Chapitre VII
A la sortie de l’autoroute, j’ai bien cru qu’Harmonie allait tomber dans les pommes. Elle transpire à grosses gouttes, le visage livide, sans un mot, concentrée exclusivement sur l’intensité de sa douleur. Je diminue la vitesse pour éviter les cahots qui à chaque secousse, lui arrache un petit cri plaintif.
- On arrive dans dix minutes. Vous allez tenir ?
D’un signe de tête, elle me fait comprendre que ça devrait aller. Je ne peux qu’admirer sa force, sa résistance et sa pugnacité. Elle se tient l’avant bras d’où s’échappe toujours quelques gouttes de sang qui sont venues imbiber le linge que je lui ai donné. La tâche vient maintenant s’épancher sur son polo noir, provoquant une auréole déjà conséquente. Je crains l’hémorragie et la blancheur de son visage m’angoisse. Pourtant, je veux rester calme et rassurant. Inutile de l’inquiéter outre mesure. De plus, j’ai la ferme intention de la déposer à l’hôpital et une fois entre de bonnes mains, reprendre ma route. J’ai déjà cumulé un retard de deux heures sur l’horaire initial et même si je ne suis pas pressé, ça commence à bien faire.
Aux urgences, une infirmière a jeté un coup d’œil rapide sur la blessure d’Harmonie et lui a désinfecté la plaie à mi-hauteur sur son bras.
- Le chirurgien va remettre tout ça en place et vous serez bonne pour un bon vieux plâtre. Ne vous inquiétez pas, c’est beaucoup plus spectaculaire qu’il n’y paraît mais ce n’est pas grave. Dans deux mois, on n’y verra plus rien. En attendant, je vais vous poser une atèle pour vous soulager.
Harmonie ne dit rien. Elle me regarde avec des yeux de cocker battu. Je me demande ce qu’elle pense. J’ai mal pour elle. Je n’aime pas voir la souffrance et encore moins dans le regard d’une femme. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve que c’est encore plus affligeant, plus déstabilisant que chez un homme.
- Vous êtes ensemble ? demande l’infirmière.
Harmonie hoche la tête affirmativement tout en me dévisageant, comme si elle voulait recueillir mon adhésion. Je lui souris et je la sens de suite rassurée, soulagée et beaucoup plus détendue. En même temps, je vois venir le piège dans mes résolutions, moi qui avait l’intention de m’éclipser à la première occasion, j’ai idée que ça risque d’être plus compliqué que prévu.
- Je vais devoir découper son polo. Les manches sont trop serrées et ce sera moins douloureux que d’essayer de le lui retirer et de toute façon, il sera inutilisable par la suite. Vous pourriez aller lui chercher un autre vêtement ?
- Euh, je n’ai que des polos et je n’ai rien en dessous de celui-ci lâche Harmonie avec anxiété.
Je comprends que je n’ai pas d’autre solution que de suppléer à l’urgence de la situation. J’ai bien quelques chemises qui feront l’affaire. Je vais en sacrifier une.
Dans le coffre de ma voiture, j’extirpe de ma valise une chemisette blanche pas très longue. Ça devrait lui aller. Les manches sont suffisamment larges pour que l’atèle puisse passer. De retour au service des urgences, l’infirmière a mis en lambeau le polo et elle nettoie consciencieusement le sang séché sur le corps d’Harmonie. J’aperçois l’instant d’un regard, sa poitrine qu’elle tente de masquer d’une main maladroite ; des seins petits, tout ronds, très jolis, d’une tenue magnifique, qu’on devine fermes à souhait. Je ne m’attarde pas, conscient du malaise de ma passagère devant sa semi-nudité. Je tends la chemisette à l’infirmière lorsqu’un bip retentit dans la salle.
- Je vous laisse la lui mettre. Je reviens tout à l’heure.
Je me retrouve devant Harmonie, presque aussi gêné qu’elle. Sa peau bronzée dénote de façon criarde avec celle qui n’a pas vue l’astre solaire depuis des lustres. On dirait que son corps est vêtu de soleil tant le contraste est flagrant. Au milieu de sa poitrine, deux îlots perdus, des mamelons, jolis admirablement dressés qu’elle essaye de préserver de mon regard.
- Je suis désolée, confuse. Le détour par l’hôpital, votre chemisette, et maintenant m’habiller comme une gamine. Je ne voulais pas vous infliger tout cela.
- Comme punition, il y a pire Harmonie. Levez doucement votre bras. Oui comme cela. On va passer l’atèle par la manche. C’est bon ? Je ne vous fais pas mal ?
- Non vous êtes très délicat, très attentionné. Ça va, c’est passé.
- L’autre bras maintenant. Et voila le travail. Je vous mets quelques boutons. Elle vous va très bien et vous serez à l'aise. Un peu ample mais c’est ce qu’il vous faut.
Le tissu est venu émoustiller la pointe de ses seins qui se sont violemment révoltés sous l’étoffe peu épaisse de la chemise. J’évite de poser mon regard sur ces formes audacieuses et attirantes pour ne pas la gêner davantage.
- Elle est toute douce et elle sent bon. J’adore. Merci. Merci beaucoup Patrick. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans vous.
C’est la première fois qu’elle m’appelle par mon prénom ce qui intensifie encore plus mon malaise.
- Harmonie …
- Oui Patrick ?
- Harmonie, je… Je vais vous laisser ici.
- Vous allez partir... Maintenant ?
- Oui, je vais poursuivre ma route. De toute façon, vous êtes presque arrivée. Paris n’est plus qu’à une vingtaine de kilomètres. Je vous laisse un petit billet pour rejoindre la capitale par les transports en commun lorsque vous aurez été soignée. Avec ça, ça devrait aller.
- Je comprends. Après, je n’ai pas de destination précise. A Paris, je n’ai aucune attache. J’ai dis Paris parce que ça semblait plus logique mais ça aurait pu être n’importe qu’elle autre ville. J’aurai accepté tout autant. OK, Patrick. je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Je vais me débrouiller toute seule mais c’est dommage, je commençais à bien vous apprécier.
- Je vous ai aussi appréciée Harmonie, contrairement à ce que vous pourriez penser.
- Oui... mais vous partez quand même. Vous allez où exactement ?
L’infirmière passe la tête par la porte à double battants.
- Le docteur va vous recevoir.
Harmonie se lève en s’apprêtant à me faire un signe d’adieu.
- Vous pouvez venir vous aussi, c’est souvent préférable d’être à deux. Une fois plâtrée, elle aura besoin de vous, surtout au début, le temps qu’elle prenne ses marques.
J’hésite. Les mots se bousculent dans ma tête faisant fondre toutes mes résolutions comme neige au soleil. Harmonie ne va pas à Paris. Elle va n’importe où et n’importe où, c'est selon toute évidence dans la rue, sous un pont, dans les couloirs du métro, avec un plâtre sur le bras, ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique. Je suis indécis et ma conscience interroge ; "Est-ce réellement ton problème ? Patrick, tu ne peux pas toujours sauver le monde. Elle est bien ici. Tu peux partir sereinement". Pourtant j’ai cette désagréable impression que le destin pousse fortement derrière moi et pas dans le sens où je l’aurais souhaité. Je me sens impuissant face à cette pression imperceptible qui se joue de mes pensées, de mes décisions, de mes contraintes. Je me sens faiblir et je suis probablement faible. Il faut que je me reprenne.
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