Chapitre XIX

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Nos hôtes ont quitté la châtaigneraie tard dans la nuit. Christelle et Rémy, malgré les câlins appuyés des dernières minutes, un peu à l’écart des autres, résignés dans l’ivresse de leur rapprochement embryonnaire, un interminable baiser jeté avec fougue dans le brasier de leur passion amoureuse débordante, ils se sont séparés comme à regret avec la promesse de se retrouver sans trop tarder.

En montant en voiture, Mélanie et Aurore ont elles-aussi envisagées de ne pas en rester là, enthousiasmées par cette soirée improvisée et bien sympathique, le barbecue au bord de la piscine, un dernier bain nocturne pris en catimini avec les filles pendant qu’avec Harmonie, nous rangions tables et couverts avec une complicité joviale et enjouée.

Ma chérie est trop coquine et elle ne se prive pas pour me le faire savoir. Dans la cuisine, tout est prétexte à nous taquiner, nous frôler, nous caresser, nous bousculer sans jamais rien abandonner à l’autre, pas même une once de victoire et à ce petit jeu là, l’espièglerie de ma chérie n’a pas de limite. Son regard coquin et amusé, ses lèvres qui me taquinent, ses fesses qui échappent à mes mains possessives, son corps qui esquive toutes mes tentatives avec une grâce affolante. Inutile de dire qu’elle est toute aussi redoutable que désirable. J’admire son bonheur, sa joie de vivre, sa féminité qui abreuvent mes sens de tous les désir, de toutes les envies alimentant ainsi mes fantasmes les plus fous.

Christelle nous a quittés le cœur chagrin, préoccupée par la fragilité de cette liaison, trop lointaine, trop frêle, trop incertaine. Je ne l’ai jamais vue comme cela, heureuse et inquiète en même temps, elle qui affiche d’habitude un comportement plutôt léger et insouciant. Avant de quitter la Châtaigneraie, elle a soufflé quelques mots à l’oreille d’Harmonie, des mots secrets que seules les femmes savent apprécier vu le sourire très compréhensif de ma chérie et le tout petit baiser hautement réconfortant qu’Harmonie lui a déposé sur le haut de son front, juste à la naissance de ses longs cheveux châtains. Je n’en saurais pas davantage.

Caroline et Léa sont allées se changer pour la énième fois, toujours avec des tenues différentes, plus ou moins sophistiquées voire même parfois extravagantes mais de très bon goût et, sans restriction celles-ci invitent l'obscurité à châtier le voile éthéré de leurs désirs.

Les étoiles ne sont pas en reste. Elles ont, elles aussi noyé le ciel de leur parure éclatante illuminant tour à tour chaque coin de la nuit sans ménagement aucun et la voix lactée peine maintenant à se faufiler entre-elles. La brise s’est levée, légère, odorante, musquée avec un mélange terre mer remarquable, les oiseaux ont regagné leur nid et les cigales se sont tues. La main d’Harmonie est venue conquérir la mienne tout en douceur et sa bouche à peine intimidée par la modestie de mon sourire s’est innocemment permise de voler mes lèvres, encouragée par l’intensité de mon regard.

Mon cœur vacille, mon cerveau s’engourdit, ma peau se hérisse, tout mon corps est en émoi, conscient que bientôt, du sien, il ne fera plus qu’un et l’impatience prend le pas sur notre destinée amoureuse. Mes mains acquièrent de l’ampleur. Le désir est là, confiant, serein, léger mais plus pour bien longtemps car fébriles maintenant, mes doigts en veulent davantage ; son corps, ses seins, ses fesses, sa bouche, ses oreilles, je ne veux rien perdre de son anatomie et tout savourer en même temps. J’ai hâte mais surtout je veux prendre mon temps. Elle est belle, délicieuse, exquise et je veux admirer son regard capricieux, sa gourmandise joyeuse, sa volupté merveilleuse. Je veux la prendre dans mes bras, la soulever de terre, l’emmener dans mon cocon magique, celui qui me fait toujours rêver et, rêver avec elle, c’est encore plus somptueux que lorsqu’elle habille mes nuits les plus osées. Je veux goûter sa salive, je veux sentir son souffle, je veux sentir sa chaleur, je veux savourer le goût de sa peau partout où ma langue pourrait s’immiscer. Je la veux maintenant et …

- Papa ?

