Chapitre 7 Nikita
Six ans plus tard
Las Vegas, Octobre deux mille dix-huit.
« ♫♪ une chanson douce que me chantait ma maman...♫♪ »
Je fredonne toujours le même air depuis six ans maintenant, mais je ne vais plus le fredonner longtemps. Je sens que mes forces s'amenuisent de jour en jour. Je refuse désormais le pain imbibé d'eau que mon geôlier me porte. Je veux quitter cette terre et plus vite ce sera fait mieux ce sera... j'en ai marre de me battre pour vivre. Vivre pour qui ? Pour lui ? Pour qu'il puisse continuer à me torturer ? Vivre pour satisfaire ses besoins pervers ? Non, si je ne le fais pas pour moi, alors je ne le ferai pas pour lui... Dix semaines, dix semaines que je suis renfermée dans cette cellule avec pour seul vêtement, un jeans élimé et un sweat bien trop grand. J'ai les pieds gelés, le corps gelé même mon âme est glacée. Je navigue entre deux eaux. Je suis là puis plus là... revis ma vie d'avant encore et encore... je suis dans un abîme, un trou noir où les bruits environnants n'ont plus d'impact sur ma conscience. Je ne me lève même plus de ma paillasse pour faire pipi, je ne peux plus. Je suis donc trempée. Cela a un avantage, les gardes n'essaient pas de profiter de mon corps lorsque Russell s'absente. J'y ai échappé de peu mais quand je me suis urinée dessus par peur d'être violée par ces enfoirés, cela les a calmés.
Russell s'est lassé de moi, je devrais être contente après toutes ces années de souffrance. Dès qu'il me prenait, je mimais une poupée de chiffon, c'est ce qu'il voulait après tout... une poupée. Je ne faisais aucun geste, n'émettais aucun son, qu'il soit violent avec moi ou pas, je m’étais construit une muraille où la douleur n'existait pas... Où mon corps n'était qu'une enveloppe vide... je me plongeais dans un état de semi-conscience, entre rêve et réalité.
Pour me punir de cet état, il a décidé de me le faire payer et quoi de mieux que le fouet mais malheureusement pour lui, j'ai appris à gérer ses coups, à me concentrer assez pour imaginer que je ne suis pas ce bout de viande, qui pend au bout d'une chaîne.
Il ne l'a pas supporté, ne plus avoir le contrôle, ne plus me faire hurler, ne plus pouvoir entrer dans ma tête et lire les émotions dans mes yeux. Il a réalisé que j'étais partie...et n'a pas trouvé d'autres solutions que de me laisser mourir dans cette cage. Il vérifie de temps en temps si je reviens, si cet état n'est pas qu'une simulation. Il pense qu'en me nourrissant de pain et d'eau, je finirais par me rebeller, mais le pauvre s'il savait que pour moi, la mort sera mon eldorado, après tout, c'est ce que veut Caleb, me renvoyer dans une boite... et bien patience... le jour arrive.
Un bruit finit quand même par me sortir de mon état léthargique, un bruit de tintement de ferraille. Une clef que l'on tourne. Je suis dans la pénombre sur ma paillasse, dans le coin du mur à la tête du lit. Assise, les bras autour de mes jambes. J’arrête mon balancement ainsi que le fredonnement de ma chanson préférée, celle que maman me chantait pour me bercer. Elle me fait partir dans un autre monde de gaieté, de beauté... d'insouciance. Je relève simplement les yeux, ne bougeant aucune partie de mon corps pour qu'ils ne se rappellent pas de ma présence. Je ne suis qu'une ombre, un fantôme. Ils ne font plus attention à moi de toute façon. Deux hommes de Caleb entrent en traînant un corps derrière eux, le soutenant par les bras. Ils le jettent sur le matelas à côté du mien.
— Tiens, tu vas avoir de la compagnie ! rient-ils.
Je ne dis rien et les regarde attacher les poignets et les chevilles du prisonnier. Je n'ai pas encore vu son visage. Leurs corps me cachent la vue. Une fois qu'ils ont fini, ils ressortent et referment derrière eux sans plus de paroles à mon égard. Bande d’abrutis. J'attends qu'ils soient hors de ma vue pour me rapprocher. Contrairement à la personne allongée sur ce lit, je ne suis pas enchaînée. A quoi cela servirait de toute façon, je ne suis pas un danger pour eux, je n'ai même pas la force de marcher. Je glisse doucement de ma paillasse, prenant appui sur cette dernière. Je tends la main pour attraper le cadre en fer de sa couche et une fois en main, extirpe mon corps pour m'approcher du sien. C'est une femme, elle est belle, même dans la pénombre. Elle a l'air d'avoir dégusté. Je vois un bandage à son épaule droite. Elle est inconsciente, ils ont dû lui donner quelque chose. Je passe mes jambes sous sa tête et commence à lui caresser le cuir chevelu, pour qu'elle revienne doucement à elle. Elle s'est certainement faite enlever comme moi. Peut-être est-ce ma remplaçante, tout compte fait peut-être que ma mort ne sera pas naturelle et qu'ils vont accélérer le processus. Oh, si seulement cela pouvait être vrai. Partir vite, mais avec eux, ce ne sera jamais vite, ils vont prendre leur temps, me faire souffrir. C'est pour cela que j'ai arrêté de m'alimenter, en prévision d'une fin beaucoup plus horrible. Je préfère souffrir de douleurs dues aux manques d'alimentation, plutôt qu'entre leurs mains. Je sais de quoi ils sont capables.
