi de faire ta connaissance, dit Roman en français en s’adressant à Ludovic, puis il se tourne vers moi. Mademoiselle, je suis Roman Staveski, l’oncle de Ludovic, et voici Levan, le fils de Georgio.

— Très heureuse de vous rencontrer, je réponds hypocritement avec un sourire crispé, car je me sens obligé de me présenter pour être polie. Je suis Evelyne Riviera, infirmière à Terre et Humanité.

— Une infirmière à Ouchgouli, c’est une bénédiction pour les habitants, commente Roman avec emphase.

Il traduit l’échange à Levan, qui hoche la tête pour approuver. Un grand sourire et des yeux chaleureux le rendent sympathique, mais je demeure méfiante. Je suis devant le fameux Levan, l’aîné de Georgio. Étant donné qu’il appartient à la mafia russe, je comprends mieux l’accueil que Ludovic fait à son oncle. Comme je ne sais pas quoi ajouter d’autre, je sirote doucement quelques gorgées de café brûlant.

L’ambiance tendue me persuade de rentrer au dispensaire plus tôt que prévu. Je dois accompagner Charlotte ce matin pour faire le transfert des tournées la semaine prochaine, tandis que Randy restera au bureau avec Alan pour la même raison. Les équipes vont permuter pour que chacun d’entre nous alterne entre les soins au centre médical et ceux chez l’habitant. C’est la meilleure façon de procéder pour connaître la population et évaluer au mieux les besoins, car chacun d’entre nous fonctionne en complémentarité de points de vue avec les autres.

Je me lève pour annoncer mon départ, en comptant que Ludovic sera également plus à l’aise pour gérer ses visiteurs inattendus.

— Messieurs, je vous laisse entre vous. Je vous souhaite une bonne journée.

Je me dirige vers mon manteau. Ludovic se charge de me reconduire, ce dont je lui suis reconnaissante car j’ai très envie qu’il m’embrasse, ce qu’il fait dès que nous sommes hors de vue, après m’avoir enlacée dans ses bras. Puis il saisit le Glock toujours coincé dans sa ceinture et me le tend.

— Prends ça, et soit vigilante, chuchote-t-il pour que notre au revoir reste intime. Je préférerais te raccompagner chez toi.

— Toi, fais attention à toi, je lui réponds, car je me fais du souci. J’ai vu qu’ils sont armés, tu devrais garder ce flingue avec toi.

— Si mon oncle avait eu des intentions hostiles, il serait entré dans la cabane pendant que nous dormions. Je ne risque rien, affirme Ludovic, l’air sûr de lui.

S’il me restait des réticences à l’idée de le laisser seul avec ces hommes, il les balaie avec son argument. Je l’embrasse une dernière fois d’un baiser léger sur ses lèvres si douces et me résous à le quitter, malgré mon envie de l’étreindre encore et encore.

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