Chapitre 79 Evie
Je monte du côté passager dans le Ford T 150 de Ludovic. Il démarre, et le 4X4 s’ébranle doucement en direction de la route qui mène au hameau du haut. La nuit est tombée depuis longtemps, il est presque vingt heures. Nous roulons une centaine de mètres lorsque je remarque un brasero allumé sur le bord du chemin. Des gens se pressent autour. Dès qu’ils aperçoivent notre véhicule, ils forment une haie d’honneur. Les villageois se mettent à applaudir à notre passage. Quelques hommes, toujours en tenue militaire, brandissent leurs fusils.
Des tirs saluent notre arrivée à leur hauteur. Parmi eux se trouvent Elisso et Georgio.
— Qu’y a-t-il ? je demande.
— C’est leur façon de nous remercier, je crois, me répond Ludovic.
Vaguement gênée de recevoir cette attention, je me tortille sur mon siège. Le souvenir cuisant de la fessée se rappelle à moi. Mmm, cela me plonge instantanément dans les délices que Ludovic m’a procurés.
Elisso nous fait signe de nous arrêter. Ludovic gare le pick up.
— Pouvez-vous prendre mon oncle avec vous ? nous demande-t-il.
— Bien sûr, venez tous les deux, répond Ludovic.
Je me pousse pour aménager de la place aux deux hommes. La banquette est si large que nous tenons tous les quatre sans peine.
Ludovic interpelle le groupe.
— Ceux qui le souhaitent peuvent s’asseoir à l’arrière, offre-t-il.
Deux vieux monsieurs et une femme d’un certain âge se font aider par les plus jeunes pour grimper à bord.
Ils s’installent sur le banc formé par les essieux du véhicule. Ludovic remet en marche le 4X4, les autres suivent à pied.
Plus loin, j’aperçois encore des braseros, le long de la route. Partout, les habitants d’Ouchgouli se pressent pour nous saluer. Des cris de joie, entrecoupés de salves de tirs, ponctuent notre passage.
J’observe l’homme de ma vie. Les yeux de Ludovic brillent d’une tendresse contenue, tandis qu’un sourire illumine ses traits réguliers. Elisso et Georgio semblent également émus. Georgio regarde droit devant lui, mais il serre la main de son neveu dans la sienne.
— Si tous ces gens sont heureux, c’est grâce à vous, miss Riviera, et à vous, M. Staveski, déclare Georgio, traduit par Elisso. Vous nous avez débarrassés de ces salopards, et vous avez retrouvé Nino et Aleksandrina. Les habitants d’Ouchgouli vous seront toujours reconnaissants pour cela.
C’est à mon tour de sentir monter une émotion puissante en moi. Cela fait peu de temps que je suis arrivée dans ce pays étranger, pourtant je me suis attachée profondément à cette population. Ils nous ont accueillis et traités comme des amis. Ils nous ont offert ce qu’ils possèdent et se sont mis en quatre pour nous apprendre leurs coutumes. Je sais que je n’oublierais jamais ces personnes ni ce que j’ai vécu ici. Pas une seule seconde je ne regrette d’avoir risqué ma peau pour essayer de leur venir en aide.
Le véhicule cahote doucement dans les ornières du chemin non carrossé. Tout au long de la piste, des braseros percent la nuit, éclairée par une lune presque ronde, qui découpe en ombres les maisons et les tours du village.
— Et puis, vous savez, je suis doublement heureux, ce soir, reprends Georgio.
Elisso a l’air un peu gêné de me traduire cette phrase, ce qui attise ma curiosité.
Il s’adresse à son oncle.
Que lui dit-il ? Je crois comprendre le mot docteur, et je reconnais clairement le prénom de Randy, mais je suis loin de me douter du sens de ces mots, lorsque Ludovic se met à rire.
— Ce n’est plus un secret pour personne, mon vieux, dit-il à Elisso.
Je regarde les deux hommes sans deviner ce qui est en train de se jouer dans l’habitacle du pick up.
— Vous allez m’expliquer ce qu’il se passe ? je fais mine de me fâcher.
Ludovic est hilare, tandis qu’Elisso se renfrogne à côté de moi.
— Georgio est fier d’Elisso parce qu’il a rencontré l’amour.
Je toise ce dernier, surprise par cette annonce.
— Ce n’est pas un secret, que je sache ? je questionne.