Quelques heures plus tard, je présume, n'ayant plus aucune notion du temps dans cet endroit. J'entends la porte de la cave s'ouvrir et des pas descendre les escaliers. Caleb ! cette pourriture, ce chien galeux ... mon oncle... Il me regarde avec un rictus sur les lèvres.
— Alors ma nièce toujours parmi nous ? Décidément tu es coriace, l’on m'a rapporté que tu ne voulais plus t'alimenter. Et oui, je sais tout. Tu croyais quoi ? Que je ne m'apercevrais pas que tu jetais ta nourriture. Soit, c'est toi qui vois, Russell n'en a pas encore fini avec toi, tu sais. Tu devrais quand même garder quelques forces pour assouvir ses besoins, il revient dans deux jours. Je pense qu'il sera en manque de toi, ça fait longtemps qu'il ne s'est pas enfoncé dans ta chatte. Il m'a dit qu'il avait l'impression de baiser un cadavre, donc il est parti chercher de quoi te donner quelques poussées d'adrénaline. Tu vas voir, rien de mieux que quelques injections dans le cœur pour ressusciter un mort, rit-il en me faisant un clin d'œil. Tu sais, ils injectent cela pour les arrêts cardiaques ! Ah, je vois que tu commences à comprendre. Ce qui ne te tue pas, te rend plus fort, n'est-ce pas ?
Je ne réponds pas mais imagine sans mal le calvaire qui m'attend. Pourvu que la mort me cueille avant. Je pense qu'il va falloir que je passe aux choses sérieuses et m'entaille les veines dès qu'il aura le dos tourné. Je ne peux pas me permettre d'attendre, plus maintenant, je n'ai plus le temps... deux jours... il a dit deux jours... le temps que le sang quitte mon corps, je serais loin avant qu'il ne revienne. Je ne sais pas quelle heure il est, mais c'est maintenant ou jamais.
Je vais pour retirer la tête de la jeune femme de mes genoux, quand celle-ci se relève brusquement.
— Aïe ! geint elle en se la maintenant.
Elle est prise d'une nausée, vomissant sur le sol. Au point où nous en sommes, un peu plus ou un peu moins, cela ne changera rien.
— Bienvenue chez toi, lui dit Caleb de derrière les barreaux.
Je ne l'avais pas entendu revenir.
— Caleb... murmure t'elle.
— Oui ma douce, tu es enfin réveillée ? Nous allons pouvoir commencer dès ce soir les festivités. Je viendrai te chercher vers vingt heures, dit-il en regardant sa montre. J'ai appelé mon meilleur client dès que nous avons posé les pieds sur le sol de Las Vegas et devine ? Il était complètement excité en apprenant que j'avais un petit bijou à lui proposer. Une vraie chienne avec laquelle il va pouvoir faire mumuse pendant quelques heures. Il sera là à vingt-deux heures. Je viendrai te chercher personnellement pour te préparer à cet évènement. Il va sans dire que je ferais en sorte, que tu n'es pas toutes tes facultés cognitives. Il ne faudrait pas que tu abîmes mon meilleur client. Il aime le bondage et le sadomasochisme, cela devrait te plaire, tu m'en diras des nouvelles ma douce.
— Espèce d’enfoiré ! crie t'elle, tu me dégoûtes, tu n'es qu'un sale porc et tu mourras comme un porc entre les mains de mon homme !
— Oh ne rêve pas trop jeune fille, jusqu'à présent il n'a jamais réussi à me trouver, dit-il en partant dans un grand rire.
— Parce qu'il ne te cherchait pas espèce d'enfoiré, de psychopathe mais maintenant c'est différent, tu es devenu sa cible numéro un. Je le regarderai t'égorger comme un porc ! crie t'elle hors d'elle
— Ne parle pas de ce que tu ne connais pas ma douce. J'ai un avantage sur lui, il ne me connaît pas.
— Argh ! hurle t'elle en s'agrippant les cheveux avec ses mains entravées.