Eh merde !

- Oui Caroline.

- Tu pourrais nous emmener sur la plage ? Se coucher maintenant, c’est juste insoutenable, impossible. Avec Léa, on a envie d’aller marcher sur le sable, profiter encore de cette soirée si agréable, savourer la fraîcheur de la nuit. Tu veux bien ?
- Euh Caroline, il se fait tard. Demain, si tu veux…

Le yeux pétillants , Harmonie se retourne vers moi, presque implorante

- Je trouve que c’est une très bonne idée. Moi aussi j’ai envie de me dégourdir les jambes, marcher tous ensemble dans les vagues, sur le plage et puis Christelle m’a fait découvrir ce matin un très joli petit coin, secret, un véritable trésor d'intimité derrière les rochers. Je suis sûre que vous ne le connaissez pas. Si vous voulez bien, je vous y amène.

Le visage d’Harmonie est tout sourire. Impossible de résister. J’avais pourtant en tête d’autres velléités, obligé de mettre en sourdine cette passion dévorante, réfrénant l'attirance du corps et de l'esprit vu les circonstances. Je sens Caroline médusée, déstabilisée, presque prête à faire marche arrière mais elle se rend compte qu’il est très compliqué de se soustraire à sa propre demande. Je comprends aussi que rien n’est encore réellement acquis, le naturel ayant l’espace d’un instant repris le dessus.

Léa avec une perspicacité hallucinante sauve la mise.

- Moi j’ai envie de prendre un bain de minuit. J’en rêve depuis longtemps.

A trois contre un, pas d’autre choix que d’abdiquer.

- °° -

Sur la plage, nos ombres nous poursuivent sans relâche et Léa tente d’échapper à cette forme insidieuse qui lui colle à la peau. Elle court, elle s’enfuit entraînant Caroline dans sa course folle, s’arrêtant parfois juste le temps d’un baiser appuyé, lèvres contre lèvres, enlacées tendrement, pour reprendre sans plus attendre leur épopée diabolique sur le sable chaud et humide, sans même se soucier de notre présence. Le sable gardera toute la nuit trace de leur course endiablée, des cercles bizarres, des pas qui s'éloignent et se rapprochent, qui piétinent et se séparent pour mieux se retrouver quelques mètres plus loin.

Je suis conquis par cette passion débordante, cet amour farouche qui s’exprime tout en simplicité devant moi, si puéril, si charnel qu’il n’en est que plus magnifique. Je me surprends à considérer la normalité de leur relation, moi qui, il n’y a pas si longtemps étais circonspect devant cette union en marge de nos standards sociétaux

Harmonie en a profité pour se rapprocher et à travers sa petit robe qui épouse sans complexe ses formes affriolantes, je perçois la chaleur de son corps si envoutante, si captivante. Elle me rassure et je raffole. Elle m’excite aussi et j’adore. Elle me fascine sans que je sache réellement pourquoi.

