Chapitre 1 : Les profondeurs inconnus

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Le soleil déclinait vers l'horizon, projetant sur la baie de Santa Marta un éclat d'or liquide, flottant comme une émanation légère au-dessus des eaux paisibles. Alvaro, incliné sur le bord du bateau, serrait méthodiquement les sangles de son masque de plongée, tandis que son regard se perdait dans l'immensité tranquille. Ce soir-là, la mer se figeait en un miroir lisse, presque immobile, mais dans ce calme apparent se nichait un trouble qu'il ne parvenait pas à identifier.

Le vent marin, chargé des fragrances salées et familières de l'océan, effleurait sa peau avec une douceur ancienne. Cette odeur âpre de sel et d’algues, imprégnée dans chaque fibre de son être, le berçait d’une habitude réconfortante. Pourtant, ce soir-là, une dissonance flottait dans l’air. Ce même souffle marin, autrefois apaisant, semblait alourdir ses pensées, éveillant une inquiétude imprécise, mais persistante, comme une ombre grandissant dans les replis de son esprit.

Avec lenteur, il pénétra les eaux, fendant la surface en une série de bulles éphémères. Sous l'océan, tout bascula. Le tumulte du monde terrestre s'évanouit, englouti par le silence dense des abysses. Ici, tout s'ordonnait avec une clarté nouvelle. Chaque mouvement d'Alvaro se déployait avec grâce, fluide, comme s'il se fondait dans les courants. Ce royaume subaquatique, il le connaissait par cœur ; rien ne lui échappait, chaque détail se soumettait à une loi invisible à laquelle il semblait instinctivement s'accorder.

Pourtant, au fil de sa descente vers les profondeurs, un malaise l'accompagnait, un murmure lointain résonnant dans les replis de son esprit. Il glissait, ses pensées en apesanteur, jusqu’à ce qu’une lueur dorée, réfractée à travers les vagues au-dessus de lui, vienne capter son attention. Ce rayon, se faufilant entre les coraux, éveilla en lui une image indistincte. Une pièce baignait dans cette même lumière chaude et familière, pourtant insaisissable, échappant aux contours précis de sa mémoire, comme une ombre fugace d’un souvenir effacé par le temps.

Le temps s’étira, et Alvaro dériva vers une réminiscence sans ancrage dans son passé. Une femme se tenait là, indistincte, floue comme une silhouette capturée dans un songe. Une mélodie douce, peut-être un chant, s’élevait à travers les brumes de sa conscience, mais les notes, fragmentées, se dissipaient à mesure qu’elles approchaient, comme si elles venaient d’un lieu trop reculé, presque irréel. Cette scène flottait aux confins de son esprit, imprégnée d’une émotion inexplicable qui le traversait sans qu’il en saisisse la source.

Une angoisse s’insinua en lui. Ce souvenir — ou plutôt cette impression diffuse — ne correspondait à rien de familier. Il ne se rattachait ni à ses parents adoptifs, ni à ses amis, ni à aucun des lieux qu’il avait connus. C’était une mémoire ancienne, presque primordiale, mais empreinte d'une intensité déroutante. Poussé par un instinct qu'il ne comprenait pas, il accéléra ses mouvements, cherchant à atteindre la surface avec une urgence nouvelle, comme si en brisant à nouveau la frontière entre l'eau et l'air, il pouvait se libérer de cette sensation oppressante.

Il émergea, les poumons en quête d’air, tandis que des gouttes d’eau scintillaient sur son visage sous les derniers rayons du soleil. Le vent de Santa Marta effleura sa peau, mais au lieu du réconfort attendu, il accentua ce malaise grandissant. Alvaro ôta son masque, inspirant profondément l’air salé, mais cette bouffée n’apaisa rien. L’impression de déjà-vu, l’éclat de cette lumière dorée et l’écho de cette mélodie spectrale demeuraient accrochés à sa conscience.

Se laissant flotter sur le dos, il fixa ses yeux sur l’immensité du ciel, teintée d’orange et de rose. Il avait plongé des centaines de fois, mais jamais une telle perturbation intérieure ne l’avait envahi. L’océan, jusqu’alors son refuge, semblait soudain devenir l'agent d'un affrontement inéluctable, une force qui le poussait vers quelque chose qu'il avait cherché à éviter, une vérité tapie dans les profondeurs, prête à surgir.

Le vrombissement d’un moteur, d’abord lointain, troubla la quiétude des eaux. Alvaro releva la tête, apercevant un bateau s’avançant vers lui. Sur le pont, Lucas levait une main en guise de salut. Sa voix, portée par les vagues, parvint à Alvaro, empreinte de légèreté.

« Alvaro ! Prêt pour demain ? On m’a dit qu’on aura du beau monde à bord. »

Alvaro acquiesça, sans chaleur. Le quotidien de cette scène contrastait cruellement avec sa tourmente intérieure. Lucas, en manœuvrant le bateau avec aisance, réduisit encore la distance entre eux.

« Tu étais sous l’eau un bon moment. Qu’est-ce qui t’a retenu là-dessous ? »

D’un mouvement d’épaules, Alvaro simula une indifférence. « Juste besoin de réfléchir. Rien de spécial. » La phrase, détachée, manquait de substance. Même lui peinait à y croire.

Lucas sourit encore. « La mer a ce pouvoir, tu sais. Elle vide l’esprit, ou bien elle fait remonter des choses qu’on croyait avoir laissées derrière. »

Alvaro demeura silencieux. Les paroles de Lucas résonnaient dans des cavités profondes, inexplorées. Avait-il effleuré quelque chose de longtemps oublié, ou était-ce une illusion née de la fatigue ?

Lucas s’éloigna vers le rivage, laissant Alvaro seul dans l’étendue d’eau tranquille. Mais sous la surface, un courant invisible cherchait à faire remonter des fragments enfouis.

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