— Bien sûr que non, rigole Ludovic.
— Bon, alors je ne vois pas où est le problème, je conclus.
— C’est vrai ? demande Elisso.
Georgio précise quelque chose, que Ludovic me traduit.
— L’amour, ça ne s’explique pas, dit Georgio. Si tu le trouves, c’est ta responsabilité de l’entretenir et de le garder. Peu importe le genre des personnes qui se chérissent. Ce qui se passe dans l’intimité d’une couche ne concerne qu’eux.
— C’est très bien dit, je m’exclame. Ne t’inquiète pas, Elisso, Charlotte, Alan et moi ne voyons pas d’inconvénient à ta relation avec Randy. Georgio a raison, l’amour est comme une fleur précieuse dont il faut prendre soin.
Ludovic me regarde d’un drôle d’air. Je lui souris timidement. Nous aussi, nous démarrons une idylle. Chacun doit faire attention à ne pas piétiner l’autre, pour que cela puisse fonctionner entre nous. Peu importe qu’on soit hétéro ou homosexuel, dans la religion ou pas.
Nous arrivons en vue de l’auberge d’Irina. L’extérieur est décoré de lampions. De la musique s’échappe par la porte entrouverte. Ludovic gare le 4X4 et chacun s’extrait de sa place pour descendre. Nous entrons dans la salle. Liana, Lamilia et les autres femmes sont debout, en train de jouer une gigue entraînante. Des enfants galopent entre les adultes, les petites filles poussent des cris perçants, tandis que les garçons leur courent après. Des villageois boivent un verre, accoudés au comptoir du bar. Je reconnais Roman et Levan, en compagnie d’un troisième homme, qui tournent le dos. Les tables sont calées contre les murs, remplies de plats appétissants. Irina vient nous accueillir dès qu’elle nous aperçoit.
— Voilà nos héros, s’exclame-t-elle.
Je ne me considère pas comme un exemple ! Je rougis, cherche Charlotte du regard, mais ne la vois pas.
Irina me plaque deux gros baisers sonores sur les joues avant d’en faire autant avec Ludovic. Puis elle s’empare de Georgio, qu’elle serre dans ses bras. J’en profite pour m’engager plus en avant, d’autant que ceux qui entrent derrière nous forcent à avancer. Les musiciennes s’arrêtent de jouer, car la salle est comble. Elles rangent leurs instruments contre les murs, puis elles viennent nous souhaiter la bienvenue. Il fait très chaud tout à coup. L’immense cheminée turbine à plein régime, j’ôte mon manteau avant de me mettre à dégouliner de transpiration. J’avise une patère, et me dirige vers elle pour le suspendre. La grand-mère de Djalil me capte du regard, elle fonce sur moi. J’ai droit à de nouvelles embrassades, puis les parents des adolescentes d’Adishi viennent en faire autant. Je n’ai pas encore réussi à me débarrasser de mon vêtement, lorsque Ludovic surgit à mes côtés.
— Tu as cru à l’innocence de leurs enfants, et tu les as suivis parmi les djihadistes, me traduit-il. Ils ont une dette envers toi. Tu seras toujours la bienvenue chez eux. Ils t’ont apporté des cadeaux.
Une émotion d’une force inouïe s’empare de moi, tandis que la grand-mère de Djalil m’offre une couverture en patchwork multicolore de laine, tout en m’embrassant contre elle. Ces gens ne possèdent rien, ils me donnent ce qu’ils ont. Les parents de Chanoune m’ont confectionné un magnifique sac de cabine en cuir, cousu main. Les familles de Nino et Alexandrina m’apportent des pâtés et du fromage. Mes larmes débordent et coulent sans que je ne puisse rien y faire, tant leur reconnaissance me réchauffe le cœur.
— Merci, je souffle.
— Viens, ma chérie, m’appelle Irina, qui comprend mon embarras. Donne-moi ton manteau, je vais le suspendre là, sur ce crochet, me dit-elle en désignant le mur de droite. Tu peux poser tes affaires dans l’alcôve, juste à côté.
Je suis le conseil de notre hôtesse et remise mes cadeaux, le temps de la soirée. Quand je retourne sur mes pas, Ludovic est en pleine conversation avec le père de Chanoune. Hum. La dernière fois qu’ils se sont adressé la parole, Ludovic avait accusé sa fille d’être la responsable de l’enlèvement de ses amies. Mon guerrier doit présenter ses excuses aux parents de la gamine, car ils lui serrent la main. Ouf, ils ne sont pas rancuniers !
