Chapitre 1 (Gallie)
Fichu mal de tête qui reprend. Je regarde l’heure sur mon ordinateur portable. Il n’est même pas 10 heures du matin. Quelle galère ! Si je ne prends pas immédiatement un antalgique, je suis bonne pour le trimballer pour le reste de la journée. Je soupire, ferme les yeux et masse légèrement mes tempes pour atténuer sa propagation. Peine perdue, je sens déjà les prémices d’une atroce migraine. Un mois, un mois que lui et moi cohabitons et je dois dire que ce collaborateur est tout sauf amical. Au fils des jours, il a même tendance à prendre ses aises. Pourtant, je ne peux pas relâcher la pression, je dois tenir bon. Mon directeur de département compte sur moi pour la clôture annuelle, et ce n’est pas le moment de le décevoir, surtout après cette excellente année. Allez, on se reprend ma fille. J’inspire à fond, avale ces maudites pilules avec un fond de café froid encore présent dans ma tasse et me replonge aussitôt dans mes tableaux Excel.
Moins de dix minutes plus tard, le loup arrive…
Maxime Ferrant, un mètre quatre-vingt-cinq contenus dans un costume bleu nuit, trente-cinq ans, plutôt séduisant, le sourire aux lèvres et un sachet de viennoiseries dans la main. Il ne prend pas la peine de frapper et ouvre la porte de mon bureau vitré d’un pas décidé.
— Salut, Alien ! lance-t-il en agitant son butin. Pause p’tit dèj ! Et interdiction de dire non, tu as une tête de déterrée.
Alien : surnom attribué à cause de mes résultats, soit disant inhumain. C’est un peu exagéré, je l’avoue. Je ne fais que ce pour quoi je suis douée : gérer des projets structurés.
— Salut Max, on peut dire que tu trouves toujours les mots qui font plaisir.
Son sourire s’agrandit un peu plus.
— Je ne suis pas là pour te ménager mais te presser comme un citron.
Je ris et mon mal de tête s’amplifie. Vivement que les cachets fassent effet. Max me dévisage de son œil inquisiteur et je m’avoue vaincu. En fin de compte, une pause me fera le plus grand bien. Je verrouille mon ordinateur, sans avoir oublié de sauvegarder mon travail et me lève. Son sourire carnassier n’atteint pas ses grands yeux bleus. Ça sent les reproches à plein nez.
— Tu as pointé à 6h00 Alien, faut-il que je demande une injonction restrictive pour que tu viennes à des horaires plus décents ?
— Tu ne vas pas commencer…
Je le suis vers l’ascenseur. La salle de repos se trouvant au rez-de-chaussé.
— Bien sûr que si, je te veux au maximum de ta forme. Dois-je te rappeler qu’un cheval qui boite, on l’abat.
— Je dois dire que ta façon de montrer ton inquiétude à mon égard me dépasse parfois.
Les portes s’ouvrent. Nous entrons. À peine celles-ci refermées, il pose une main bienveillante sur mon épaule.
— Arrête de jouer les invincibles Gallie, tu vas finir par te noyer si tu continues. Et je sais de quoi je parle. Lève le pied, c’est un ordre. Je ne veux plus te voir ici à partir de 16h00.
— Mais Max, je…
— Je finirai s’il le faut, mais je veux que tu te reposes et que tu reviennes en pleine forme pour la nouvelle année. Si tu crois que celle-ci était difficile, attend de voir celle qui arrive. Je ne te lâcherai pas l’Alien. Je tiens à mes primes.
Je souris à sa remarque. S’il pense me faire peur, c’est raté. J’adore mon boulot et il le sait, le bougre. Qu’il me mette au défi, je suis prête à le relever. Un regain d’énergie s’empare de mon corps et je sors de l’ascenseur oubliant jusqu’à ma migraine.
— Mme Faure, m’interpelle l’hôtesse d’accueil, j’ai reçu un bouquet pour vous.
En voyant les roses rouges, ma bonne humeur s’envole et je sens mon visage se vider de tout son sang. Je ne peux plus avancer d’un pas. Cela ne va pas recommencer ? Maxime, alerté par mon comportement, fronce les sourcils.
— Un problème Gallie ?
Il me faut bien une minute pour reprendre contenance.
— Non, je … je… j’inspire une nouvelle fois et décide de trancher dans le vif. Mettez-les à la poubelle Nathalie et si vous en recevez d’autres, faites de même.
L’hôtesse me dévisage d’une drôle de façon entre le « waouh, je ne m’y attendais pas » et le « dommage, elles sont belles » quant à Maxime, je sens qu’il ne va pas lâcher l’affaire. Son flair ne le trompe jamais, et quand il a détecté une anomalie, il fait tout pour la disséquer et comprendre les rouages. Inutile de lui mentir, autant lui en parler avant que cela prenne des proportions incontrôlées. De toute façon, je n’ai rien à cacher.
— Bien madame, finit-elle par se résigner en les jetant.
— Toi, tu as des choses à me dire.
Qu’est-ce que je disais…
— Allons prendre un café d’abord et retournons à ton bureau. Je tiens à ce que cet incident reste entre nous.
