Tu iras en enfer !

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Ceci, ou plutôt le chapitre qui suit celui-ci, est un extrait d'une oeuvre non encore publiée, une spin-off de "La Chair et l'Acier", où je raconte la jeunesse de Layna, une des deux héroïnes du roman. On y retrouve Layna avec une bonne quinzaine d'années de moins, puisqu'elle a ici entre seize et vingt ans (je dois encore revoir les raccords entre la spin-off et le roman original et affiner la ligne du temps). J'ai rajouté ce premier chapitre spécialement pour ce défi, principalement pour intégrer l'orgueil et d'une certaine façon, la gourmandise, même si j'en ai détourné l'objet.

Je ne suis pas parvenue à y intégrer les sept péchés, mais pour au moins quatre, voire cinq d'entre eux, je pense ne pas avoir fait les choses à moitié. D'autant que je viole ici de façon assez magistrale quelques-uns des dix commandements.


Imane lança un regard noir à son amie. Assise nue derrière la coiffeuse de de la minuscule chambre qu'elles partageaient, Layna s'affairait, au moyen d'une petite lame, à rassembler une fine poudre dorée en une ligne de quelques pouces de long.

— C'est ta deuxième prise aujourd'hui ! Je pense que tu exagères.

— Occupe-toi donc de ton cul ! Je suis assez grande pour savoir ce que je fais, rétorqua Layna, agressive.

— Je n'en suis pas si sûre. Tu joues avec le feu. Si ce client ne te plaît pas, laisse-le à une autre, mais ne te détruis pas la santé pour autant.

Elle marqua un silence, avant d'ajouter, avec toute a douceur dont elle était capable :

— Je veux bien me charger de lui, si tu le souhaites.

— Il n'en est pas question ! Il est à moi et à personne d'autre.

Irritée, Layna tapota la lame sur la tablette pour ne pas perdre une miette de la précieuse poudre, saisit un petit tube de métal, et se pencha.

— Je ne comprends pas ce qui t'arrive, renchérit Imane Et je ne te reconnais plus. Ce client ne couvrira pas le coût d'une seule de ces deux doses.

L'épice de félicité s'échangeait à prix d'or. Hormis les prêtres qui en contrôlaient le marché, seuls les notables et les plus riches marchands pouvaient y accéder. Même très courtisée, jamais une putain ne pourrait se permettre de s'en offrir. A fortiori pas les filles de la baronne, qui ne rétrocédait à celles qu'elle appelait "ses enfants" qu'une fraction de ce que payaient les clients. Imane était convaincue que son amie avait dû voler l'épice à l'un ou l'autre de ses clients de passage.

Elle ferma les yeux quand Layna inspira longuement et bruyament. Trop bruyament. Comme si elle voulait la narguer. Sitôt la drogue inhalée, Layna se releva d'un bond.

— Tu ne sais pas ce que tu rates. Quelques pincées de cette épice et on se sent ... on se sent ...

Elle parlait beaucoup trop fort.

— Euphorique ?

Layna se tourna vers sa soeur d'infortune et inspira profondément. Par le nez.

— Le maître du monde !

Imane afficha un sourire désabusé.

— À ce rythme, dans quelques lunes, le maître du monde ne sera plus qu'une épave décharnée.

Layna la toisait, hautaine.

— Et toi tu seras toujours une petite putain qui compte ses passes et ses sous, en rêvant d'un prince charmant qui jamais n'arrivera ! Et tu sais pourquoi ? Parce que les princes charmants, ça n'existe pas !

Imane baissa la tête.

— Connasse, ajouta Laynaà à voix basse.

Imane ferma les yeux, blessée, et se fit violence pour ne pas réagir. L'épice commençait à faire effet. Chez certaines personnes, il arrivait qu'à l'euphorie qui caractérisait sa prise, s'ajoute la méchanceté.

Layna passa une robe de chambre de tulle et fit mine de sortir.

— Attends ! l'enjoignit son amie.

Imane se leva, un mouchoir à la main, avant d'ajouter :

— Ton nez saigne, laisse-moi l'essuyer.

Mais Layna la repoussa sans ménagement et se dirigea vers la chambre des plaisirs.

***

Elle était vide. Layna s'allongea sur l'immense lit et patienta. Les ablutions n'étaient manifestement pas terminées. La Baronne accordait une grande importance à l'hygiène et exigeait que les messieurs prennent un bain avant de rejoindre une des filles. Cette corvée était à charge des auxiliaires, de jeunes garçons ou de toutes jeunes filles dont la virginité était monnayée à prix d'or par Ia baronne le jour de leur seizième anniversaire.

Cette attention constante pour la propreté avait fait la réputation du lupanar et lui attirait une clientèle aussi aisée que sophistiquée. De hauts dignitaires de la Cour y avaient d'ailleurs leurs habitudes.

Que de chemin parcouru depuis les bordels ambulants, pensa la jeune prostituée, à suivre les armées en campagne, à ouvrir les cuisses parfois pour une miche de pain et à tenter de se débarasser de la vermine avec des loques imbibées de vinaigre.

L'image fugitive de Carmine lui traversa l'esprit, et elle fut prise d'une irrépressible envie de pleurer. Elle réalisa paniquée que les effets de la drogue commençaient déjà à se dissiper. Depuis combien de temps attendait-elle là ? Elle pesta. Sans l'aide de l'épice, elle n'était pas certaine d'y arriver. Il lui fallait une ultime dose ! Si seulement...

Mais la porte s'ouvrit. L'homme entra, accompagné de deux jeunes garçons qui le débarassèrent de sa robe de chambre. Il était nu. Les deux éphèbes s'en furent dans une discrétion presque religieuse. Elle détailla son client. Petit et bedonnant, son visage ingrat, s'ilavait été beau autrefois, n'en laissait rien deviner. Le temps avait fait son office. Une couronne de cheveux gras soutenait un crâne chauve et luisant. La chair flasque pendait ça et là, des plis disgrâcieux soulignant un ventre proéminant et des pectoraux avachis. Elle lui décocha un sourire enjôleur, auquel il répondit en exhibant deux rangées de dents gâtées. D'un geste, elle l'invita à la rejoindre. Il rampa sur le matelas et s'empara de ses seins fermes avec avidité, comme s'il avait peur qu'on puisse les lui retirer. Il les palpait sans douceur, sans brutalité non plus. Il n'y avait tout simplement rien de sensuel dans sa façon de faire.

Elle rendit grâce aux dieux - ou aux démons, pensa-t-elle. Au moins n'éprouverait-elle aucun plaisir. C'était très bien ainsi.

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