Puis Alan et Randy font leur entrée, précédés par le chef du village, Bjalava. Alan m’aperçoit, Randy et lui me rejoignent.
— Tu viens d’arriver ? demande Randy.
— As-tu vu Charlotte ? me questionne Alan en même temps.
Je n’ai pas le temps de répondre, Charlotte et Nina apparaissent à leur tour. Elles sortent de la cuisine avec de grands plateaux chargés de verres remplis de tchatcha, le spiritueux qui ressemble à de la grappa italienne. Voilà donc où se trouvait mon amie ! Charlotte et Nina se partagent la salle, pour servir les convives.
Le chef d’Ouchgouli se fraie un passage jusqu’à moi, pour me saluer, avant de se diriger vers le bar. Il serre la main et fait la bise à quelques hommes sur le chemin, comme le veut la tradition géorgienne. Il arrive à proximité de Roman, de Levan et de l’inconnu. Mais à ce moment-là, Nina, qui distribue des coupes, est bousculée par un môme de dix ans, lancé à pleine vitesse. Le plateau vole, les verres et leur contenu sont projetés sur le type assis en compagnie des deux mafieux. Tout autour, des exclamations de surprise se font entendre.
Le gamin interrompt sa course deux secondes pour constater les dégâts, et repart à fond, sans demander son reste. Nina est désolée, impuissante face au désastre qui ruine le costume chic du mystérieux voisin de Roman. Celui-ci se lève de son tabouret et découvre la jeune femme, dont la robe bleu roi scintille de gouttes de spiritueux. La Géorgienne se fige, son regard est captif dans celui de l’inconnu, dont les pupilles vertes la fixent sans ciller.
L’homme a une trentaine d’années. Il est grand, athlétique. Ses cheveux noir corbeau forment des boucles qui s’échappent jusqu’à ses épaules, remarquablement musclées. Son visage est angélique, ses traits sont réguliers et fins. Sa peau est mate, dorée comme un pain d’épice. Ses yeux sont tout ce qu’il y a de plus fascinant : ses prunelles sont du plus bel émeraude que j’aie jamais vu, la couleur d’un lac de montagne illuminé par le soleil. Il porte une barbe noire. Son profil ressemble étrangement à… celui de Ludovic. Tout à coup, je comprends qu’il s’agit du fils de Roman. J’avais oublié son existence, à celui-là !
Je me rapproche du groupe en me faufilant au milieu des invités, telle une petite souris.
Si Nina est hypnotisée par le beau ténébreux, elle reprend rapidement ses esprits. Je devine qu’elle s’excuse de cette maladresse auprès de ceux qui ont été éclaboussés. Irina se précipite, avec plusieurs torchons dans les mains pour éponger les étoffes détrempées du chef du village, et du fils de Roman.
Je sens le contact de la main de Ludovic sur mon poignet, il m’a accompagné.
— Viens, il faut que tu saches quelque chose, déclare l’amour de ma vie.
Je me détourne à regret, car je pourrais bien jurer avoir vu la flèche de cupidon à l’œuvre, lorsque les regards de Nina et du ténébreux se sont rencontrés. Mais peu désireuse de contrarier une fois de plus Ludovic, je consens à le suivre sans faire d’histoire. Il m’entraîne vers les escaliers qui mènent au premier étage.
Se peut-il qu’il soit jaloux du beau gosse et qu’il espère m’en éloigner ? Veut-il me prouver dans ma chair que je lui appartiens ? Cette idée m’amuse une milliseconde avant qu’elle ne fasse des ravages dans ma psyché. L’ardente flamme du désir s’infiltre de nouveau dans mes veines.
Cependant, Ludovic m’entraîne d’une poigne ferme degré après degré, mutique, trop sérieux pour confirmer mes élucubrations mentales. Nous nous dirigeons vers son bureau, qui a servi de QG durant toutes ces dernières semaines.
— Entre, Evie, s’efface Ludovic pour me laisser passer.
Il referme soigneusement la porte derrière nous, ce qui me rend perplexe. Je croyais que tout danger était écarté. N’est-ce pas l’heure de s’amuser ?
Ludovic fouille dans un tiroir, puis en ressort des papiers qu’il me tend.
