Chapitre XIV
L’atterrissage sur Bastia est toujours impressionnant surtout lorsque l’avion plonge sur les montagnes. Harmonie est crispée, presque tétanisée. Elle se blottit avec force tout contre moi et j’adore. Avec elle, je me sens invincible.
- T’es sûr qu’on va pas s’écraser ?
- T’inquiète, dans cinq minutes on est sur le plancher des vaches.
- On s’est posé ?
- Oui, maintenant tu n’as plus rien à craindre. On vient de s’envoyer en l’air tous les deux. C’est trop rigolo, tu ne trouves pas ? Dis-je avec une pointe d’humour.
- Je ne vais pas te cacher que ce n’est pas tout à fait comme cela que je voyais la chose.
- Et tu voyais ça comment ?
Harmonie sourit de façon plutôt espiègle. On quitte nos sièges pour se noyer dans le flot des voyageurs, direction la sortie. Dans l’aérogare, derrière les portes coulissantes, deux gendarmes scrutent les passagers un à un. La main qui tient la mienne tressaille.
- Merde ! Des flics.
- Ben quoi ! Ils surveillent ceux qui débarquent.
- Oui mais je ne les aime pas.
On regagne ma voiture que j’ai laissée au parking ce matin. Le soleil est encore haut dans le ciel. Il fait chaud, avec une chaleur océanique bien agréable. Sur la route, je pose une main sur la jambe d’Harmonie, à la frontière de sa robe noire. Elle me jette un regard trop malicieux.
- Tu sais que je n’ai pas de culotte ?
- Parce que tu crois que j’ai oublié peut-être ?
- Mais, ce n’est pas une raison pour aller revérifier.
- J’avais quand même un gros doute.
- Rassuré maintenant ?
- Ça peut aller et je ne me suis même pas fait mordre pour te dire mais je ne suis pas certain d’avoir bien vérifié partout.
- J’hésite entre goujat et coquin et j’aurai tendance à prendre le premier même si j’adore le deuxième. Tu peux t’arrêter là dans le petit chemin, J’ai envie d’aller me baigner.
- Tu es folle, on n’a pas de maillot de bain, pas de serviette...
- Et c’est important ?
- Non ! mais ton plâtre si.
- On fera attention. Allez vient. C’est trop tentant et ce décors, je ne m’en lasserais jamais.
Je raffole lorsqu’elle est comme ça, enjouée comme une enfant, le désir dans la peau, le rêve dans sa réalité. C’est fantastique et réconfortant parce qu’en même temps je prends d’un seul coup vingt ans de moins et hors de question de laisser échapper pareille opportunité.
En bordure de mer, très peu de monde. L’endroit est plutôt désert pour la saison. Harmonie m’entraîne en me tirant par la main, un sourire énorme sur les lèvres. Je la suis avec difficulté, mes chaussures de ville se remplissant de sable au fur et à mesure que nous progressons sur la plage.
- Ici, il n’y a personne. Vite dépêche-toi. J’ai trop envie. Aide-moi à retirer ma robe.
Je me déshabille moi aussi et le bonheur s’affiche sur son visage. Heureuse d’être là, émue de découvrir la magnificence derrière chaque rocher, oubliant nos nudités respectives, focalisée sur la beauté du paysage.
- Tu viens ?
Les pieds dans l’eau, quelques vaguelettes épuisées par une journée de labeur incessante, je la porte au dessus des vagues paresseuses pour la déposer délicatement dans l’eau. Elle éclate de rire.
- Qu’est-ce qui est si drôle ?
- Je sens ton sexe contre mes fesses et il est loin d’être inoffensif. Montre-moi un peu pour voir, j’ai pas fais gaffe tout à l’heure.
Un blanc, un silence appuyé, un regard amusé et surtout gourmand. Je suis inquiet. C’est la première fois que je suis nu devant elle et bizarrement, je me sens ridicule.
- Mazette ! Je crois que je ne vais pas me faire prier. En remontant, il faut absolument penser à acheter des capotes sinon c’est ceinture pour cette nuit et franchement, avec ce que j’ai devant les yeux...
- Tu es indisposée ?
