4 - La flamme de la foi s’éteint
La vie se déroulait paisiblement à Same. Inge poursuivait son propre chemin dans cette aventure qu'est la vie, tandis que d'autres n'avaient pas eu la chance d'en faire autant, comme son jeune frère. Parfois, elle se retrouvait seule sur la plage au crépuscule, fermant les yeux, joignant ses mains en une prière silencieuse pour Wellen. Elle espérait qu'il trouve la paix et le bonheur, où qu'il soit. À présent, il était en harmonie avec l'océan, une "honneur" selon les prêtres du temple de Mishra-La, mais cette idée suscitait la colère en Inge. Pour elle, c'était une injustice de plus parmi tant d'autres. Le dieu de l'Océan avait pris un être cher, et si cela persistait, son ressentiment envers lui ne serait plus un simple déplaisir, mais une haine profonde, intense, au point de le défier en personne, de lui faire comprendre que ses actions étaient loin d'être justes, de le confronter en duel, voire de le défier à la mort. Car affronter un dieu n'était pas une entreprise légère, bien différente de l'attaque d'un crocodile de mer ou d'une murène.
L'adolescente s'occupait à ranger sa chambre, mais ses pensées sombres la faisaient paraître bien plus mature que son âge de seize ans. C'était trop tôt pour envisager de tuer un dieu. La voix douce d'Algen la tira de ses réflexions.
"Inge ? Tu peux venir s'il te plaît ?"
Abandonnant ce qu'elle faisait, Inge rejoignit sa mère dans la pièce principale de la maison. La santé d'Algen s'était détériorée depuis la mort de Wellen. Elle avait de plus en plus de difficultés à se déplacer et à se nourrir. Récemment, elle ne sortait plus de la maison et passait ses journées à l'intérieur. Inge savait ce qui se profilait, quelque chose qu'elle redoutait. Car sa mère n'attendait que la mort pour rejoindre enfin son fils sous la mer, emportée par les prêtres de Mishra-La. Inge avala difficilement sa peur et demanda d'une voix neutre :
"Tu as besoin de quelque chose ?"
Algen hocha la tête en souriant avant de répondre :
"Est-ce que tu pourrais aller chercher ton père et ton frère sur la plage, s'il te plaît ?"
Inge sentit qu'il y avait quelque chose d'anormal dans cette demande, mais elle ne parvint pas à saisir quoi précisément. Elle se dirigea vers la porte, se retournant une dernière fois vers sa mère. Quelque chose ne tournait pas rond. Algen souriait toujours, mais son regard était empreint de mélancolie. L'adolescente déclara d'une voix ferme :
"Je reviens vite. À tout de suite."
Inge sortit de la maison pieds nus, foulant le sable chaud. Pour une raison qu'elle ne comprenait pas tout à fait, un pressentiment oppressant la poussa à courir. Elle voulait que son père et son frère rentrent à la maison au plus vite. Elle longea le rivage en courant comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, et mit de longues minutes à retrouver sa famille. Haletante, elle attrapa le bras de son père et le secoua avec une angoisse presque palpable. Elle articula d'une voix haletante :
"Maman veut que tu rentres à la maison, et Strom aussi."
Ufer, le visage impassible, hocha simplement la tête. Il fit signe à Strom, qui était quelques mètres plus loin, de ranger leur équipement de pêche. Ensemble, ils se dépêchèrent de retourner à la maison.
Lorsque Inge entra dans la maison, elle poussa un soupir de soulagement. Sa mère était toujours là, assise dans son fauteuil, une couverture sur les genoux. Un petit sourire apparut sur le visage de l'adolescente. Elle s'était inquiétée pour rien. Accompagnée de son père et de son frère, elle se dirigea vers sa mère en annonçant simplement :
"C'est nous."
Mais il n'y eut aucune réponse. Algen ne se tourna même pas vers eux, ce qui était inhabituel. Strom et Ufer déposèrent leur équipement dans un coin de la pièce, le père demandant à sa femme sur un ton habituel :
"Pourquoi voulais-tu que nous vienne, Algen ? Il nous reste encore beaucoup de travail, et les poissons ne vont pas se pêcher tout seuls, tu sais."
Le silence de la mère surprit son mari, et il s'approcha d'elle, posant sa main sur son épaule, la secouant doucement.
"Algen ?"
De l'autre côté de la pièce, Inge se figea. Son cœur battait à tout rompre. Lorsqu'elle comprit, elle maudit Mishra-La de tout son être.
Ils étaient quatre sur la plage ce soir-là, contemplant l'horizon, certains murmuraient des prières. Inge, Strom, leur père et le prêtre qui avait emporté Algen dans les profondeurs de l'océan. L'adolescente écoutait sans vraiment entendre les paroles du prêtre qui se voulaient rassurantes. Une colère sourde la rongeait à chaque mot prononcé par le prêtre. Elle avait l'impression désagréable qu'il se moquait d'elle, que Mishra-La se jouait d'eux, de leurs malheurs, de tout ce qui pouvait arriver à Same. Cela pouvait être vrai, ou complètement faux, mais Inge n'était pas en état de réfléchir avec lucidité. Il n'y avait qu'une colère inextinguible qui brûlait en elle à cet instant. Elle ne priait pas, fixant la surface de l'eau, une lueur de détermination dans les yeux. Elle frissonna lorsque le prêtre posa sa main sur son épaule et lui adressa un sourire.
"Ta mère repose maintenant auprès de Mishra-La. C'est un grand honneur..."
Inge haussa les épaules, répliquant sèchement :
"En quoi est-ce un honneur ? Elle avait mieux à faire en restant avec nous plutôt que d'aller dans les bras d'un dieu qui se soucie peu des mortels."
"Tu blasphèmes, jeune fille. Je doute fort que Mishra-La..."
"Un véritable dieu n'aurait pas laissé ce genre de chose se produire. Il ne prendrait pas des femmes et des enfants alors que leur famille en a encore besoin. Mishra-La n'est qu'un menteur !"
Elle avait craché son venin au visage du prêtre avant de quitter la plage pour retourner à la maison. Inge se précipita dans sa chambre, s'emmitouflant dans sa couverture. Le visage enfoui dans l'oreiller, elle laissa éclater les larmes de colère et de chagrin.
Annotations