— Une dernière chose ma douce, je te laisse en agréable compagnie mais ce sera une compagnie bien silencieuse, je l'avoue.
Et il repart comme il est venu, en riant à gorge déployée. J'en ai profité le temps de leur échange verbal, pour me recroqueviller dans mon coin et me faire de nouveau oublier.
— Bordel ce n'est pas vrai ! pleure t'elle.
Je n'ai pas le temps de lier connaissance. J'ai une nouvelle mission maintenant, quitter cette terre et rapidement. Je ne dois pas me laisser distraire par qui que ce soit. Je sens quelques choses d'humide me tomber sur les mains. Mes doigts effleurent ce liquide clair, cela ressemble à de l’eau, pourtant il n'a pas l'air de pleuvoir ? Tiens encore une goutte ? Je porte ma main vers l’endroit d’où proviennent ces petites perles transparentes, je sens mes joues humides, qu'est-ce que...? Je m’aperçois alors que ma vue est trouble, je comprends alors que mes yeux ont dû laisser échapper des larmes que je pensais tari, mon nez se met également à couler... je renifle... mince... elle m'a entendue.
— Qui est là ? dit-elle.
Je ne dis rien, je reprends ma position en enserrant mes genoux avec mes bras et sans pouvoir me retenir, je fredonne de nouveau les paroles de ma chanson.
— Qui est là ? répète t'elle, Daisy ? C'est toi ?
Je me stoppe net. Elle me connaît ? Cette voix... elle me rappelle quelque chose... c'est loin dans mes souvenirs mais...
— Oh mon dieu Daisy que t'a t'il fait ? N'aie pas peur, tu sais que je ne te ferais pas de mal ?
Oui, j'imagine qu'elle ne me fera pas de mal, parce qu’elle est attachée, donc je ne risque absolument rien. Bon, cessons de tergiverser, j'ai autre chose à faire de plus important, elle me déconcentre là, il faut que je réfléchisse et vite ! Où trouver quelque chose qui soit assez tranchant pour m'entailler. J'aurais dû chercher avant au lieu d'attendre que la mort frappe à ma porte. J'ai perdu trop de temps.
— Pourquoi t'a t'il enfermé dans ce trou à rats et depuis combien de temps ?
Je crois bien qu’elle ne me laissera pas tranquille. Que me veut-elle ? Nous ne serons pas assez longtemps sur cette terre pour devenir amies, alors qu'elle me fiche la paix.
— Dis-moi, combien de temps ?
Elle persiste. Je peux au moins lui montrer le mur où j'ai inscrit mes petites barres à chaque lever de soleil. Je lui désigne le mur en détournant la tête et en la relevant vers le mur. Elle a compris ... génial... elle va pouvoir passer à autre chose. Si je ne réponds pas, elle va bien finir par se lasser non ?
— Dix semaines, c'est ça ?
Bravo, Sherlock ! Je lui fais un hochement de tête et reprends mon refrain... il me calme... me fait repartir dans une autre sphère où je m'envole... mais non ce n'est pas vrai, il faut qu'elle continue à me parler ...Qu'est-ce que j'étais bien seule... dans le silence... pitié... qu'elle me laisse accomplir mon dernier devoir... celui de partir quand je le décide.
— Nous allons nous en sortir Daisy, je suis sûre qu'il va nous retrouver et je te promets que je ne t'oublierai pas cette fois-ci derrière moi. Je n'ai plus dix-huit ans, je ne suis plus sans défense, je vais le buter ce pourri même les mains et les pieds attachés, il ne s'imagine pas ce dont je suis capable. Daisy regarde-moi, je vais nous sortir de là ! Même si je dois y laisser la vie, je sauverai la tienne. Je ne veux plus être son esclave, je préfère me battre à mort pour que tu es le temps de fuir.
Ça y est, je la reconnais ! C’est Sandie ! La fille qui me parlait derrière la porte. Elle avait dit qu'elle enverrait des renforts. J'ai toujours cru qu'elle était morte. Sa mère a été tuée par Caleb, les filles ont parlé, je les ai entendues, il lui aurait tranché la gorge. Je pensais qu'elle faisait partie des victimes ? Mais qui veut elle sauver ? Personne ne peut nous sauver et je suis comme elle, je préfère mourir plutôt que de retomber dans les mains de Russell.
Mes pensées sont interrompues par des pas qui dévalent les escaliers. Caleb se précipite sur la porte de la cellule pour la déverrouiller, et avant que Sandie ait le temps de dire ou de faire quelque chose, il lui balance un coup de poing dans la pommette. La pauvre, elle est assommée d’un direct du droit. Il est vrai qu’il a pris son élan. Un cri a retenti mais ce n'était pas le sien, j’ai comme l’impression qu’il provenait de ma gorge... un son caverneux.