- Elles sont trop choux toutes les deux. Tu ne trouves pas ? Me dit-elle avec une sérénité déconcertante.
- On dirait des gamines de quinze ans qui courent l’une après l’autre.
- Oui mais des gamines qui s’embrassent, ce ne sont plus réellement des gamines. J’aimerai bien me joindre à elles, courir comme elles le font, faire un peu la folle mais avec mon bras en écharpe, c’est compliqué.
- Je te rappelle quand même ma chérie que la dernière fois que tu as fais l'andouille, tu t'es retrouvée le nez par terre, le bras en croix et les mots qui ont suivi n'étaient pas des plus jolis.
- Oui, bon ! Ne te sens pas obligé de remuer le couteau dans la plaie, j’ai juste hâte de retrouver l'usage de mon bras, de ma main ankylosée, de pouvoir me débrouiller toute seule sans devoir te déranger à chaque fois que je n'arrive pas à faire quelque chose. Ça me pèse beaucoup de ne pas être libre de mes mouvements, tu ne peux pas savoir.
- Je comprends mais à mon avis, tu as largement de quoi prendre ton mal en patience, on sera remonté dans le Nord que tu auras encore ton plâtre et puis moi j'aime bien m'occuper de toi, te doucher, t'habiller...
- Et surtout me déshabiller !
- Aussi, j'avoue mais est-ce que j'y peux quelque chose si tu es de plus en plus mimi ?
- Si tu y tiens, je peux y remédier. Je ressors mes fringues d'avant, je me laisse repousser les poils et je ravive la couleur de mes cheveux. Ça te va comme programme ?
- Pas de chance petite rebelle intrépide, parce que c'est justement comme ça que tu m'as tapé dans l’œil alors, avec ou sans vêtement, épilée ou poilue, j'abonde. Tu devrais le savoir maintenant. Je me fous de l'apparence. Ce qui me plaît en toi, c'est toi et rien d'autre que toi.
- C'est marrant parce que tu m'as plu toi aussi et en voulant attirer ton attention sur cette aire d'autoroute, je voulais avant tout te surprendre, t’amuser, te faire sortir de ta bourgeoisie routinière et puis, pas de chance, il y avait un piège mesquin. Après, je me demande si cette barre de fer n’était pas là juste pour défier le cours de l’histoire. Sans elle, tu m’aurais probablement déposée à Paris, en bordure du périphérique. Tu ne serais jamais passé par le village de mon enfance, tu ne m’aurais pas amenée à Nice et tu serais encore moins venu m’y rechercher puisque je n’étais pas censée y être.
- Et tu aurais fait quoi à Paris, toute seule dans cette jungle citadine ?
- La même chose que toi. Je serais probablement en train de me morfondre profondément quelque part dans le métro parisien en espérant ne pas recroiser mes ravisseurs ou alors j'aurais peut-être repris la route pour une autre destination. Je ne sais pas. Parfois j'arrive à m'enfermer toute seule dans ma liberté et je me demande si ce n'est pas encore plus frustrant, plus terrible que de ne pas maîtriser mes propres choix. L'absence de limite, se dire que quelque soit le chemin, il n'y a pas de fin, que ça ne s'arrêtera jamais, c'est tout aussi pernicieux que d'être enfermée derrière des barreaux, aussi tristes soient-ils. Et puis je t'ai rencontré et tu as mis un terme à mon périple sans même le savoir. Être amoureuse, je ne savais plus ce que c'était, rêver j'avais oublié, être trop bien avec quelqu'un jusqu'à vouloir partager sa vie, avoir un domicile avec des murs et un toit, un jardin à s'occuper, se dire : c'est ici que j'habite dorénavant, avec toi. Te suivre là où tu iras sans jamais plus me poser de question, me dire que je fais aussi parti de ton quotidien, mettre ma main dans la tienne pour que tu la serres doucement, ne plus avoir envie de te quitter, vouloir t'embrasser sans arrêt, avoir peur de t'aimer à la folie, peur que tu te lasses aussi. La nuit, je tremble pour tout cela et lorsque je me réveille à tes côtés, je suis rassurée parce que je t'aime, parce que tu m'aimes aussi très fort mais j'ai peur de tout cet amour.
- Pourquoi t’es-tu retrouvée comme ça dans la rue, du jour au lendemain ? Quelque chose m’échappe.
- C’est une longue histoire Patrick. J’ai surtout envie d’oublier, de me focaliser sur ce présent, ce présent inespéré, somptueux que je retrouve avec toi.

Je n’ai plus osé poser de question, laissant libre cours à mon amour, un bras autour de sa taille, les pieds barbotant dans l’eau salée, nous nous sommes promenés longuement pendant que les filles sautillaient, gambadaient, s’esclaffaient autour de nous, infatigables.

Léa fût la première à lâcher prise, très vite rejointe par Caroline littéralement essoufflée.


- Alors, ce bain de minuit ?
- Une autre fois. Je suis trop éreintée pour envisager autre chose qu’un bon lit.

Nous avons regagné la Châtaigneraie en silence, les filles à l’arrière de la voiture, prêtes à s’endormir pelotonnées l’une contre l’autre, un bras autour de la taille, une main caressante sur la nuque, les yeux fermés, heureuses et apaisées par la générosité de leur amour.

Dans le rétroviseur, l’image est pathétique, attendrissante, trop belle ; ce couple de femmes complices, sereines. La nuit qui les entoure. La lueur des réverbères sur leur visage angélique. Les ombres qui passent en silence.

Harmonie me sourit. Elle a compris. Sa main posée sur ma jambe.

- Elles sont trop belles me chuchote-t-elle à l’oreille.

- °°° -

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