- Non, pas du tout. Mais tu sais, dans la rue, quand tu te retrouves obligée, tu ne sais jamais avec qui et c’est toujours sans protection alors je préfère prendre mes précautions vis-à-vis de toi. Tu comprends ?
- Tu as été violée ?
- Violé, disons que c’est un bien grand mot. Abusée oui, ça m’est arrivée. En dix ans, il se passe beaucoup de choses qu’on ne maîtrise pas entièrement. Après, on a le choix, soit de se jeter sous un train soit de relever la tête. La première fois, ça a été plus dure que les autres et après, je me suis en quelque sorte habituée, un blindage que tu te fabriques pour éviter de péter les plombs. J’ai toujours été convaincue que le train, ce n’était pas la bonne solution.
- Je t’emmènerai voir un médecin si tu veux.
- Il n’y a pas d’urgence Patrick. On verra plus tard. Tu m’accompagnes plus loin dans la mer ? Je voudrais sentir l’eau tout contre mon minou pour voir l’effet que ça fait.
Je prends Harmonie par la main et ensemble on avance dans les vagues. Je suis hébété par sa force de caractère. Rien ne semble réellement l’affecter. Elle prend tout ce qui s’offre à elle sans même rejeter ce qu’elle pourrait craindre, acceptant l’insupportable comme une fatalité. Je me sens petit, banal, pas réellement à la hauteur de cette femme si particulière, si forte, capable de me sortir de mes préoccupations quotidiennes.
Le clapotis vient humidifier le sexe d’Harmonie et son visage rayonne de bonheur.
- Waouh c’est comme je l’imaginais. Enfin presque.
Elle se place face aux vagues, les jambes largement écartées, concentrée sur la houle qui accapare épisodiquement la pilosité de son pubis. Je la regarde ou plutôt j’admire ce minou qui dégouline après chaque vague laissant derrière lui des poils collés, agglutinés les uns aux autres pour mieux être dispersé par les suivantes, dévoilant parfois juste la naissance de son sexe. Elle me tend les bras et elle ferme les yeux.
- Embrasse-moi.
Nos lèvres se rencontrent. Je suis excité comme un cheval. Sa main valide posée sur mon sexe, elle me caresse avec une douceur extraordinaire, ce qui n’arrange rien.
- Tu aimes ?
- Beaucoup.
Au loin, des badauds nous observent avec insistance. On décide bien à regret de remonter sur la plage.
Dans la voiture, Harmonie me regarde en silence. Elle pose sa main sur la mienne et soudain...
- Une pharmacie là !
Je sursaute devant l’enthousiasme de ma passagère. Et aussitôt dit aussitôt fait, je sors de la boutique avec deux boites de préservatifs.
- Tu as pris des XXL j’espère ? Ce serait vraiment con s’ils étaient trop petits.
- Deux boîtes de vingts quatre mademoiselle, les plus grands qu’avait la pharmacienne.
- Tu serais pas un peu radin ? Avec quarante huit, je craints qu’on aille pas bien loin.
- Oh toi, je te sens bien prétentieuse.
- Avec ce que j’ai vu, je ne me fais aucun soucis pour ma libido. On arrive dans combien de temps…
- Dix minutes tout au plus ma chérie.
- J'ai hâte. C’est trop cool la vie avec toi Patrick. J’ose espérer que ça va durer plus longtemps qu’un simple séjour ou un petit week-end. Avant, tu sais, je me foutais un peu de tout et maintenant que tu es là, que je t’ai rencontré, que je goûte à plein de belles choses, je n’ai pas franchement envie que ça s’arrête.
- Tout ce que je peux te dire, c’est qu’avec toi, je vois tout différemment et quand je te vois croquer la vie à pleines dents, je n’ai qu’une envie, celle de te rendre encore plus heureuse. Pourtant j’ai bien conscience que tout nous sépare mais au-delà de ça, il y a quelque chose de beaucoup plus puissant qui m’attire en toi. Je suis incapable de te dire de quoi sera fait notre avenir mais je sais qu’avec toi j’ai envie d’essayer et non seulement j’ai envie d’essayer mais je voudrai aussi que ça marche et pour l’instant, je ne suis en rien déçu.
- Tu m’aimes alors ?
- Ça y ressemble fortement Harmonie.
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