— Caleb ! Lâche-la !
Cette voix ! mon dieu cette voix... non... je dois rêver... ce ne peut pas être ça... je dois être encore entre mes deux mondes... je confonds le présent et le passé... je ne suis vraiment plus dans mon état normal... Je fixe ma paillasse et me balance en silence... je ne suis plus dans cette cage... je suis loin... au bord de la piscine... nous jouons avec Falco... oui Falco... mon ami... mon amour interdit... il m'a quitté... par ma faute.
— Allez les amoureux, il faut que nous bougions d’ici avant que la bleusaille ne débarque. Tomy, Léo ! chargez-vous du colis.
HEIN ? STOP... je deviens folle... j'entends sa voix maintenant... STOP... que tout cela s'arrête par pitié.
J’ai posé mes mains à plat sur mes oreilles pour ne plus rien entendre. Je reprends mes balancements.
— Attends ! Attends ! je ne pars pas sans elle ! dit Sandie.
Le son traverse quand même !
— Daisy ! S'il te plaît, sors de l'ombre. me dit t'elle.
Je retire mes mains, regarde vers Sandie puis décide de me pencher vers la lumière, mes jambes ont du mal à supporter mon poids pour sortir de ce coin.
— Non ? dit-il doucement. Ce n'est pas possible... Nikita ?... Nikita... c'est bien toi ? Nini ma petite perle, tu es là ?
Mon frère ?
— Chris... mon frère... réponds-je dans un murmure.
J’observe mon frère en penchant la tête sur le côté, essayant de comprendre si je suis dans un rêve ou dans la réalité. Je suis surtout dans une incompréhension totale, que fait-il ici ? Est-ce une illusion ? Je vois des larmes ravager son joli visage. Il n'a pas tellement changé... c'est bien mon frère, je ne suis donc pas dans un rêve. J’en ai la certitude lorsqu'il me soulève dans les airs, me faisant tournoyer comme lorsque j'étais petite, m'embrassant sur les paupières, les joues, le nez, tout y passe. C'est mon frère... c'est bien mon frère... mon dieu... moi qui ne croyais plus avoir de larmes... elles dévalent, j'ai un gros poids qui quitte ma poitrine, comme si l'air était resté coincé dans mes poumons et qu'il avait décidé de sortir d'une seule traite, écartant ma cage thoracique à m'en faire mal, un hoquet de chagrin sort du tréfond de ma gorge, je ne peux plus rien retenir, je m'effondre littéralement.
— Oh merci mon dieu ! je t'ai enfin retrouvée, me dit-il les larmes pleins les yeux.
— Ghost ! l'interpelle un homme d'une voix sèche qui m'oblige à me détourner de mon frère qui me tient toujours dans ses bras.
Je n'ai pas encore pu lui dire quoique ce soit, les mots ne veulent pas franchir mes lèvres, peut-être est-ce dû à un trop long silence.
— Qu'est-ce... bon sang Sandie ! crie t'il. Il s’approche de l’homme me déposant doucement au creux de ses bras.
Falco ? Il est en vie ? Je croyais... je pensais... pourtant... je l'ai vu ... sur le goudron... tout ce sang ?
Mes doigts vont lentement à la rencontre de son visage, hésitants puis se posant. Je veux m’assurer que mon cerveau ne me joue pas un mauvais tour. Je sens la chaleur de sa peau sur la mienne, ce n’est pas un rêve, il est bien là.
— Nini, dit mon frère doucement, Falco va prendre soin de toi le temps que je m'occupe de Sandie d'accord ?
Je hoche la tête encore en état de choc. Je suis dans les bras de mon frère de cœur, mon ami... mon amour... car durant toutes ces années, alors que j'avais cru l'avoir perdu sur cet asphalte, j'ai compris qu'il avait été mon premier et dernier amour.
— Je te la confie mon pote, prends soin d'elle, continue mon frère.
— Tu peux compter sur moi, lui répond Falco.
Il resserre son étreinte, me serrant contre sa poitrine. Je sens chacun de ses doigts, la pression qu'il exerce sur ma peau devrait me faire mal, pourtant cela me rassure. Il est en vie, je le sens dans ma chair. Il m'embrasse sur le front, me chuchotant à l'oreille,
— Bon retour parmi nous ma puce, me dit-il les yeux humides.
Ces simples mots provoquent en moi un tsunami d'émotions. Des sanglots douloureux explosent dans tout mon être... il est vivant... mon dieu... il est vivant... j'enroule mon bras autour de son cou, niche mon nez contre son torse puis me repais de son odeur. Je me soude à son corps, ne voulant plus le lâcher.
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