Prologue

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Fabien déambulait d'un pas mesuré à travers les rues de Cherbourg, son porte-documents fatigué serré sous le bras. Chaque matin, il arpentait ce chemin familier, rythmé par l’écho discret de ses pas sur les pavés, tandis que l’air frais, empreint d’un soupçon de sel marin, lui caressait le visage. En avançant vers le chantier naval, il devinait déjà, au loin, le tintement du métal et les silhouettes s'activant dans la lumière grise de l'aube. Ces quelques minutes de solitude, volées au tumulte de la journée à venir, lui offraient une brève parenthèse, une bulle de quiétude avant de replonger dans le vacarme incessant des machines et l'agitation des ouvriers affairés.

À l'entrée du chantier, Fabien adressa un signe de tête aux visages familiers qui peuplaient son quotidien. Ici, tout semblait réglé comme une horloge bien huilée : chaque geste, chaque mouvement s'intégrait avec précision dans une chorégraphie parfaitement maîtrisée. Chacun connaissait sa place, son rôle, et cette fluidité silencieuse, presque instinctive, éveillait en lui une satisfaction subtile. Les grues déployaient leurs bras gigantesques vers le ciel, tirant avec lenteur les lourdes coques des futurs navires, comme si elles participaient à une danse aérienne savamment orchestrée.

Installé à son bureau, Fabien laissa ses mains effleurer les plans soigneusement déployés devant lui. Les lignes nettes, les chiffres méticuleusement alignés formaient un langage qu'il comprenait intimement, chaque courbe et chaque angle prenant sens sous ses doigts attentifs. Il revérifia chaque détail avec une rigueur presque instinctive, ajustant ici une mesure, là une proportion, dans une quête discrète de perfection. Cette précision, ce contrôle méthodique sur le papier, lui apportaient un apaisement profond, même si parfois, malgré lui, ses pensées déviaient de cette clarté rassurante, s’égarant dans des recoins moins maîtrisés de son esprit.

Santa Marta, Cusco, Shanghai… Des noms, des visages, des fragments de conversation revenaient par vagues dans son esprit, comme des échos lointains d'une existence passée. Chaque ville, chaque rencontre avait imprimé en lui des impressions fugaces, des souvenirs épars qui, à l'époque, semblaient essentiels. Mais aujourd’hui, tout cela lui paraissait étrangement distant, presque irréel. Ces lieux, autrefois si vibrants sous ses pas, semblaient appartenir à une autre vie, une vie sans ancrage, flottante, bien différente de celle qu’il construisait maintenant à Cherbourg, solidement ancré dans une réalité plus tangible, plus proche.

Mais ce n’étaient pas toujours les lieux qui hantaient ses pensées ; parfois, c’étaient les visages. Des rencontres fugaces devenues persistantes, comme celle d'Alvaro. Fabien l’avait rencontré à Santa Marta, lors d’un séjour improvisé sur la côte colombienne. Alvaro, moniteur de plongée, avait un rire facile et une passion indomptable pour l’océan. Leur première rencontre avait eu lieu sur une plage baignée de soleil, lorsque Fabien, curieux et légèrement nerveux, s’était approché du stand de plongée. Alvaro, avec cette énergie contagieuse et cette manière désarmante de rendre chaque instant unique, l'avait rapidement mise à l'aise. Ce qui avait commencé comme une simple initiation à la plongée s’était transformé en une amitiée profonde, marquée par des discussions sous le ciel étoilé de Santa Marta, là où la mer et les rêves se confondaient.

Et puis, il y avait Carmen. Venue tout droit de Cusco, elle avait bouleversé la tranquillité de Fabien lors d'une escapade impromptue au Pérou. Ils s’étaient rencontrés sur un marché vibrant de couleurs et d’effluves épicées. Carmen, avec son sourire chaleureux et sa capacité à rendre chaque rencontre unique, avait tissé un lien inattendu avec lui. Ensemble, ils avaient parcouru les montagnes, leurs pas accompagnés de discussions sur leurs cultures, leurs espoirs et leurs vies si différentes. Elle avait partagé avec Fabien une connexion instantanée, cette facilité à créer du sens et à insuffler de la magie dans chaque moment ordinaire. Leur rencontre, bien que brève, avait laissé une empreinte indélébile sur Fabien, une empreinte qu'il ne pouvait oublier.

Et enfin, il y avait Liu. Leur relation avait commencé d’une manière plus formelle, à Shanghai, au milieu d'une négociation commerciale où chaque mot comptait autant que les chiffres. Mais peu à peu, au fil des discussions, une autre dimension s’était installée entre eux. Liu, avec son calme mesuré et sa manière presque méticuleuse de choisir ses paroles, était devenue plus qu'une simple interlocutrice. Derrière ses gestes précis et son regard acéré, il y avait une profondeur que Fabien avait appris à découvrir. Bien que leurs échanges demeurent rares et épars, chaque interaction avec Liu le laissait pensif, hanté par une sorte de mystère qu'il ne parvenait jamais tout à fait à résoudre.

Le vrombissement subtil de son téléphone sur le bureau le ramena brusquement à la réalité. Fabien baissa les yeux, son regard glissant rapidement sur l’écran illuminé. Un message anodin, purement professionnel, défilait sous ses yeux. Rien d'urgent, rien qui ne mérite de rompre le fil de ses pensées. Il haussa imperceptiblement les épaules avant de déposer l’appareil avec la même indifférence. Le travail l’attendait, et ici, chaque instant revêtait une importance particulière.

Les heures glissèrent avec la régularité d'un métronome, bercées par le cliquetis incessant des outils et le grondement sourd des machines. Autour de Fabien, une énergie presque envoûtante imprégnait l’air, chaque soudure, chaque ajustement de plan contribuant à l’avancée implacable du chantier. Sous son regard attentif, le projet prenait vie, se matérialisant lentement, morceau par morceau, avec la certitude tranquille d’une journée qui semblait ne rien devoir ébranler, aucune surprise à l’horizon, juste la constance du travail bien fait.

Quand le soir étendit son voile sur Cherbourg, Fabien s’éloigna du chantier, abandonnant derrière lui le cliquetis métallique des machines et les voix éparses des ouvriers qui prolongeaient encore leur labeur. La ville s’imbibait de la lumière dorée du crépuscule, chaque bâtiment teinté d’une douceur éphémère. En arpentant les rues presque désertes, Fabien savoura la quiétude du moment, ce silence bienfaisant qui n’appartenait qu’à cette heure incertaine, entre la fin du jour et l’aube de la nuit.

De retour chez lui, Fabien s'installa dans le salon, un verre de vin cramoisi niché entre ses doigts. Par la fenêtre, il observait le port, où les bateaux amarrés semblaient sommeiller sous le halo discret de leurs lumières, leurs reflets dansant paresseusement sur les vagues apaisées. La quiétude de la scène l’enveloppa comme une couverture familière. Dans ce tableau immobile, il trouva un réconfort inattendu. Tout semblait en ordre, figé dans une harmonie simple et rassurante. Fabien esquissa un sourire, savourant cette pensée : parfois, c’était précisément cette sérénité inaltérable qui lui apportait le plus grand apaisement.

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