Je déplie les feuilles. Il s’agit de documents officiels, car ils portent la mention SECRET DÉFENSE. En haut figure en caractère gras le nom de Roman Staveski, assorti d’une photo et de sa date de naissance. Je lis une fiche de renseignement qui détaille les activités licites et illicites de l’oncle de Ludovic, sans comprendre pourquoi il me laisse accéder à ces informations précises de la vie du vieux mafieux. Je lève mon regard du document.
— Consulte la suite, Evie, m’encourage mon amant.
Le second papier est un avis de recherche international concernant un homme classé très dangereux. Seuls ce surnom et des caractéristiques physiques permettent de l’identifier. L’individu a environ trente ans, il est grand, il a des cheveux noirs bouclés et des yeux vert clair. Il est soupçonné d’être à la tête d’un trafic d’héroïne en provenance d’Afghanistan, et de faire du commerce d’armes. Il est appelé la panthère de Perse, probablement en raison de la couleur inhabituelle de ses pupilles.
— Pourquoi me montres-tu ces documents ? je demande. Est-ce que cela a un rapport avec le fils de Roman ?
Le regard de Ludovic est grave et sombre, lorsqu’il me répond.
— Je n’en ai pas encore la preuve, mais oui, mon cousin correspond aux caractéristiques de l’avis de recherche.
— Ce n’est pas parce qu’il concorde avec la description physique présentée là-dessus que ça fait de lui un coupable, n’est-ce pas ? je remarque.
— Non, bien sûr que non. Des attributs aussi vagues ne sont pas fiables, cependant la couleur de son regard est une forme plutôt rare dans la population mondiale.
Je m’insurge en moi-même. Ludovic n’a-t-il donc pas compris qu'il faut juger moins vite les gens, alors qu’il s’est déjà lourdement trompé sur Chanoune ? Mais mon amant ajoute un argument qui fait pencher la balance de son côté.
— Je soupçonne Hayden Staveski d’être le criminel de l’avis de recherche pour une autre raison, Evie. Hayden a retrouvé Djalil, comme tu as dû l’apprendre. Mais t'a-t-on décrit dans quelles circonstances ?
Je fais un mouvement négatif de la tête.
— Non.
— Et bien, Hayden était en lien avec Rafiqi, le commerçant de Maestia. Celui-ci avait emmené Djalil pour lui servir de guide à travers le Caucase. Or Djalil m’a raconté que le marchand a voulu faire une étape à Adishi, car il attendait l’arrivée d’un négociant d’armes.
Ludovic me laisse additionner deux plus deux. Évidemment, même si nous n’avons aucune preuve de la raison de sa présence chez le père de Djalil, il s’agit probablement de l’homme qu’escomptait le marchand, avant de traverser le Caucase.
— Pourquoi me dis-tu tout cela ? je questionne.
— Parce que je ne vais pas pouvoir mettre en état d’arrestation mon cousin sans fondement. Tout ce que je peux faire, c’est confier mes déductions aux autorités locales. D’ici à ce qu’une enquête soit menée, je veux que tu fasses extrêmement attention à cet homme. N’oublie pas qu’il est probablement très dangereux, ne serait-ce que parce que Roman est un Vory’v zakone. Nina ferait bien de se tenir à distance aussi, conclut Ludovic.
Je rends les documents classés secrets défense à Ludovic pour qu’il les range.
— Je serais vigilante, c’est promis, je lui dis pour le rassurer. J’avertirais Nina dès que possible.
— Très bien, Evie. Je compte sur toi pour éviter les ennuis, me susurre Ludovic, dont la mâchoire se contracte involontairement à la pensée de ce qu’il pourrait m’arriver si j’approchais de son cousin.
À vrai dire, je n’ai pas la moindre envie de rencontrer le fils de Roman. Il ne fait aucun doute que c’est un type dangereux. Rien qu’à le voir tout à l’heure, j’en ai eu la chair de poule. Sa façon de détailler Nina, pour commencer. On aurait dit qu’il la dépeçait de son regard de chat. Tout le reste de son anatomie crie au monde entier qu’il sait se battre, et qu’il n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds sans répliquer. Son corps est musclé, mince comme le sont les combattants du désert, aguerri par les privations et l’entraînement. Son port de tête est fier, altier, habitué à commander des soldats. Et puis, le lien familial qu’il entretient avec Ludovic est évident. Ils ont les traits du visage en commun, excepté qu’Hayden a le nez oriental, aquilin, bien proportionné, avec des narines finement dessinées. Les yeux d’Hayden sont aussi davantage en forme d’amande que ceux de Ludovic. À part la couleur de leurs regards et de leurs cheveux, la ressemblance est frappante.