Une fois dans son antre, installés autour du guéridon qui sert de table de réunion sommaire. Maxime prend sa pose fétiche : assis, jambes croisées et coude nonchalamment posé sur le haut du dossier. Voyant que j’hésite, il lève un sourcil interrogateur. Comme si ma vie n’était pas assez compliquée comme ça. J’avale une gorgée brulante et me lance.
— Il y a plus d’un an, j’ai commencé à recevoir des bouquets de roses rouges telles que celui d’aujourd’hui. Mais au lieu que ce soit à mon ancien travail, c’était sur le pas de ma porte. Il y avait toujours un mot qui l’accompagnait et qui disait : « Bientôt, bientôt tu seras à nous ».
Le visage de mon boss se ferme comme une huitre, il ne peut pas me cacher ses sentiments, je lis en lui comme dans un livre ouvert. Ses yeux se sont assombris de colère. Lentement, il se lève pour vérifier que nous sommes bien seuls avant de revenir s’asseoir.
— Bon sang, Gallie, c’est grave, pourquoi ne pas m’en avoir parlé plus tôt ?
— Ce n’est pas le genre de chose qu’on expose avec un power point. Et puis tu sais que je ne mélange jamais mon travail avec mon perso. Notre amitié ici, elle n’existe pas.
— Tu as raison mais pourquoi pas en dehors du travail, on passe notre vie ensemble. Tu sais ce que tu représentes pour moi.
— Je voulais oublier. Le passé, c’est le passé, enfin jusqu’à aujourd’hui.
— Je comprends, désolé…
Mon boss qui s’excuse ? Enfin Max qui s’excuse… Du jamais vu. Malgré ma surprise, je continue ma petite histoire.
— Je l’ai signalé à la police de l’époque, ils ont fait une enquête minutieuse pendant des mois mais ils n’ont absolument rien trouvé.
— Rien trouvé ? Comment ça rien trouvé ?
Je le sens agacé.
— Rien. Qui, comment, pourquoi, aucun lien n’a pu être établi. J’étais désemparée. Ce petit jeu se prolongea pendant six mois et un jour, juste avant de postuler ici, au lieu d’être livré sur le pas de ma porte, le bouquet était chez moi, sur la table du salon. Comme s’il avait toujours été là. Pas d’effraction, pas d’empreintes. Rien de rien.
— Attends, attends, tu veux dire que cette personne avait les clés de chez toi ?
Je rejette cette éventualité d’un signe négatif de la tête.
— la police s’est faite la même réflexion. J’ai fait changer toutes les serrures, mis des barres anti-intrusions aux volets, rien n’a fait, chaque semaine, le même bouquet de roses rouges trônait dans mon salon.
— Et la police dans tout ça ?
— Impuissante….
La migraine oubliée choisit cet instant pour gagner du terrain. Misère, ma tête est sur le point d’exploser. Un miracle si je ne vomis pas. Maxime ne s’aperçoit de rien, trop occupé par ses réflexions intérieures. Je ferme les yeux, imaginant une plage de sables fins. J’aimerais disparaitre une minute, juste une minute.
— Gallie ?
La voix douce de Maxime, me sort de mes pensées. Je bats lentement des paupières jusqu’à le voir avec netteté.
— Tout va bien ?
— Une migraine, ne t’inquiète pas. Je gère.
Il soupire.
— Je suis désolée Gallie…
Une fois je veux bien, mais deux ?
— Ne fait pas ça Max, s’il te plait. Range cette pitié qui déborde de tes yeux. Je ne compte pas me laisser impressionner par des fous. Je maitrise plusieurs sports de combat, comme tu le sais et je ne suis pas du genre à me laisser abattre.
— Ne confond pas pitié et amitié. D’ailleurs, je vais agir comme tel et te renvoyer illico chez toi mais une question reste en suspens. Comment as-tu fais pour que cela cesse ? Car si j’en crois la tête que tu as fait dans le hall de l’accueil, tout cela était derrière toi ? Non ?
Moins de trois minutes. Il lui a fallu moins de minutes pour comprendre. Comment faisait-il ?
— En effet, tu as vu juste. Mais quitte à te décevoir, je n’ai rien fait, tout s’est arrêté du jour au lendemain sans que personne ne comprenne pourquoi. La suite, tu la connais. J’ai changé de vie et tu m’as recrutée.
Je hausse les épaules comme si ceci expliquait cela.
— Ok, dit-il en regagnant le fauteuil de son bureau, tout d’abord j’ai changé d’avis, tu ne vas pas rentrer chez toi.
J’écarquille les yeux, et fronce les sourcils. Avant même que je puisse dire quelque chose, je le vois pianoter sur son clavier, vitesse grand « V ».
— Je te prends une chambre dans un hôtel, non tu vas venir chez moi.
— Pourquoi ?
Il lève la tête comme si cela paraissait évident.
— Ma meilleure amie a des ennuis et je connais un inspecteur de police à Aix en Provence. Je vais lui demander son aide.
— Max, il ne trouvera rien et puis je suis assez grande pour me protéger moi-même. Je n’irais nulle part. Je ne me terrerais pas comme un animal effrayé.
Je m’apprête à retourner dans mon bureau. Il pointe un doigt en direction de la chaise me sommant de reprendre ma place.
— Reste ici, je reviens.
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