En ce qui me concerne, j’ai déjà bien assez à faire avec Ludovic. À l’idée qu’il doive bientôt quitter Ouchgouli, mon cœur se serre. Ludovic lit dans mes pensées et se rapproche de moi pour me faire un câlin. Mmm, c’est si doux d’être contre lui ! Je lève le bout de mon nez, pour l’enfouir dans son torse large, puis dépose de petits baisers sur la peau qui apparait le long de son col de chemise. Il m’entoure de ses bras pour me tenir contre lui, sans oser me serrer, de peur de me faire mal.
À regret nous nous écartons, car nous aurons tout le temps qu’il faut pour nous retrouver après cette belle fête. C’est l’heure d’aller rejoindre les convives, avant que mes collègues ne se demandent où je suis passée.
Nous sortons du bureau pour regagner le rez-de-chaussée. Au pied de l’escalier, Chanoune et Djalil se tiennent l’un contre l’autre, le petit Chamil lové dans les bras de son père, face à Alexandrina, Nino, et deux garçons que je ne connais pas, installés sur les premières marches. Comme tout bon ado qui se respecte, ils devisent entre eux, sans se préoccuper du reste du monde. Je note immédiatement une transformation chez les jeunes filles. Elles ont abandonné les tissus noirs pour des voiles et des abayas cintrées de différentes couleurs. Chanoune est en vert, tandis qu’Alexandrina est en rose et Nino en bleu. Elles sont si jolies, ainsi !
— Evie ! s’écrient Chanoune et Djalil lorsqu’ils m’aperçoivent.
Alexandrina et Nino tournent la tête, elles me reconnaissent. Toutes deux arborent un si large sourire que je me dis qu’elles s’en sortiront. Ces adolescentes seront résilientes, j’en suis presque sûre.
— Comment vous sentez-vous ? je leur demande.
Je profite du fait que Ludovic soit à mes côtés pour traduire mes paroles.
— Ça ira, tu sais, me répond Chanoune. Djalil et moi allons nous marier ce printemps. Puis Chamil et moi emménagerons dans sa maison, dès qu’elle sera prête.
— Je vais effectuer des travaux cet hiver afin d’accueillir ma famille, annonce Djalil. Le père de Chanoune va m’aider. Il va aussi m’apprendre à tanner les peaux de bêtes, je serais son associé !
— Je suis très heureuse pour vous deux ! je m’exclame, ravie.
Ces deux-là sont enfin réunis, leur bonheur rejaillit et fait exploser le mien.
— Merci Evie, me remercient tous les ados, chacun leur tour.
— Lamilia et son mari vont nous guider dans l’interprétation du Coran, m’informe Alexandrina. C’est trop cool !
— Nous avons compris qu’il y a plusieurs lectures possibles, selon les multiples courants qui sont nés, explique Djalil. Lamilia est soufie, mais elle veut nous aider à pouvoir comparer les différences entre le sunnisme, le chiisme, et le soufisme. Comme cela, nous pourrons décider de nous référer à ce qui nous correspond le mieux.
— C’est une merveilleuse idée, je réponds, persuadée que seule l’instruction permet aux gens d’élever leur capacité à faire des choix.
Nous quittons la petite bande pour retrouver Alan, Randy, Elisso et Georgio, qui sont installés sur les banquettes autour des grandes tables. Marko vient nous rejoindre, puis Charlotte et Nina arrivent à leur tour.
— Je trinque à nos héros, clame Randy en brandissant son verre.
Nous levons tous nos coupes, heureux d’être là.
Liana s’exclame :
— Je remercie nos invités étrangers, au nom de la reine Tamar !
Elle est aussitôt imitée par d’autres villageois, puis par l’ensemble des convives.
Liana attrape son instrument, et entame une musique entraînante. Ludovic me tend son bras pour aller danser. Alan et Charlotte nous accompagnent, puis des couples se forment sur la piste. Djalil et Chanoune se joignent à nous. C’est une magnifique soirée !
Annotations
Versions